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5 | Une annotation du corpus en relations discursives intégrant

5.2 Prise en compte de la modalité dans les re- re-lations discursives

5.2.1 La modalité d’énoncé

5.2.1.1 Modalités marquées

Nous suivrons le modèle de Gosselin (2010), qui détaille la façon dont les mo-dalités d’énoncé sont « présentées par l’énoncé comme, plus ou moins, valides » (op. cit., p. 1) dans une théorie modulaire des modalités, la tmm. De nombreux paramètres constitutifs de la modalité (conceptuels, fonctionnels, métaparamètre) sont convoqués pour ce faire. Nous nous intéresserons plus particulièrement au paramètre « n », celui du niveau dans la hiérarchie syntaxique.

En réduisant encore le domaine, nous nous concentrerons sur les modalités

ex-trinsèques, « marquées par des grammèmes ou par d’autres lexèmes » (op. cit.,

p. 96) et qui relèvent du modus (des attitudes propositionnelles de Ferrari,

sec-9. Nous reviendrons à la fin de la section suivante sur la lecture modale de(5.17-b)proposée par Degand et Fagard (2008).

5.2 Prise en compte de la modalité dans les relations discursives 133 tion 1.2.1), en délaissant les modalités intrinsèques10aux lexèmes.

Deux distinctions, quatre possibilités Gosselin (2010) utilise la double op-position entre modalités de re contre modalités de dicto d’une part, et celle, due à (Kronning, 1996), entre modalités véridicibles et modalités montrables, pour éta-blir une typologie des modalités extrinsèques.

L’opposition de re / de dicto Ces modalités sont distinguées selon leur

portée, selon qu’elles portent sur le prédicat ou sur la proposition. Soit l’exemple suivant, repris de Beyssade (2006), qui traduit Quine (1956)11 :

(5.18) Ralph croit que quelqu’un est un espion. a. Ralph croit qu’il y a des espions.

b. Il y a quelqu’un dont Ralph croit que c’est un espion.

Dans cet exemple, la modalité de dicto(5.18-a)montre la portée large de croire, qui porte sur la quantification : Ralph croit : ∃x( x est un espion). Dans la lecture

de re en (5.18-b), le quantifieur a une portée large :∃x(Ralph croit que x est un

espion).

L’opposition véridicible / non véridicible cette distinction est fondée

« non plus sur ce qui entre dans le champ de la modalité, mais sur les éléments qui peuvent l’affecter » (Gosselin,2010, p. 98). Les modalités véridicibles peuvent être interrogées ou niées, les non véridicibles (ou montrables) ne le pouvant pas. Cette distinction reprend la distinction de Ducrot (1984, p. 151) sur les deux modalités du dire

Lorsque quelqu’un fait une affirmation, par exemple lorsque X affirme ’il fera beau demain’, il donne deux sortes d’indication, de nature tout à fait différente. L’une concerne le thème de son discours (le beau temps), l’autre concerne le fait même de son énonciation, donnée comme l’asser-tion du beau temps, et non pas d’autre chose, ni comme une quesl’asser-tion, une promesse, etc.

Ces deux indications illustrent les deux sens possibles du verbe dire : asserter et

montrer ; seule la modalité assertée est susceptible d’être interrogée ou niée, la

modalité montrée ne peut pas l’être. Les exemples suivants sont repris de Gosselin (2010, p. 98) :

10. Les modalités intrinsèques sont à l’origine de l’ambiguïté habituelle des constructions de la forme « c’est + adjectif parce que-C » (Debaisieux,2013a, p. 223). Nous y reviendrons (rapi-dement) en 6.1.4.1.

134 Chapitre 5 Une annotation du corpus en relations discursives intégrant la modalité (5.19) Il est possible que l’avion ait atterri.

a. Il n’est pas possible que l’avion ait atterri. b. Est-il possible que l’avion ait atterri ? (5.20) L’avion a peut-être atterri.

a. ? L’avion n’a pas peut-être atterri. b. Est-ce que l’avion a peut-être atterri ?

Ces deux oppositions permettent de distinguer quatre types de modalités ex-trinsèques.

Une typologie des modalités extrinsèques Les quatre modalités

extrin-sèques distinguées selon la double opposition présentée précédemment sont illus-trées par l’exemple (19) de Gosselin (2015, p. 14), repris en (5.21) :

(5.21) a. Par chance, le tyran est mort dans les flammes.

b. C’est une chance que le tyran soit mort dans les flammes. c. Le tyran a eu de la chance d’échapper aux flammes. d. Le tyran a eu la chance d’échapper aux flammes.

De ces quatre types de fonctionnement syntaxique de la modalité extrinsèque, les trois premiers étaient décrits dans (Gosselin, 2010) :

— les opérateurs prédicatifs (de re, véridicible), (5.21-c)

— les opérateurs propositionnels (de dicto, non véridicible), (5.21-a)

— les métaprédicats (de dicto, véridicible), (5.21-b)

— les opérateurs prédicatifs transparents (de re, non véridicible), (5.21-d)

Ces derniers, qui seraient « réservé[s] aux modalités appréciatives et axiolo-giques » (Gosselin,2015, p. 15), permettent de construire une typologie équilibrée. Syntaxiquement donc, les modalités admettent quatre fonctionnements descrip-tibles en termes de portée.

Lecture des parce que-C Nous pourrions trouver une parce que-C qui pourrait

enchaîner, avec une lecture de contenu, sur chacun des exemples illustrant un fonctionnement particulier de la modalité extrinsèque de (5.21). Une parce que-C donnée en réponse à une question en pourquoi aurait cette valeur (cf. sections1.1.2

et1.3) :

(5.22) a. Par chance, le tyran est mort dans les flammes. Pourquoi ?

