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Chapitre 5 : Discussion générale

3. Conclusion

Un des buts principaux de cette thèse était de trouver un modèle qui inclut d’une manière hiérarchiquement structurée la plupart des traits de personnalité connus pour être favorables à la créativité. A partir des trois facteurs initiaux de l’article 1 (Convergence, Divergence, Plasticité) des modifications ont été proposées dans la discussion et un nouveau modèle a été développé. Ce modèle contient également trois facteurs (Désinhibition, Activité et Intellect) et semble convaincant pour plusieurs raisons :

(1) il est bien articulé avec les théories des systèmes complexes dynamiques, chaque facteur représente en effet un aspect important de ces théories (entropie, énergie, organisation) ;

(2) ce modèle est basé sur la distinction entre deux aspects de l’Ouverture, facteur dont l’importance est centrale pour la créativité, mais dont l’unité et la définition ont toujours été remises en question, en particulier ces dernières années ;

(3) ce modèle permet de rendre compte de différents types de créativité (e.g., redéfinition, incrémentation) et de différents niveaux (mini-c à Big-C), ainsi que de certaines différences entre domaines (l’axe Désinhibition-Génération est sans doute plus associé à l’art ; l’axe Intellect-Sélection plus associé à la science)41 ; (4) ce modèle peut également être vu dans le cadre plus général de la Plasticité et de

la Stabilité (Désinhibition est négativement associée à la Stabilité ; Activité et Intellect sont positivement associés à la Plasticité) ;

(5) ces facteurs de personnalité ont été articulés avec les facteurs d’intelligence ; cette articulation constitue un point fort du modèle (cohérence, exhaustivité) et permet de rendre explicitement compte du rôle de la personnalité et de l’intelligence dans l’acquisition de connaissances.

En ce qui concerne le processus et ses aspects dynamiques, un nombre importants de similarités ont été mises en évidence — entre différents domaines (arts visuels et écriture) et à différents niveaux de créativité (créativité de tous les jours et créativité professionnelle). Basé sur une extension des analogies entre ces situations, il a été proposé que le processus créatif

41 Plus en profondeur dans la hiérarchie des domaines (e.g., distinction entre arts visuels et musique), se sont certainement des facteurs spécifiques d’intelligence qui font la différence (e.g., aptitudes de perception visuelle ou aptitudes de perception auditive). Par extension, il est vraisemblable que certaines disciplines plus bas dans la hiérarchie des domaines (e.g., musique classique et heavy metal) soient en lien avec certaines aptitudes cognitives ou certains traits de personnalité très spécifiques (e.g., non-conformisme).

ait une structure fractale ; cette suggestion reste pour l’instant assez spéculative mais mérite sans doute une attention particulière à l’avenir.

Par ailleurs, la distinction entre créativité et intelligence a été questionnée à plusieurs reprises. Il a été notamment suggéré que le facteur de Sélection pourrait être fortement redondant avec l’Intellect et les aptitudes de raisonnement général (Gf), alors que le facteur de Génération pourrait être fortement redondant avec la Désinhibition et les aptitudes générales de récupération en mémoire (Gr). Le fait que la frontière entre intelligence et créativité soit difficile à déterminer suggère — de manière insistante depuis plusieurs décennies — que ces deux concepts devraient être étudiés ensemble. Il existe d’ailleurs plusieurs approches qui stipulent que les mécanismes à l’œuvre dans la créativité et l’intelligence classique ne sont pas différents (Bink & Marsh, 2000; Finke et al., 1992; Hofstadter, 1995a).

La définition populaire de la créativité a toujours fortement assimilée la créativité et l’originalité. Et la recherche a d’ailleurs longtemps été obnubilée par cet aspect d’originalité, peut-être en réponse aux implications normatives des tests d’intelligence classique, peut-être parce que l’originalité est plus fascinante que la pertinence/qualité des idées ou que l’intelligence en générale. Quoi qu’il en soit, soulignons-le encore une fois : dans la perspective qui a été choisie ici, l’originalité est un critère nécessaire mais pas suffisant pour définir la créativité ; la qualité est tout aussi importante.

D’un point de vue plus général, l’ensemble des modèles et théories développés au cours de ce travail a permis un nombre important de synthèses : (1) il a été montré que les approches expérimentales et corrélationnelles peuvent être utilisé de concert (Cronbach, 1957), en particulier ici pour éclairer les questions sur la nature du processus créatif ; (2) nous avons également vu que les réflexions en termes de systèmes complexes peuvent mener à la formulation d’hypothèses testables empiriquement ; (3) du points de vue des travaux classiques sur la créativité en psychologie, les éléments discutés et articulés dans cette thèse permettent de rendre compte de la plupart des théories majeures (e.g., Amabile, 1996;

Eysenck, 1995; Finke et al., 1992; Runco & Chand, 1995; Sternberg, 1999; Sternberg &

Lubart, 1995).

Nous avons également mentionné et démontré par l’exemple que des phénomènes complexes et imprédictibles peuvent être générés à partir de loi déterministes simples (suite logistique, fractales). Ainsi, même si la créativité est un phénomène très complexe, il n’est pas exclu qu’elle soit sous-tendue par un ensemble restreint de règles relativement simples. Le modèle proposé sur la Figure 19 (p. 170) va dans cette direction : il contient un nombre raisonnable de variables mais semble avoir néanmoins un pouvoir explicatif satisfaisant. Ce

modèle est clairement centré sur la personne (variables de personnalité et de cognition en particulier) ; c’est un choix volontaire qui défend le fait que la créativité comme objet d’étude en psychologie doit être focalisée sur les aspects individuels en lien avec le traitement de l’information42.

42 La créativité au niveau social/culturel est plutôt du ressort d’autres disciplines (e.g., anthropologie, sociologie, histoire). Si la société est certes un système composé de personnes, ses règles de fonctionnement transcendent clairement les individus, même s’il existe des analogies entre les deux systèmes (cf. Tableau 14, p. 182).

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