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Second chapitre. Des maillages territoriaux français

2.4. En conclusion : la décentralisation ou la quête des territoires pertinents pertinents

La présentation de l’ensemble des politiques publiques utilisant le territoire comme outil d’application permet de se rendre compte de la difficulté de mise en œuvre des politiques publiques territorialisées. Le problème dominant réside dans la définition des territoires de projets pertinents, en vue d’un développement, qui bien souvent, ne concerne pas toutes les dimensions du territoire. Cette présentation pose également la question de la légitimité des territoires existants alors que de nouvelles échelles de projets ne cessent d’être élaborées. La multiplication de ces périmètres d’action conduit à une superposition des procédures sur un même espace, sans qu’il y ait, toujours, de cohérence interne. « La légitimité politique ne semblant plus suffire, quels sont les nouveaux modes de justification, donc de construction et d’administration des territoires ? » (GRASSET, 1999)1.

La décentralisation marque le changement de l’échelle territoriale d’action de l’Etat. Les lois de décentralisation ont transféré aux collectivités territoriales de nombreuses compétences exercées jusqu’alors par l’Etat. Cela a permis aux acteurs locaux, régionaux, départementaux et communaux de pouvoirs intervenir sur l’ensemble des secteurs de la vie locale. En effet, les collectivités territoriales ont élargi leurs champs d’actions et de compétences en prenant ainsi des responsabilités dans de nombreux secteurs. Si la contractualisation explique ces délégations de pouvoir et ce dynamisme local, il convient de rappeler qu’elle est aujourd’hui une des raisons de la complexité des procédures et réglementations.

1 GRASSET E., LAJARGE R., 1999, « LOADDT : histoire d’une nouvelle rupture », dans Montagnes

Face à cette acceptation politico administrative, le territoire local apparaît comme celui émanant d’acteurs autochtones. « On peut évoquer une conception hybride où le territoire n’est pas exclusivement administratif, ni exactement un territoire de projet et où les acteurs peuvent être définis par leurs territorialités » (LAJARGE, 2000)1. Territoire « politique » et territoire « pratique » sont là encore mis en opposition. Il s’agit de trouver les bons territoires, les bons cadres d’action. Les textes réglementaires et législatifs actuels reflètent cette culture de projet. Un des problèmes soulevés est celui de l’échelle territoriale. Les territoires sont alors emboîtés, en témoignent les maillages territoriaux et les nombreuses politiques publiques qui s’y appliquent. Certains estiment que « l’intérêt des territoires est qu’ils sont multi-échelles » et « les échelles sont sans vertus propres, seul compte la capacité des sociétés à construire sur tel ou tel niveau le système de régulation » (VANIER, 2000)2. On perçoit donc la nébuleuse autour du terme de territoire. Des notions ambivalentes, complémentaires illustrent cette multiplicité de territoires. L’enjeu pour l’action publique semble être celui de la recherche du bon « territoire », permettant d’optimiser ses cadres, de mobiliser ses forces vives.

La frénésie du projet de territoire comme moyen de conception des territoires et des modes d’interventions nous amène à la notion de développement territorial. L’étude bibliographique ainsi que l’examen des textes de loi (LOADT, LOADDT, RDR et autre) montrent qu’il existe des acceptations multiples des termes de « territoire » et de « projet de territoire ». La conséquence directe est que ces projets de territoires inventent de nouveaux territoires qui se superposent aux territoires existants, qu’ils soient administratifs, politique, sans toujours s’y opposer. « Construction sociale, le projet de territoire est une image d’une situation à atteindre, une parole publique où territoire et projet sont liés »

(LAJARGE, 1999)3. Cette analyse renvoie à tout ce qui donne corps au territoire, les acteurs, les représentations, les objectifs, les stratégies d’intervention en vue de son développement. Selon LAJARGE (1999)4

« le territoire n’est pas un objet neutre, décidé dans l’abstraction et déconnecté du réel. Il est avant tout bricolé par les acteurs en fonction d’un grand nombre de paramètres en permanente mutation ». L’auteur révèle que dans la construction de « projet de territoire », aucun acteur ne prend réellement le pas sur l’autre, « tous coexistent, mais il y a bien des luttes de pouvoirs pour être dans les tuyaux du financement. Non figé, chacun tend à prendre à l’autre des spécificités » (LAJARGE, 1999)5. C’est donc sur l’analyse des jeux d’acteurs des territoires et de leurs attachements, différents, à l’ensemble des projets qui œuvre au développement des territoires, qu’il convient de se pencher.

1 LAJARGE R., ROUX E., 2000, « Territoires de projet et projets d’acteurs : la complexité nécessaire. Les

territoires locaux construits par les acteurs ». Acte de colloque Les territoires locaux construits par les acteurs, ENS Lettres et Sciences Humaines, Géophile, pp. 229-238.

2 VANIER M., 2000, « S’adosser au pouvoir économique de l’Etat », intervention au Colloque de Morsang sur

Orge, ATTAC, 29 janvier 2000, 5 p.

