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5 | Une annotation du corpus en relations discursives intégrant

5.2 Prise en compte de la modalité dans les re- re-lations discursives

5.2.1 La modalité d’énoncé

5.2.1.2 Modalités inférées

Un énoncé peut sembler être rétrospectivement chargé d’une modalité qu’il n’exhibe pas lors de son énonciation isolée. Ainsi pour l’exemple(1.1-b), que nous réutilisons à nouveau :

15. SelonPapafragou, le devoir épistémique objectif « is used to state a conclusion based on (more reliable and complete) scientific data and measurements » (op. cit., p. 1691).

5.2 Prise en compte de la modalité dans les relations discursives 137 (5.25) Les voisins sont partis, parce que leur voiture n’est plus là.

La modalité épistémique que nous pouvons identifier n’est pas présente de façon si prégnante si la seule base est énoncée ; les voisins sont partis ne semble être porteur que d’une modalité objective, « intrinsèque au contenu propositionnel » (Gosselin, 2010, p. 22).

SelonGosselin(op. cit., p. 26), la modalité ainsi révélée est néanmoins intégrée à la structure modale de l’énoncé, comme s’y intègrent les modalités marquées : ainsi des « éléments proprement linguistiques », comme les parce que-C à l’origine de l’inférence, pourront s’y attacher. C’est également la position de Verstraete (1998, 1999)16, dont nous avons présenté les analyses au chapitre 1. Cette infé-rence pragmatique est donc le fait de l’interlocuteur ; pour le locuteur, la modalité ainsi révélée est intégrée à la structure modale de son énoncé dès son élaboration. Le terme de modalité inférée proposé par Gosselin convient parfaitement aux situations dans lesquelles l’exemple (5.26-b) a le « même type de fonctionnement pragmatique » que (5.26-a)17

(5.26) a. Dommage que la fenêtre soit ouverte. b. La fenêtre est ouverte.

Il est en effet possible d’imaginer des situations d’énonciation permettant d’assi-gner à(5.26-b)la modalité appréciative marquée par dommage que dans le premier exemple. Pour décrire les constructions en parce que qui nous intéressent, peut-être que révélée qualifierait mieux cette modalité non marquée : dans ces constructions, le locuteur donne toutes les informations nécessaires à l’interlocuteur pour l’inter-prétation, dans la parce que-C même.

Certes, ces informations ne permettent pas d’identifier beaucoup plus facile-ment les parce que-C à lecture modale, ni de les distinguer des parce que-C à lecture de contenu ou en actes de langage :

(5.27) Pierre est tombé parce qu’il a la jambe dans le plâtre.

Dans cet exemple, le recours au contexte d’énonciation est nécessaire pour identifier une lecture de contenu, qui voit un malheureux Pierre tombé à cause de

16. Verstraete (1999) remarque en effet que

[t]he basic criterion for allowing epistemic conjunction is the presence of modal grounding : an utterance first has to present an argumentative position before this position can be supported with an epistemic secondary clause.

Nous soulignons.

138 Chapitre 5 Une annotation du corpus en relations discursives intégrant la modalité son agilité réduite, ou une lecture modale, où la parce que-C révèle une modalité épistémique, que l’on peut rendre explicite par l’emploi d’un verbe modal, par exemple. Cette insertion d’un verbe modal est un test proposé par Verstraete (1999) pour distinguer les lectures interpersonnelles (ou internes) :

(5.28) a. John est ici, parce que je l’ai vu.

b. John est ici, parce que je ne veux pas que tu lui tombes dessus par hasard.

L’insertion d’un devoirépistémique est possible en (5.28-a). En (5.28-b) par contre, l’insertion rend l’énoncé beaucoup moins bon.

(5.29) a. John doit être ici, parce que je l’ai vu.

b. ? John doit être ici, parce que je ne veux pas que tu lui tombes dessus par hasard.

L’intérêt de cette analyse en modalité inférée (ou révélée) est ailleurs : elle permet d’unifier les fonctionnements de parce que dans ses lectures modales et de contenu. En effet, si l’on essaie de décrire le fonctionnement de ces parce que-C en se pla-çant du côté du récepteur (de l’interlocuteur), deux possibilités au moins sont envisageables. Dans l’abondante production de Moeschler, les deux sont décrites : — Moeschler (1989) (cf. note 9, p. 21) et Ferrari (1992) (cf. section 1.2.1) à sa suite proposent d’associer à parce que une valeur sémantique de cause par défaut ; ainsi à partir d’une configuration P parce que Q, la valeur associée à parce que sera cause(Q,P) dans une lecture de contenu, et cause(P,Q) dans une lecture modale.

— Pour Moeschler (2003) ou Zufferey (2012), le segment P dans une lecture épistémique (modale) présente la conclusion inférée à partir des éléments présentés en Q, soit, selon Moeschler (2003), P est inféré de Q.

— Enfin Moeschler (2011) remarque que « si un fait P cause dans le monde un fait Q, alors l’existence de Q est une raison d’affirmer P », soit un P parce

que Q où parce que est argumentatif (épistémique). Il s’agit d’un retour

à la position de 1989, l’utilisation du prédicat sémantique cause donnant cause(P,Q) dans le monde.

La position de Moeschler (2003) est donc compatible avec celle de Gosselin (2010), qui montre que dans certaines situations, des modalités non marquées sont infé-rées par l’interlocuteur. Elle diffère sans doute sur un point : pourGosselincomme pour Verstraete (1998, 1999) (cf. supra), cette modalité est déjà présente, quoi-qu’implicite, dans l’énoncé. La parce que-C utilisée par le locuteur ne se distingue donc pas, dans ces emplois des parce que-C causales (de contenu) : elle présente une cause dont l’effet est l’attitude du locuteur vis-à-vis du contenu de son propre énoncé.

