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1 | Parce que : des exemples for- for-gés aux données attestées

1.2 Trois domaines d’interprétation de la parce

1.3.1 Une analyse à dominante fribourgeoise

Debaisieux (1994b) analyse pour ce travail de thèse des exemples réels, ti-rés d’enregistrement (entretiens, entrevues radiophoniques, conversations télépho-niques) dans le cadre de la macrosyntaxe fribourgeoise17(Berrendonner et Reichler-Béguelin, 1989). Dans cette approche, l’analyse passe par l’identification de deux unités, la clause et la période.

exemple, mais les critères (comme la volition) ne sont plus susceptibles d’une caractérisation syntaxique.

16. Ce qui est illustré par l’exemple (7) (op. cit., p. 328) repris ici :

(i) The fifth position break is in a lot of dances. Especially in a lot of Latin dances. Because this is the fifth position break. (Demonstrates)

où la because-c n’est clairement pas causalement reliée à son contexte gauche (l’ensemble « be-cause-c + démonstration » pourrait être analysé comme une Élaboration d’Entité en sdrt).

1.3 Les analyses macrosyntaxiques de Debaisieux 27

La clause est un « îlot de dépendance grammaticale » (Berrendonner, 2002a, p. 29). Un des critères permettant le découpage d’un texte en clauses est le com-portement des anaphoriques : à l’intérieur d’une clause, un pronom ne peut être remplacé par une description définie sans changement de sens. Nous reprendrons les exemples de (Berrendonner, 1990) :

(1.18) a. Un philosophei n’ignore pas qu’ili est mortel.

b. Marie a consulté un philosophei. Ili lui a rappelé qu’elle était mor-telle.

En(1.18-a), le remplacement de il par une description définie (par exemple ce

sage) fait disparaître le lien avec l’antécédent, ce qui n’est pas le cas avec(1.18-b): (1.19) a. *Un philosophei n’ignore pas que ce sagei est mortel.

b. Marie a consulté un philosophei. Ce sagei lui a rappelé qu’elle était mortelle.

La clause est l’unité maximale de microsyntaxe, le domaine de la rection, au sens d’« implications de cooccurrence entre des segments » (Berrendonner et Reichler-Béguelin,1989, p. 114). L’identification de ce lien de rection fribourgeoise n’est pas toujours aisée (cf. section 2.1), mais en l’occurrence, les tests distinguant les parce que opérateurs et connecteurs sont opératoires (Groupe de Fribourg,2012, p. 66). La clause est donc aussi le domaine des parce que connecteurs microsyn-taxiques. Dans les constructions avec un parce que microsyntaxique, la parce que-C est un élément régi de la clause, qui peut porter sur le verbe (généralement tensé) ou sur le verbe et ses compléments. Ladite clause forme alors une « unité communi-cative unique formée de deux constituants non autonomes, dont l’un est introduit par parce que » (Debaisieux, 1994b, p. 78), non autonomes vu (1.20), qui affirme (dans une des lectures) que le mariage de Pierre n’est pas motivé par l’argent : (1.20) Pierre n’a pas épousé Marie parce qu’elle est riche

sans la parce que-C , l’information est différente (Pierre n’a pas épousé Marie). Dans cette approche, les niveaux microsyntaxique et macrosyntaxique sont mutuellement exclusifs. La clause est une « unité-seuil, séparant deux ordres de la combinatoire syntaxique » (Berrendonner, 1990, p. 26). Son énonciation devient l’unité minimale de la macrosyntaxe. Des énonciations peuvent se regrouper au sein d’une unité macrosyntaxique maximale, la période.

La période est « une suite d’énonciations formant un programme discursif

com-plet, qui est marqué par la présence sur son dernier terme d’un intonème conclusif » (Berrendonner, 1990, p. 22). La période est le domaine de la présupposition : les

28 Chapitre 1 Parce que : des exemples forgés aux données attestées énonciations (ou les éléments de même rang) entretiennent des relations pragma-syntaxiques, qui « repose[nt] sur des rapports de présupposition ou de production

d’information ». La période, et non la clause, est également le domaine des parce

que macrosyntaxiques.

