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Chapitre 1 : Introduction générale

2. Créativité et personnalité

2.1. Modèle de la personnalité en cinq facteurs

Dans cette première sous-section, le but est de présenter d’abord le modèle classique (le plus consensuel) de la personnalité en cinq facteurs. Ensuite les principaux liens entre ces facteurs et la créativité seront passés en revue.

2.1.1. Définition du modèle en cinq facteurs

Le modèle en cinq facteurs (Big Five) est principalement issu de l’analyse de covariance entre les adjectifs décrivant la personnalité dans différentes langues — approche dite lexicale ou psychosociale (e.g., Goldberg, 1993; John & Srivastava, 1999; McCrae &

Costa, 1999). Cette approche retient les cinq facteurs suivants : Névrosisme ou neuroticisme (N), caractérisé par la nervosité, la tension, l’irritabilité et d’une manière générale une propension à ressentir des affects négatifs ; l’Extraversion (E), caractérisée par la sociabilité, l’énergie, l’enthousiasme, la confiance en soi, le goût pour l’aventure et une propension à ressentir des affects positifs ; l’Agréabilité (A), caractérisée par la gentillesse, la coopérativité, l’altruisme, le fait d’être arrangeant et sympathique, chaleureux ; le caractère Consciencieux (C), caractérisé par la tendance à être organisé, fiable, appliqué, discipliné, contrôlé, non-impulsif ; l’Ouverture (O ; parfois aussi nommé Intellect), caractérisée par la curiosité, des intérêts larges et variés, le goût pour l’imagination, la culture et la créativité.

Ces cinq facteurs sont retrouvés en utilisant différentes descripteurs (adjectifs seuls ou phrases), différentes méthodes (réponses données par le participant lui-même ou par un pair), ainsi que dans différentes cultures (DeYoung, 2006; Goldberg, 1993; John & Srivastava, 1999; McCrae & Costa, 1997a; Plaisant, Courtois, Réveillère, Mendelsohn, & John, 2010;

Rolland, 2004; Saucier, 1994). Il existe donc un consensus (relatif) autour de ces cinq facteurs et l’ajout d’autre(s) facteur(s) apparait en général peu justifié9. Finalement, les principales dissensions à l’égard de ce modèle en cinq facteurs concernent le manque ou l’absence de théorie sous-jacente pour justifier le nombre et le statut des facteurs retenus ; d’autres approches ont été ainsi proposées. Nous reviendrons sur ces questions (2.2.1. Modèles en trois facteurs, p. 42). Avant cela, considérons déjà quelles relations la créativité entretient avec ces cinq facteurs.

2.1.2. Liens entre les cinq facteurs et la créativité

D’une manière ou d’une autre, chacun des cinq facteurs a été identifié comme étant associé à la créativité. Dans les paragraphes ci-dessous, nous allons rapidement passer ces liens en revue. Ces éléments serviront de base à d’autres développements subséquents.

9 Par exemple, le facteur de Confiance trouvé par certains auteurs (e.g., Boies, Lee, Ashton, Pascal, & Nicol, 2001) apparait plutôt, d’un point de vue théorique, comme un aspect de l’Agréabilité. Quant aux facteurs de valence positive et de valence négative évoqués notamment par Saucier et Goldberg (2006), ils semblent plutôt traduire un effet de méthode reflétant un biais de réponse vis-à-vis de certains items socialement désirables (valence positive) ou indésirables (valence négative).

L'ouverture (O) est le facteur qui est le plus souvent associé à la créativité. Selon McCrae et Costa (1997b), l'ouverture est une des dimensions fondamentales liées au tempérament artistique. Empiriquement, le facteur général O et beaucoup de ses traits sous-jacents (par exemple, la fantaisie, la flexibilité, la curiosité, des intérêts variés) sont positivement liés à pratiquement tous les types de créativité, à tous les niveaux de réalisation (Batey & Furnham, 2006; Feist, 1998, 1999; McCrae, 1987). En outre, selon Batey et Furnham (2006), deux aspectes distincts sont sous-jacents à O : (1) une ouverture aux expériences nouvelles (attitude positive volontaire vis-à-vis de la nouveauté) et (2) une incapacité à inhiber les informations non pertinentes (ouverture perceptive moins contrôlée), qui peut être liée à une facilité d'accès aux idées inattendues et originales. Le premier attribut (attitude ouverte) est le plus classique ; le second attribut (ouverture perceptive) n’a été mis en évidence que plus récemment (Peterson & Carson, 2000; Peterson, Smith, & Carson, 2002).