5.2 Prise en compte de la modalité dans les relations discursives 139 (5.30) JD1 : tu étais content de la précédente quand-même

JP1 : oui oui oui mais là [ bon éviter le plus possible des opérations ]_0

[ parce que bon on a dit comme le dit le docteur hein il vous faudrait vous refaire ]_p

(12ajp1CL_hanche_pcq2) En (5.30), jp1 présente le commentaire du docteur à son endroit, soit il faudrait

me refaire comme la cause de la modalité boulique qu’exprime bon éviter le plus possible des opérations quand la parce que-C lui est associée.

Les lectures de contenu et les lectures modales de parce que se distinguent donc non pas sur ce que la parce que-C introduit (la cause, la conséquence) mais sur ce à quoi elle se rattache, soit le contenu ou le système interpersonnel de la base. La

parce que-C non régie introduit toujours une cause (au sens large : cause, raison,

motif), qui vient expliquer un énoncé précédent. C’est également le cas quand la

parce que-C vient justifier l’énonciation même dudit énoncé.

5.2.2 La modalité d’énonciation

Dans la lecture en acte de langage, la parce que-C s’articule sur la composante interpersonnelle de sa base, plus précisément donc sur la modalité d’énonciation18. Le fonctionnement de ces parce que-C montre quelques similitudes avec les parce

que-C s’articulant sur la modalité d’énoncé : elles peuvent en effet venir

justi-fier une modalité d’énonciation marquée ou expliciter une modalité d’énonciation implicite.

Cette double possibilité, et la difficulté à définir ce que peut être une lecture en acte de langage d’une parce que-C , seront illustrées par l’exemple de (Sweetser,

1990, p. 77) :

(5.31) What are you doing tonight, because there’s a good movie on.

Pour Sweetser, la parce que-C de (5.31) donne donc la cause de l’acte de langage réalisé par la base : « I ask what you are doing tonight because I want to sug-gest that we go see this good movie ». Il s’agirait donc d’une question portant sur les disponibilités de l’interlocuteur justifiée par une invitation à sortir, soit la justification d’une modalité marquée.

Cette analyse est contestée par Fornel (1989) et par Beeching (2007), qui voient dans la question une invitation, modalité d’énonciation explicitée par la parce

que-18. Cette modalité d’énonciation correspond à l’illocution de (Cresti,2003). La distinction que nous faisons entre modalité d’énoncé et modalité d’énonciation est celle opérée parCrestientre modalité, soit l’« attitude lu locuteur sur la locution », et l’illocution, « attitude du locuteur envers l’interlocuteur » (op. cit., p. 149).

140 Chapitre 5 Une annotation du corpus en relations discursives intégrant la modalité πcontexte Invitation πα Explication* πβ (a) πcontexte Q-préparatoire πα Explication*+ Invitation πβ (b) Figure 5.2 – sdrs de l’exemple (5.32)

C , qui signale la possibilité de voir un bon film. L’analyse de Beeching, p. 76-77, qui se situe dans une approche de la politesse linguistique, est particulièrement intéressante. Selon elle (op. cit., p. 76-77), la parce que-C dans cet exemple permet au locuteur

— d’expliciter la nature de son acte de langage (comme précédemment avec la modalité d’énoncé inférée), et d’indiquer qu’il s’agit d’une invitation, — de devancer la réaction possible de l’interlocuteur, qui pourrait demander

le pourquoi d’une telle question,

— de donner à son interlocuteur l’avantage de répondre en connaissance de cause.

Le besoin, ressenti par un locuteur, d’expliquer le pourquoi de son énonciation (le sarg19 de son énonciation) peut effectivement être lié à la nécessité d’éviter les

actes menaçant la face (Kerbrat-Orecchioni,1994, par exemple). L’acte potentiel-lement menaçant que représente une invitation peut être désamorcé par un énoncé préliminaire (c’est la lecture que Sweetser a de son exemple) ; dans la lecture de

Beeching et de Fornel, l’atténuation arrive dans un deuxième temps, à travers la justification dudit acte.

L’analyse de cet exemple en sdrt nécessitera l’utilisation de la pseudo-relation

Invitation (la sdrt ne possédant pas de relation adaptée ; en tout état de cause,

la relation serait une demande d’action (Xuereb et Caelen, 2005)).

(5.32) [ what are you doing tonight ]_α [ because there’s a good movie on ]_B La justification de la modalité d’énonciation sera analysée comme une

Expli-cation*. La relation Explication*(α, β) se distingue d’Explication par la nature de ses arguments. Toutes deux relient des actes de langage, mais l’identification d’une relation de type R* découle de l’identification d’un sarg particulier :

19. Le speech act related goal, ou but de l’acte illocutoire, est « by default an intention of the utterer of the speech act » (Asher et Lascarides,2003, p. 304).

5.2 Prise en compte de la modalité dans les relations discursives 141

R* holds, where R is the content-level discourse relation [. . . ] if and only if the content of one of the argument (i.e., α or β) stands in the relation R to the fact that the speaker of the orther utterance has the sarg of that utterance (Asher et Lascarides, 2003, p. 335).

Le sarg de α (l’invitation) en 5.2a, qui représente l’analyse de Beeching et de

Fornel, est donc justifié par B. En 5.2b, Sweetser reconnaît un autre sarg pour α, la parce que-C venant expliquer l’énonciation de la question préparatoire tout en réalisant l’acte d’invitation.