R´ esonateurs lin´ eaires supraconducteurs 2
2.5 Dissipation dans les r´ esonateurs supraconducteurs
2.5.3 Mod` ele Caldeira-Leggett de la dissipation dans les r´ eso- eso-nateurseso-nateurs
Pour rendre mon approche pleinement coh´erente avec la m´ecanique quantique, je m’attarde maintenant `a obtenir un mod`ele Caldeira-Leggett pour les pertes ohmiques, di´electriques et radiatives dans le r´esonateur. Dans le cadre du mod`ele d’amortissement proportionnel, cela ne revient alors qu’`a consid´erer l’effet de bains ind´ependants agissant sur l’ensemble des oscillateurs harmoniques repr´esentant le r´esonateur en pr´esence de capacit´es de couplage aux lignes externes.
Taux de relaxation r´esistif
Les pertes ohmiques ´etant caus´ees par les fluctuations de fluxφν `a travers l’imp´edance Z[ω]en s´erie avec l’inductance de la ligne, le couplage flux-flux avec le bain prend alors la formeHm,R =PνgRm,νψˆmφˆν o`u l’op´erateur de flux du bain s’´ecritφˆν =q~/2Cνων(b†ν+bν) et le param`etre de couplage r´esonateur-bain ohmique gm,νR demeure inconnu.
Dans l’approximation s´eculaire n´egligeant les termes proportionnels `a a†mb†ν +ambν oscillant rapidement, l’hamiltonien d’interaction entre un mode m du r´esonateur et le bain ohmique s’´ecrit
Hm,R =X
ν
~λRm,νb†νam+bνa†m. (2.93)
o`u les amplitudes de couplage λRm,ν sont telles que λRm,ν = gm,νR
2
√ 1
CΣCνωmων. (2.94)
Apr`es ´elimination des degr´es de libert´e du bain et suivant l’approche pr´esent´ee `a l’An-nexe A, j’obtiens de nouveaux dissipateurs dans l’´equation maˆıtresse du r´esonateur de la forme κRm(ωm)D[am]ρ+κRm(−ωm)D[a†m]ρ, o`u le taux de relaxation r´esistif κRm est de la
forme de l’´Eq. (2.54). En particulier, si on d´efinitgm,νR ≡qCΣωmων/L0, on trouve que le taux de relaxation r´esistif s’´ecrit simplement
κRm(ω) = <{Z[ω]}
L0 , (2.95)
soit de la mˆeme forme que le r´esultat d´eriv´e des ´equations de Kirchoff `a l’´Eq. (2.91). En associant la partie r´eelle de l’imp´edance `a la r´esistance de surface <{Z[ω]} = FR0s(ω), l’´Eq. (2.95) d´ecrit le taux de relaxation r´esistif d’un mode du r´esonateur coplanaire.
Taux de relaxation di´electrique
Les pertes di´electriques sont provoqu´ees par les fluctuations de la charge qˆν `a tra-vers l’admittance Y[ω] de sorte que le couplage avec le bain est donn´e par Hm,D =
P
νgm,νD ψˆmqˆν. Ce couplage charge-flux est analogue `a un amortissement proportionnel `a la vitesse dans un syst`eme m´ecanique. Encore ici, le param`etre de couplagegm,νD est `a d´ e-terminer. D`es lors, l’hamiltonien d’interaction r´esonateur-bain di´electrique s’´ecrit (apr`es l’approximation s´eculaire)
Hm,D =X
ν
~λDm,νb†νam+bνa†m, (2.96)
avec une amplitude de couplage de la forme λDm,ν = gm,νD
2
sCνων
CΣωm. (2.97)
Suivant la mˆeme d´emarche que pr´ec´edemment, des dissipateurs similaires sont obtenus avec un taux de relaxation di´electrique qui se simplifie `a
κDm(ω) = <{Y[ω]}
C0 , (2.98)
soit le r´esultat escompt´e de l’´Eq. (2.92), si au pr´ealable on a d´efini le couplage gDm,ν ≡
q
CΣωmων/C0. Ainsi, le taux de relaxation di´electrique d’un mode du r´esonateur est obtenu en choisissant <{Y[ω]}=C0ωtan [δ].
On peut gagner beaucoup plus d’intuition sur la formulation des couplages aux bains en utilisant les propri´et´es des modes propres du r´esonateur. En effet, on sait que la valeur RMS du potentiel et du courant sont respectivement donn´es par VmRMS(x) =
§2.5. Dissipation dans les r´esonateurs supraconducteurs 51
q
~ωm/(2CΣ)|um(x)| et ImRMS(x) = q~/(2CΣωm)|∂xum(x)/L0(x)|. En utilisant les pro-duits scalaires aux ´Eqs. (2.76) et (2.77) et le fait que le mod`ele d’amortissement soit proportionnel `a C0 et L0, on peut d´emontrer que les puissances dissip´ees par unit´e de temps, ~κR(D)m ωm, s’´ecrivent tel qu’attendu dans un circuit ´electrique. Comme Z[ω, x]et Y[ω, x]peuvent en g´en´eral va-rier selonxde sorte `a respecter le mod`ele d’amortissement proportionnel, les fluctuations de charge et de flux sont donc fonctions de la position.