L’extraversion (E), en tant que facteur associé à la confiance en soi et à la dominance, est en lien positif à la créativité ; Feist (1998) a montré par exemple que les scientifiques sont plus dominant et confiant que les non-scientifiques. Par ailleurs, E est en lien positif avec les performances de pensée divergente, en particulier avec la fluidité (Batey & Furnham, 2006;

Eysenck, 1995). De plus, en tant que facteur associé à l’affect positif, E est indirectement lié à la créativité — l’affect positif étant étroitement associé à la créativité (voir plus haut, 1.2.1.

Personne, p. 23). Enfin, pour le cas spécifique de la sociabilité (qui est une facette de l’extraversion), des relations mixtes ont été trouvées avec la créativité. D’un côté il semble que de hauts niveaux de créativité impliquent de passer beaucoup de temps seul pour penser et élaborer des idées ; mais, d’un autre côté, une forte sociabilité peut impliquer une plus grande diffusion sociale de son travail, indépendamment de sa qualité, ce qui peut avoir un impact positif notamment sur la créativité de tous les jours (Batey & Furnham, 2006; Feist, 1998).

Pour le neuroticisme (N), la spécificité du domaine semble être importante. Selon Feist (1998) les artistes sont plus anxieux, émotifs et sensibles (des traits au cœur du facteur N) alors que les scientifiques sont plus susceptibles d'être émotionnellement stable. Toutefois, ce n’est pas clair si N a simplement une influence sur la préférence pour certains domaines de la créativité, ce qui entraînerait les personnes avec un N élevé à choisir un domaine artistique pour s'exprimer (Eysenck, 1995), ou si N est plutôt un facilitateur dans l'art, qui conduirait à une plus grande sensibilité vis-à-vis des stimuli émotionnels et une meilleure communication des idées liées aux émotions (Batey et Furnham, 2006).

Le caractère consciencieux (C) semble négativement lié à la créativité artistique et positivement liée à la créativité scientifique, la caricature voulant que les artistes soient impulsifs et scientifiques organisés. Bien sûr, la réalité est plus subtile. Tout d'abord, même si les scientifiques sont en moyenne plus élevés sur C que la population générale ou que les artistes, les scientifiques très créatifs, comparativement à des scientifiques moins créatifs, sont plus faibles sur C (Feist, 1998). Deuxièmement, il est très probable que le facteur C masque des spécificités importantes. D’un côté, C est positivement lié à l'énergie, l'organisation et l'efficacité du travail (e.g., Pervin & John, 1999), qui sont favorables à la créativité, en particulier à de hauts accomplissements créatifs. Cependant, C est négativement lié au psychoticisme et à l'inhibition. Or ces deux caractéristiques qui sont positivement liées à la créativité (voir ci-après 2.3.1. Psychoticisme et créativité, p. 46). Par conséquent, le rôle de C est ambigu (nous reviendrons sur ce point).

Enfin, l’agréabilité (A) est le plus souvent négativement associée à la créativité. Les personnes créatives, en particulier les artistes, mais aussi scientifiques, sont plus susceptibles d'être hostiles, asociales et non conventionnelles, ainsi que d’avoir tendance à rejeter les normes (Feist, 1998). Plus récemment, Batey & Furnham (2006) ont examiné plusieurs études montrant que la créativité est associée à de faibles scores sur ce facteur A, les personnes avec de tels scores ayant moins l'esprit d'équipe et étant moins socialisées, moins tolérantes, moins soucieuses de produire de bonnes impressions. Ces résultats peuvent aussi être rapprochés du psychoticisme, qui est négativement lié au facteur A.