Parce que son palais a brûlé.

b. C’est une chance que le tyran soit mort dans les flammes. Pourquoi ?

5.2 Prise en compte de la modalité dans les relations discursives 135 c. Le tyran a eu de la chance d’échapper aux flammes. Pourquoi ?

Parce que tout le palais a brûlé.

d. Le tyran a eu la chance d’échapper aux flammes. Pourquoi ?

Parce qu’il se trouvait en déplacement lorsque tout le palais a brûlé.

Si l’on dote (5.21) de parce que-C sémantiquement cohérentes avec la modalité (de dicto ou de re) exprimée12dans chaque exemple, explicitant donc respective-ment les avantages que le peuple tirera de son décès ou la bonne fortune du dicta-teur, différentes lectures vont émerger. Les exemples (5.23-b) et (5.23-c) peuvent être analysés comme des constructions en épexégèse, et les parce que-C ont alors une lecture de contenu.

(5.23) a. Par chance, le tyran est mort dans les flammes. Parce qu’il ne tuera plus personne.

b. C’est une chance que le tyran soit mort dans les flammes. Parce qu’il ne tuera plus personne.

c. Le tyran a eu de la chance d’échapper aux flammes. Parce que tout le palais a brûlé.

d. Le tyran a eu la chance d’échapper aux flammes. Parce que tout le palais a brûlé.

En(5.23-a), la lecture est du niveau des modalités (et parce que est un connecteur de type internal-attitudinal13(Verstraete,2000)), alors qu’en(5.23-d), la lecture de

contenu est exclue et la lecture du niveau des modalités semble un peu artificielle ;

il s’agirait plutôt d’une lecture du niveau des actes de langage14(indirectement là aussi).

12. Gosselin (2015, p. 14) remarque que l’emploi d’une modalité de dicto présente « la situation [. . . ], par défaut, comme désirable aux yeux du locuteur (sujet de l’énonciation) », alors que l’emploi d’une modalité de re présente la situation « décrite comme désirable pour le sujet de l’énoncé ». Cette valeur par défaut est cependant annulable.

13. Les opérateurs propositionnels deGosselin se rapprochent des attitudinal disjuncts, c’est-à-dire des « adverbial expressions which typically occur clause-initially as an independent tone unit and cannot serve as the focus of interrogation and negation » (Verstraete,2000, p. 120) : ils exhibent en effet les mêmes propriétés (cf. supra la non véridicité).

Ces attitudinal disjuncts dépendent du système interpersonnel de leur proposition, pour les mêmes raisons que les parce que-C macrosyntaxiques peuvent être dépendantes du système interpersonnel de leur base (dans les constructions coordonnées) : ils portent sur ce système, et ne peuvent donc être dans sa portée (cf. section1.2.2).

Une parce que-C qui se construit sur un opérateur propositionnel ne se construit donc qu’indirectement sur le système interpersonnel. Sa lecture (modale ou en acte de langage) sera donc fonction de la composante du système interpersonnel dont l’opérateur dépend.

14. Cette différence de lecture peut être due aux caractères non véridicible et non montrable de la chance dans l’exemple(5.23-d); en(5.23-a), par chance est non véridicible mais montrable, selon Gosselin (2015).

136 Chapitre 5 Une annotation du corpus en relations discursives intégrant la modalité

Il semblerait que l’on puisse construire un algorithme de décision (très informel) pour l’identification des lectures modales :

Si la parce que-C décrit une éventualité compatible avec la modalité de

re ou de dicto de la base, mais que cette dernière n’est pas véridicible,

alors une lecture en « système interpersonnel », et plus particulièrement

modale, est seule disponible.

Dans ce cas en effet, la modalité serait exprimée par un disjunct, un élément non régi ; la parce que-C (elle-même non régie, sinon la question de sa portée à gauche ne se poserait pas) ne porterait donc pas sur le prédicat de sa base, la lecture en

contenu serait donc exclue. Si l’on écarte les opérateurs prédicatifs transparents, qui

ne sont d’ailleurs disponibles que pour les modalités axiologiques et appréciatives (supra), il ne reste donc que les opérateurs propositionnels comme candidats pour une lecture modale de la parce que-C non régie.

Cet algorithme informel dépend néanmoins de l’identification du type de moda-lité intrinsèque à l’œuvre, et cette étape est délicate ; il suffit pour s’en convaincre de considérer la polysémie modale d’un verbe comme devoir. Revenons un moment sur l’exemple épistémique (5.16-d)donné par Degand et Fagard (2008) :

(5.24) Il doit avoir près de 90 ans, parce qu’il faisait déjà partie de l’unité en 1932.

La lecture modale de la parce que-C dépend donc de la présence d’un verbe modal analysable comme un opérateur propositionnel. C’est l’analyse qui peut être faite de devoirépistémique subjectif, parce qu’il présente un lecture de dicto non véridicible. Mais nous pouvons, en suivant Papafragou (2006), analyser devoir dans cet exemple comme un devoirépistémique objectif15, véridicible et plus proche d’un opérateur prédicatif, lequel peut d’ailleurs être rapproché (op. cit., p. 1692) du

devoiraléthique de Kronning (2001), qui marque une nécessité d’être véridicible. La modalité peut donc être linguistiquement marquée, mais elle peut également être pragmatiquement inférée : selon la situation d’énonciation, une même phrase pourra présenter des modalités différentes.