3 LAJARGE R., 1999, « Quatre modalités pour faire du territoire », dans GERBAUX F., Utopie pour le

territoire : cohérence ou complexité ? », Ed. de l’Aube, La Tour d’Aigues, pp. 79-100.

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Idem.

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Le développement territorial dans les politiques publiques s’est affiné avec la décentralisation. Néanmoins, des compétences sectorielles où chacun des niveaux, régional, départemental, communal, ont leurs fonctions, la décentralisation a évolué avec cette quête du territoire pertinent. La logique de projet tend à complexifier l’emboîtement des échelles, et, bien que l’Etat reste très présent, chaque acteur est concerné par tous, dès lors que cela concerne son territoire. L’action politique territoriale est encore fortement marquée par ce modèle gaullien centralisé, en dépit de ses effets limités sur l’aménagement de la France métropolitaine. La spécificité de ce modèle tient par le principe d’emboîtement spécialisé et hiérarchisé des niveaux territoriaux. Malgré son importance, la décentralisation ne remet pas totalement en cause ce modèle. De plus, elle insiste sur la non-subordination de chacun des niveaux de collectivités territoriales. Mais en instaurant des compétences spécialisées pour chacune d’elles, la décentralisation confirme un principe fonctionnel d’emboîtement des niveaux territoriaux, du moins dans les textes. En affectant à chaque niveau une fonction spécialisée, la cohérence de l’action publique n’apparaît qu’au niveau global de la nation. Enfin, le caractère descendant de cette régulation interscalaire fait que les effets d’entraînement et de redistribution sont toujours attendus du niveau supérieur. Ce modèle territorial est, encore aujourd’hui, une référence conceptuelle. Le développement urbain est régi, via les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), la mise en œuvre du développement rural par le RDR, le PDRN et les CTE, puis CAD. Mais à l’heure où l’on prône la transversalité et l’interministérialité, la fin de la dichotomie « urbain » et « rural », qu’elle peut être la cohérence territoriale avec des outils qui ne s’articulent pas toujours ?

Cet emboîtement spécialisé des échelles est souvent remis en cause. « L’Etat a renoncé à avoir une vision d’ensemble du territoire et à quadriller le local. Il a resserré son intervention sur les territoires en crise »

(BEHAR, 2003)1. Ce retrait de l’Etat autorise les collectivités territoriales à ignorer l’affection ordonnée des compétences issues de la décentralisation afin d’organiser en un système où les grandes villes s’autogouvernent : les régions se mettent en relation avec les villes moyennes, les bassins de vie et les pays, alors que les départements s’intéressent aux territoires ruraux et aux chefs-lieux de canton. En faisant de sa nouvelle loi sur l’aménagement du territoire l’instrument du passage d’une logique de guichet à une logique de projet, le gouvernement exprime clairement sa volonté de voir inverser le sens de la régulation territoriale, au profit d’une démarche ascendante où le projet local prime. « Un territoire, un projet, un contrat », favorise la superposition des différents niveaux de projets, mais dénote la fin de la spécialisation des niveaux, car chaque niveau ne constitue pas un tout, mais une entité autonome.

Selon BEHAR (2003) « La territorialisation consiste à ajuster les politiques en termes de contenus et de modalités aux nouveaux des territoires »2. Cette exigence de prise en compte du territoire ne concerne pas seulement l’Etat, également les collectivités territoriales qui développent des démarches de territorialisation et de nouveaux modes d’interventions techniques. Les valeurs de proximité et de

1 BEHAR D., ESTEBE P., 2003, « Intercommunalité : le local entre en politique », dans L’Etat des régions

françaises, CORDELLIER S., NETTER S. (dir.), Paris, La Découverte, 268 p.

transversalité confiées au territoire en font l’outil de la modernisation des institutions publiques, en témoigne la réorganisation de nombreuses institutions rencontrées lors de cette recherche. Ainsi, la territorialisation oppose le proche au lointain et exprime la proximité. Pour les politiques publiques, l’enjeu est de compléter ce mouvement descendant. De plus, l’approche territoriale rendrait caduques les logiques verticales sectorielles au profit d’une transversalité de l’action, elle serait donc globale et décloisonnée. Ainsi, la politique de développement rural, qui se proclame d’une approche territoriale, serait à la fois globale et transversale. Elle permettrait d’assurer la viabilité économique des exploitations agricoles et le développement social, économique en lien avec l’environnement des territoires ruraux. Le sens du terme territoire, ainsi paré de vertu, change de statut pour l’action publique. Ce qui amène BEHAR (2003) à écrire que le territoire est le « support pour le développement des interventions ou même objet, il est le moteur de la transformation de l’action publique. […] Le territoire fournit à la fois du sens et le sens à l’action publique. Il est érigé simultanément en finalité et en méthode pour cette dernière »1.