Pour ˆetre rigoureux, le mod`ele de Caldeira-Leggett pour des pertes intrins`eques doit
´
egalement tenir compte du changement de la vitesse de phase dans le milieu donn´e par κDmκRm. Pour ce faire, un terme suppl´ementaire de la forme
doit ˆetre ajout´e dans l’hamiltonien pour renormaliser l’´energie potentielle du syst`eme. `A l’aide des d´efinitions d’admittance et d’imp´edance g´en´eralis´ees, le d´ecalage en fr´equence tel que pr´evu dans le mod`ele classique suivant ω02m =ωm2 −κRmκDm, est obtenu.
Taux de relaxation radiatif
En couplant des lignes `a transmission externes d’imp´edance Z(ω) au r´esonateur, les photons contenus dans ce dernier pourront alors s’´echapper dans le continuum. Le la-grangien total du circuit donn´e par l’´Eq. (2.80), dans la base des modes propres{m} du r´esonateur l’hamiltonien total dans la repr´esentation Caldeira-Leggett des imp´edances d’entr´ees et de sortie s’´ecrira
Hˆ =X
L’ensemble des oscillateurs harmoniques Hˆm est coupl´e aux bains Hˆα (avec α=e,s) par un terme interaction charge-charge :
Hˆα,m =X
ν
Cαum(xα)
CΣCν qˆνqˆm. (2.103)
Dans l’approximation s´eculaire, l’interaction Hˆα,m prend la forme de l’´Eq. (2.49) avec comme amplitude de couplage
~λ(α)m,ν = Cα 2
sωmων CΣ
q
ωνZ(α)ν um(xα) (2.104)
avec Z(α)ν = qLν/Cν est l’imp´edance caract´eristique de l’oscillateur de fr´equence ων = 1/√
LνCν du bainα. Le taux de relaxation d’un photon du modemdu r´esonateur provient de la contribution des deux bains, κextm = Pακαm(ωm). `A partir de l’´Eq. (2.54) pour le taux de relaxation et de la forme du couplageλm,ν de l’´Eq. (2.104), on trouve que le taux de relaxation radiatif au port α s’exprime selon
καm(ω) = C2αu2m(xα)ωm
2~CΣ SV(α)ˆVˆ(ω). (2.105)
Proportionnel `a la densit´e spectrale de bruit du potentiel SVˆVˆ(ω), le taux d´epend de mani`ere quadratique de la capacit´e de couplage et de l’amplitude du champ `a l’extr´emit´e.
Comme j’ai montr´e `a la section §2.4.2, l’amplitude um(xα) est fix´ee par des condi-tions aux fronti`eres qui d´ependent du ratio de l’imp´edance de la capacit´e `a la sortie et de l’imp´edance caract´eristique de la ligne, ZCe(ωm)/Z0. On s’attend alors `a ce que le comportement du taux de relaxation refl`ete le caract`ere de filtre passe-haut des capacit´es.
Dans la situation o`u Ce=Cs, pour les modes de basse fr´equence avec|ZCe(ωm)| Z0,
|um(xα)| ≈√
2, le taux de relaxation total dans la limite quantique prend la forme κextm = 4Ce
CΣω2m<{Z[ωm]}. (Limite basse fr´equence) (2.106) Dans l’approximation ohmique des bains o`u<{Z[ω]}=R, le taux a une d´ependance qua-dratique de la fr´equence du mode et il s’agit du r´esultat standard en utilisant l’approche classique des imp´edances de circuits [34].
Dans la limite des hautes fr´equences, le comportement deκextm est tout autre puisque les capacit´es de couplage ne se trouvent plus `a isoler le r´esonateur du bruit `a hautes
§2.5. Dissipation dans les r´esonateurs supraconducteurs 53 fr´equences. Lorsque|ZCe(ωm)| Z0, j’ai d´emontr´e `a la pr´ec´edente section que l’amplitude suit |um(xα)| ≈√
2ZCe(ωm)/Z0 et le taux de relaxation total est alors donn´e par κextm ≈ 4
R(ωm)CΣ, (Limite haute fr´equence) (2.107)
ce qui correspond au taux de d´echarge d’une capacit´e CΣ/2connect´e `a deux r´esistances effectives R(ω) = Z02/<{Z[ω]} plac´ees en parall`ele. Ind´ependant des capacit´es de couplages et du mode du r´esonateur, le taux de relaxation `a haute fr´equence devient constant si <{Z[ω]}=R. Finalement, on note que les lignes `a transmission ne procurent aucun d´ecalage de fr´equence ∆m des modes du r´esonateur suivant l’´Eq. (2.53) si elles sont consid´er´ees comme des bains ohmiques avec ={Z[ω]}= 0.
