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Chapitre 1 : Introduction générale

2. Créativité et personnalité

2.2. Modèles de la personnalité plus parcimonieux

Les modèles en cinq facteurs évoqués ci-dessus, s’ils sont relativement consensuels, ne font pas pour autant l’unanimité. Il existe plusieurs alternatives au Big Five, et en particulier des théories issues de l’approche psychobiologique. Dans cette sous-section nous allons considérer ces autres modèles et leurs différences/similitudes avec le Big Five.

2.2.1. Modèles en trois facteurs

D’une manière générale, l’approche psychobiologique propose des modèles plus parcimonieux, qui retiennent un plus petit nombre de facteurs fondamentaux, le plus souvent trois10. Par exemple, Hans Eysenck et collègues (H. J. Eysenck & M. W. Eysenck, 1985; H. J.

10 Il existe deux principales exceptions à cette tendance : (1) le modèle Zuckerman-Kuhlman (voir p. ex.

Zuckerman, 2002), qui consiste en un Big 5 alternatif (i.e, sociabilité ; activité/énergie ; anxiété ; impulsivité ; agression/hostilité) ; (2) le modèle proposé par Cloninger (1987; Cloninger, Svrakic, & Przybeck, 1993), qui

Eysenck & S.B.J. Eysenck, 1991) ont proposé un modèle en trois facteurs : Extraversion (E), Névrosisme (N) — très similaires aux facteurs E et N décrits plus haut —, et Psychoticisme (P), qui se manifeste principalement par de l’agressivité, de la froideur et de l’impulsivité.

Dans une perspective très similaire, Clark et Watson (1999; Watson & Clark, 1992, 1993) propose également un modèle en trois facteurs : Affectivité Positive (très proche de E), Affectivité Négative (très proche de N) et Désinhibition (opposée à Contrainte ; proche du P de Eysenck), dimension avec peu ou pas d’implications affectives directes, qui joue plutôt un rôle de régulation — où la désinhibition implique de l’impulsivité et des comportements à risque, alors que la contrainte implique une plus grande maîtrise de ses affects et son comportement. En comparant leur modèle avec celui d’Eysenck et avec d’autres, Clark et Watson (1999) démontrent également de grandes similitudes entre les modèles en trois facteurs qui, bien que nommés différemment, corrèlent fortement et représentent des construits très similaires.

Ces approches plus parcimonieuses (trois facteurs plutôt que cinq) associent plus clairement les facteurs de personnalité à des substrats biologiques et mettent plus l’accent sur leur rôle au fil de l’évolution. Ainsi, de ce point de vue biologique et évolutionniste, l’E/sociabilité (positivement associée à la dopamine) correspond à un système d’approche, qui permet d’orienter l’organisme vers des stimuli agréables ou impliquant une récompense ; le N/anxiété (positivement associé à la adrénaline, noradrénaline et sérotonine) correspond à l’excitabilité du système nerveux autonome, à la vigilance et à la fuite face à des stimuli potentiellement menaçants ; le P/impulsivité (positivement associé à la sérotonine) est associé la désinhibition et à une forte sensibilité aux stimuli externes (positifs ou négatifs), même de faible intensité, ce qui provoque de la distractibilité et une tendance excessive à poursuivre des satisfactions à court terme et/ou à exagérément éviter les difficultés (Clark & Watson, 1999; Eysenck & Eysenck, 1985; Zuckerman, 2005).

Si l’on confronte les deux approches (modèle en cinq facteurs et modèle en trois facteurs), on peut d’abord noter que les deux facteurs les plus consensuels sont N et E, retrouvés dans tous les systèmes avec des définitions très similaires. Il existe également un consensus assez grand autour des facteurs C et A, qui seraient des facettes du P ou de la Désinhibition (e.g., Zuckerman, Kuhlman, Joireman, Teta, & Kraft, 1993)11. Un point de

retient quatre traits de tempérament aux bases essentiellement biologiques (i.e., évitement de la douleur, recherche de nouveauté, dépendance à la récompense et persistance).