En proposant de mettre en œuvre la formule « un territoire, un projet, un contrat », laquelle permettrait à chacun d’être acteur sur son territoire vécu », la multiplication des procédures contractuelles apparaît comme une réponse rationnelle à l’impossibilité d’aménager le territoire, dans un cadre où l’Etat serait l’unique chef de file. L’Etat se décharge de l’obligation d’énonciation en donnant aux collectivités territoriales des boîtes à outils diversifiées, elles sont alors des productrices de politiques publiques, du moins dans le respect de la procédure établi souvent en amont en sans réelle concertation avec les collectivités. Les services déconcentrés se heurtent aux collectivités territoriales sur le chemin de l’énonciation politique au niveau local et l’organisation de la cohabitation des contraires reste un exercice certes primordial, mais complexe quand chacun des acteurs locaux revendique son rôle, sa légitimité sur son territoire et refuse toute hiérarchie. De la formule « un territoire, un projet, un contrat », on passe à celle « à chaque territoire, son projet, son acteur, son contrat ». Proximité et transversalité, démocratie participative, projet local dans un développement global sont donc limités. La solution est-elle alors dans le local ?

La réforme de la Politique Agricole Commune de 1999 prolonge celle engagée en 1992, fondée sur une agriculture multifonctionnelle, répondant aux exigences de qualité et de sécurité des produits, l’animation, la gestion durable des territoires ruraux, elle doit contribuer à leur développement. Les territoires ruraux ne sont plus sous l’exclusivité des activités agricoles, d’autres revendications se sont affirmées, tels que le patrimoine, le paysage, l’environnement. Ces nouvelles valeurs tendent à recomposer la gestion des territoires ruraux et à les requalifier. Si le développement rural apparaît comme une source de modernisation pour les activités agricoles, elles vont devoir trouver leur place au sein des projets de territoires, et plus globalement dans la société. Les défis de cette remise en œuvre de la politique publique de développement rural sont une territorialisation accrue de la politique agricole, une approche

interministérielle recouvrant désormais la diversité des fonctions assignées à l’agriculture, l’inscription des aides agricoles dans le développement rural, et enfin une définition de modalités nouvelles de concertation avec la profession agricole et les autres acteurs ruraux. L’Etat français et ses services déconcentrés, les collectivités territoriales et locales, puis les acteurs des sphères rurale et agricole doivent s’adapter à cette nouvelle donne. Evoluer vers une utopie de projet global d’exploitation inscrit dans u projet de territoire nécessite certainement des adaptations dans l’organisation de la gestion des agricultures sur les territoires ruraux. Certes, une cinquantaine d’années de cogestion des intérêts agricoles entre l’Etat et la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) ne s’effacent pas avec l’arrivée de la multifonctionnalité, via les CTE et CAD, ni même par les Commissions Départementales d’Orientation de l’Agriculture (CDOA) élargies.

Cependant, la modernisation de la gestion de l’agriculture se met en place, dans une gestion plus concertée des territoires ruraux multifonctionnels, où les agricultures doivent composer avec les forces vives des territoires. Face à cette complexité dénoncée, la volonté de simplification ne doit pas servir d’alibi à la préservation d’un système qui se doit d’innover. Non pas parce qu’une utopie du projet de territoire ressort comme un mythe mobilisateur, ni parce qu’une étique du développement territorial s’impose, mais parce qu’elle constitue un moyen de mettre en œuvre des politiques publiques où « le cadre juridique est énoncé, les acteurs désignés, mais non le sens de l’action, laissé au jeu des négociations des délibérations collectives »1. L’intérêt de cette logique est alors de favoriser les croisements entre les différents acteurs, revendiquant leurs rôles et leurs conceptions du développement rural. Les limites restent la complexité engendrée par cette gestion concertée des territoires ruraux multifonctionnels. La question de la méthode de son organisation reste également posée.

Les territoires ruraux ne sont pas neutres, ils sont des espaces d’enjeux, des espaces multifonctionnels sur lesquels les logiques d’action différenciées sont protées par des acteurs multiples à intérêts divers. Il convient donc de trouver les moyens de cette mise en cohérence, de cette synergie des politiques sectorielles qui s’y appliquent, dans une approche territoriale adaptée. Cette échelle semble aujourd’hui floue et complexe à appréhender, car fluctuante selon le jeu des acteurs et transcendant parfois les limites administratives ou territoriales. Passer d’une politique sectorielle à une politique de projet sous-tend une réorganisation du système d’acteurs en place. L’émergence de nouveaux modes de partenariat, de contractualisation, de complémentarité entre l’urbain et le rural, de démarches collectives et territoriales visent à répondre aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux du développement des territoires ruraux.

1 PLANTE S., 2007, « Gouvernance territoriale et gouvernance participative : Gestion concertée ou gestion

intégrée ? », intervention au Colloque Ensemble pour une vision régionale de développement durable,

Bonaventure, Québec, 23-24 mai 2007, en ligne [http://www.cregim.org/fichiers_vision/Steve_Plante.pdf], consulté le 24 septembre 2007.

Troisième chapitre.

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