Pour Debaisieux, parce que connecteur macrosyntaxique possède deux fonc-tionnements, en incise et en enchaînement, illustrés en (1.21-a) et (1.21-b), res-pectivement :

(1.21) a. JC1 : donc il y avait les projets euh de gestion c’est à dire remettre

en place un nouveau système comptable remettre en place un logiciel personnel et puis il y avait en même temps à remettre en place un nouveau système de supervision (parce qu’il s’agissait d’une société de pipeline) donc il fallait euh relooker le système de supervision du p∼ . . .

b. . . . du pipeline système de p∼ parce qu’un pipeline si vous voulez c’est là aussi c’est un outil très très pratique mais qui a aussi quelques faiblesses

(91ajc1CG_reconversion_pcq2&3, simplifié) Ces fonctionnements « sont tendanciellement associés à deux valeurs pragmatico-sémantiques que l’on peut étudier en termes d’organisation discursive » (Debai-sieux, 1994b, p. 39) : une valeur d’explication ou de justification pour le fonction-nement en enchaîfonction-nement (parce que organise des « séquences textuelles ») et une valeur de « régulation » pour le fonctionnement en incise, où parce que introduit des « unités communicatives », lesquelles, bien que pouvant interrompre le fil du discours, assurent sa cohérence.

1.3.1.1 Régulation en incise

Le besoin de régulation, plus présent à l’oral, découle des maximes conversa-tionnelles de Grice (1975), plus précisément des maximes de relation et de ma-nière (soyez pertinent, évitez l’ambiguïté). Debaisieux (1994b, p. 156s) distingue la régulation par cadrage, où la parce que-C fournit les éléments nécessaires à l’in-terprétation de (1.22)18, et la régulation par recadrage, où les éléments fournis permettent de suspendre l’interprétation immédiatement disponible, en en favori-sant une autre, moins accessible (1.23).

18. Ce sont les parce que de cohésion de Debaisieux et Deulofeu (2006), lesquels « introdui[sen]t des unités communicatives qui, tout en interrompant la cohésion du discours, régulent la construc-tion d’une cohérence discursive commune ».

1.3 Les analyses macrosyntaxiques de Debaisieux 29 (1.22) E : oui ton école de commerce c’est une école euh spécialisée ? parce que

tu fais euh tu travailles en alternance et en général ça se fait pas ? non ?

EP1 : si si c’est la spécialité qui présente et euh j’ai choisi (parce qu’il

y a le choix entre euh continu ou alternance) donc j’ai choisi alternance donc je suis de lundi à mardi à l’école et mercredi à vendredi dans une entreprise

(75xep1CG_alternance_pcq2) (1.23) AD1 : oui alors je suis restée quelques jours là dans dans cette euh famille

euh je suis arrivée je crois le lundi et on s’est mariés le dimanche (parce

que) euh le dimanche suivant (parce que j’étais mariée à la mairie mais

pas à l’église encore et il voulait que je me marie à l’église arménienne) alors euh c’est pour ça que sinon oui j’ai j’ai découvert un Paris euh tout tout démoli tout triste tout

(75xad1CG_mariage) Dans les cas de régulation par recadrage, la lecture causale des parce que-C est particulièrement affaiblie, la parce que-C annulant des présupposés ou des implicatures conversationnelles introduits lors de l’énonciation de sa base.

Debaisieux (1994b) distingue deux types d’incises, selon qu’elles introduisent, ou pas, un effet de régulation. Les incises sans effets de régulation correspondent à « l’injection d’un ’programme discursif secondaire’ par rapport au programme discursif dans lequel le locuteur est engagé » (op. cit. : 245). Il s’agit, pour le locuteur, d’organiser les éléments du discours, les incises introduisant des éléments considérés comme étant de moindre importance (1.24).

(1.24) E : et un C.A.P. c’est euh comme au lycée c’est une école ou c’est un

apprentissage ?

MS1 : euh c’est une école c’était sur trois ans donc il y avait des cours euh

des cours de tout hein de de français de maths d’histoire de géo l’anglais euh et puis donc euh de du secrétariat on nous a de la dactylographie de la sténo (parce que j’ai appris la sténo) et puis euh de la comptabilité

(12ams1CG_sténo, simplifié) En (1.24), la parce que-C s’insère dans une structure en liste (Blanche-Benveniste

et al.,1990, p. 43). Cette incise pourrait être un commentaire du locuteur (qui don-nerait son point de vue sur cet apprentissage, marquant la surprise ou l’évidence) ; il semble néanmoins difficile d’identifier ici une relation causale.