On en conclut donc que la d´ependance enω2mdu taux de relaxation radiatif n’est bonne que pour les premiers modes du r´esonateur puisque le taux se trouve ´eventuellement `a saturer aux hautes fr´equences. Comme on le verra au prochain chapitre, ce comportement est d’une grande importance dans le calcul du taux d’´emission spontan´ee d’un qubit supraconducteur situ´e dans un r´esonateur.
2.5.4 R´ esultats
Ayant mod´elis´e le r´esonateur et ses sources de bruits, on est ainsi en mesure de mieux comprendre l’influence des sources de pertes sur les qualit´es de propagation de signaux et de stockage de photons d’un r´esonateur coplanaire supraconducteur.
A cette fin, je fais une analyse quantitative des diff´` erents processus de pertes en fonction de la fr´equence des modes d’un r´esonateur supraconducteur homog`ene typique des exp´eriences en ´electrodynamique quantique en circuit. Ayant les dimensions {t=
200 nm, S= 5 µm, S+2W= 15 µm}, la ligne `a transmission supraconductrice poss`ede une imp´edance caract´eristique de Z0 = 50 Ω ainsi qu’une capacit´e et une inductance par unit´e de longueur de C0 = 0.151 nF/m et L0 = 0.378 µH/m respectivement. Long de 2` = 1.23cm, le r´esonateur `a une capacit´e de couplage `a l’entr´ee Ce = 1.5 fF beaucoup plus petite que celle `a la sortie Cs = 60fF. Le r´esonateur a son premier mode `a la fr´equence ω1/2π = 5.21GHz et est essentiellement harmonique avec ωm ≈ mω1. Finalement, on prend une tangente de perte conservatricetan [δ] = 10−5 et une r´esistivit´e du m´etal dans l’´etat normal de ρN ∼ 2× 10−9 Ωm [34] ou de ρN ∼ 4×10−8 Ωm [73] selon que le r´esonateur est fait d’aluminium ou de niobium.
0 200 400 600 800 1000 104
Al Nb
0 200 400 600 800 1000
104 106
102 100 10-2
102 100
a) b)
Al Nb
Figure 2.7: Taux de relaxation dans un r´esonateur supraconducteur. Taux de re-laxation κm en a), et facteurs de qualit´e Qm =κm/ωm en b), en fonction de la fr´equence du mode du r´esonateur ωm pour les m´ecanismes de pertes : radiatives `a l’entr´ee (κem, Qem) et `a la sortie (κsm,Qsm), di´electriques (κDm, QDm) et r´esistives (κRm, QRm). Les param`etres du r´esonateur sont donn´es dans le texte. Dans les hautes fr´equences le taux de relaxation radiatif tend vers la limite de l’ ´Eq. (2.107) de2/RCΣ. Les pertes r´esistives n’apparaissent que lorsqueω >2∆/~, soit `a∼90 GHz pour l’aluminium, ou `a∼660GHz pour le niobium. Mˆeme pour des fr´equences bien au-del`a du gap supraconducteur, le r´esonateur conserve un facteur de qualit´e Q1/2et demeure un bon guide d’onde malgr´e les fortes pertes.
Avec ces param`etres, on obtient les taux de relaxations radiatif (κe(s)m ), ohmique (κRm) et di´electrique (κDm) en fonction de la fr´equence des modes du r´esonateur, taux qui sont repr´esent´es `a la Fig. 2.7. On constate alors qu’´etant donn´e la tr`es faible tangente de perte, les pertes di´electriques demeurent faibles en comparaison avec des pertes radiatives.
Elles ne se trouvent `a dominer la relaxation que pour les premiers modes et lorsque le r´esonateur est tr`es faiblement coupl´e aux ports d’entr´ee/sortie. C’est dans cette situation que le temps de d´ecoh´erence des photons dans le r´esonateur est maximal et peut atteindre 1/κ∼5µs.
Ayant initialement un comportement suivant ωm2, les pertes radiatives tendent et saturent vers la limite haute fr´equence `a l’´Eq. (2.107) rapidement lorsque la capacit´e de couplage devient importante. Cette limite haute fr´equence est du mˆeme ordre que les pertes ohmiques au-del`a du gap supraconducteur du m´etal, et comparable aussi `a la s´eparation en fr´equence des modes du r´esonateur (ωm+1 −ωm)/2π ≈ 5 GHz. `A partir de ce moment, les fr´equences de r´esonance du r´esonateur sont mal d´efinies et on peut
`
a toutes fins pratiques consid´erer le r´esonateur comme une simple ligne `a transmission bruyante dans ce r´egime. En regard aux facteurs de qualit´e de la Fig. 2.7b), on en conclut que le r´esonateur reste un bon milieu de propagation pour les ondes ´electromagn´etiques mˆeme `a tr`es hautes fr´equences malgr´e les fortes pertes ohmiques puisque les facteurs de