11 A et C sont en lien négatif avec le P et la Désinhibition.

discussion consiste à savoir si C et A doivent être gardés distincts, ce que tendent à montrer les analyses factorielles basé sur le lexique, ou s’ils doivent être regroupés dans un super facteur tel que le psychoticisme, ce que tendent à préférer, pour de raisons théoriques, les tenants de l’approche psychobiologique (e.g., Eysenck, 1992a). Par ailleurs, le facteur O est le plus spécifique des modèles en 5 facteurs ; il est peu représenté dans des solutions plus parcimonieuses (Clark & Watson, 1999; Zuckerman et al., 1993). Dans la perspective des modèles en 3 facteurs, O partage néanmoins quelques caractéristiques avec l’extraversion et, dans une moindre mesure, avec le psychoticisme (Eysenck, 1993; Peterson & Carson, 2000;

Peterson et al., 2002). D’une manière générale, ce facteur O est difficile à cerner et plusieurs études continuent d’investiguer sa nature à l’heure actuelle (DeYoung et al., 2012; DeYoung, Shamosh, Green, Braver, & Gray, 2009).

2.2.2. Modèle en deux facteurs

Des travaux récents ont permis de montrer que deux facteurs de second ordre peuvent être extraits à partir des corrélations entre les facteurs du Big Five : Stabilité et Plasticité (Chang, Connelly, & Geeza, 2012; DeYoung, 2006; Digman, 1997). Ce modèle est intéressant car il permet une synthèse parcimonieuse de la précision apportée par les Big Five.

Comme représenté sur la Figure 2, la Stabilité regroupe A et C, ainsi que N (inversé).

Ce facteur inclut donc aussi implicitement le P d’Eysenck (1992b), ainsi que l’impulsivité et l’agression/hostilité de Zuckerman (2002). La Stabilité représente le besoin de maintenir une organisation stable des fonctions psychologiques et a pour conséquence un fort contrôle de soi, une socialisation élevée et une tendance au conformisme ; ce facteur est également lié à la sérotonine, hormone dont le rôle est de réguler la stabilité des émotions et du comportement (Chang et al., 2012; DeYoung, 2006; DeYoung, Peterson, & Higgins, 2002; Digman, 1997).

La Plasticité regroupe les deux facteurs restants, c’est-à-dire E et O. Ce facteur de second ordre représente la recherche de sensation, ainsi que le besoin d’explorer et d’assimiler des informations nouvelles. Ce facteur est lié au système dopaminergique, qui médiatise le comportement d’approche, l’affect positif et la sensibilité à la récompense (Chang et al., 2012; DeYoung, 2006). Ce facteur serait également positivement lié au développement personnel (Chang et al., 2012; DeYoung et al., 2002; Digman, 1997).

Malgré sa grande parcimonie, ce modèle en deux « super facteurs » a également des limites. En effet, les corrélations entre les facteurs du Big Five et, par conséquent, les saturations des facteurs de second ordre, sont assez faibles. Finalement, la spécificité de chaque facteurs du Big Five est plus importante que la partie commune représentée par la

Stabilité et la Plasticité (DeYoung, 2006). D’après, Chang et al. (2012), la Plasticité serait en fait quasi synonyme de E et la Stabilité quasi identique à l’inverse de N, ce qui pourrait limiter la pertinence de ces facteurs.

Pour conclure, on peut considérer que les différents modèles (en cinq, trois ou deux facteurs) représentent un continuum, de la solution la plus parcimonieuse (i.e., Plasticité et Stabilité) à la plus précise (Big Five). Les relations entre ces différentes solutions sont résumées sur la Figure 2. Ainsi, ces modèles ne sont pas vraiment en concurrence mais plutôt emboités les uns dans les autres. En tout les cas, les facteurs des solutions les plus parcimonieuses (Plasticité, Psychoticisme, Stabilité) peuvent être utiles pour proposer un modèle synthétique des relations entre créativité et personnalité. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Figure 2. Différents modèles factoriels de personnalité

Note. E = Extraversion ; O = Ouverture ; A = Agréabilité ; C = caractère Consciencieux ; N = Névrosisme ; P = Psychoticisme. Les signes « + » et « – » indique des relations positives ou négatives entre différentes dimensions de personnalité.