30 Chapitre 1 Parce que : des exemples forgés aux données attestées

1.3.1.2 Organisation de séquences textuelles

Le fonctionnement en enchaînement de parce que, bien que prototypiquement associé à une valeur explicative (1.26) ou justificative (1.27), peut aussi avoir une valeur de régulation. Les enchaînements à effet de régulation sont peu fréquents et difficiles à identifier formellement, mais (1.25) pourrait être un bon exemple de régulation par recadrage : la parce que-C vient annuler la présupposition « l’achat est motivé par un caprice » de la base, en assertant la nécessité de chaussures spé-cifiques. Selon Debaisieux (1994b, p. 213), les séquences explicatives (les lectures de contenu) et justificatives (portant sur la composante interpersonnelle) se dis-tinguent formellement : « en ce qui concerne les séquences explicatives, les formes remarquables19sont celles des macro-propositions introduites par parce que [...] En revanche, pour les séquences justificatives, les formes remarquables se retrouvent à la fois dans la base et dans la macro-proposition justificative ».

(1.25) LA1 : et puis vendredi il y a la fête du club c’est les dix ans donc on

va danser et tout machin on va danser c’est sympa et je voulais j’avais envie d’une paire de chaussure de danse parce qu’en fait tu danses pas du tout avec tes chaussures de ville j’ai des chaussures de ville mais en fait on danse sur du parquet tu sais

E : ah ouais donc euh

(91aal1CL_chaussures_actuelles_pcq5) (1.26) LH1 : non moi c’est vrai que pour moi euh revenir à Domfront le weekend

euh c’est c’est l’excitation le vendredi soir je retrouve tous mes copains de Domfront les petits potins de la semaine et tout

E : mmh

LH1 : parce qu’on s’est pas vus pendant une semaine je retrouve euh

mes copines mes copains mon copain enfin tout ça c’est c’est super (61alh1CG_jeunesse_pcq1) (1.27) JD1 : tu étais content de la précédente quand-même

JP1 : oui oui oui mais là bon éviter le plus possible des opérations parce que bon on a dit comme le dit le docteur hein il vous faudrait vous refaire

(12ajp1CL_hanche_pcq2)

19. Ces formes sont remarquables car non canoniques. Les parce que-C explicatives sont ainsi souvent formées d’une succession de constructions verbales, ce qui les éloignent de la proposi-tion tradiproposi-tionnelle. Les parce que-C justificatives, quant à elles, viennent parfois expliquer une modalité d’énoncé marquée dans la base par une unité illocutoire associée (une parenthétique) comme je crois ou je pense (cf. section5.2.1), unité dont la relation avec la base n’est pas d’ordre rectionnel (Kahane et Pietrandrea,2012).

1.3 Les analyses macrosyntaxiques de Debaisieux 31 L’intérêt de la macrosyntaxe fribourgeoise réside en partie dans la notion de

mé-moire discursive, « l’ensemble évolutif de représentations publiquement partagées

qui s’élabore [. . . ] coopérativement au long d’un discours » (Groupe de Fribourg,

2012, p. 22). Dans ce modèle, cet ensemble est enrichi à chaque énonciation de

clauses, laquelle signifie leur passage en mémoire discursive. Comme le remarquent

Debaisieux et Deulofeu (2006), cette mémoire discursive20 est composée d’« ob-jets sémiotiquement diversifiés21» qui tous sont susceptibles d’entrer sous la portée gauche d’une parce que-C . Si le modèle de Verstraete (1998,1999,2007) proposait une explication syntaxique aux différents domaines d’établissement de la causalité des constructions en parce que, à travers la mise en relation de la parce que-C avec le contenu ou une des composantes interpersonnelles de l’énonciation précédente, le modèle et l’analyse de Debaisieux (1994b) ont un pouvoir explicatif et prédictif plus important. Une parce que-C macrosyntaxique (un connecteur ad-M, M étant la mémoire discursive) peut être mis en relation avec tous les éléments de ladite mémoire, et la causalité n’est plus la valeur sémantique par défaut de la relation.