• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Introduction générale

4. Un modèle intégratif de la créativité

4.1. La créativité comme systèmes évolutifs

4.1.2. Génération-variation et Sélection-rétention

Maintenant que nous avons vu le versant systémique de ce modèle, nous allons considérer le versant basé sur la distinction entre deux axes très généraux : (1) le concept de variation issu des approches biologiques (qui correspond à celui de chaos dans les modèles systémique) ; et (2) le concept de sélection des approches biologiques (qui correspond à celui d’ordre dans les modèles systémique). Démontrer le caractère relativement universel de cette distinction au travers de nombreuses approches est le premier objectif de cette section. Puis,

dans un second temps, nous verrons comment cette distinction peut être retrouvée dans les différentes composantes systémiques que nous avons discutées ci-dessus.

Dès le début de ce travail (citation de Plucker et al., 2004 dans la Préface), la créativité a été définie à partir des notions de nouveauté et d’utilité (ou caractère approprié, pertinence).

Par la suite, nous avons vu que, d’une manière similaire, la production créative pouvait être définie à partir des deux critères d’originalité et de qualité (avec un troisième critère, moins clairement identifié, de valeur esthétique). Dans la troisième section, nous avons mis en évidence le rôle de deux types de processus : les processus divergents ou génératifs, qui produisent de la variation dans le système cognitif, et les processus convergents ou critiques, qui permettent l’évaluation et la sélection des meilleures idées. Par ailleurs, dans les sections sur la personnalité et les styles cognitifs, nous avons également évoqué l’existence de groupes de variables représentant les préférences pour un style ou un type de pensée plutôt divergente, par opposition à convergente.

De plus, des distinctions de ce genre étaient déjà omniprésentes dans les approches qualitatives, également examinées en début de chapitre (i.e., divergence des modes de pensée classiques, capacité à générer de nouvelles combinaisons de pensées ; capacité à choisir, à comparer, sélectionner les idées et théories les plus prometteuses). Nous avons aussi évoqué l’importance d’une vie intérieure riche et une affectivité forte, contrôlée par les fonctions intellectuelles et de rapport au monde (Rorschach, 1947). Par ailleurs, en insistant sur le rôle crucial de l’alternance et de la complémentarité entre des processus primaires (i.e., caractérisés par une pensée associative, symbolique, peu consciente, métaphorique) et des processus secondaires (i.e., responsables de la pensée consciente, rationnelle, intelligente), certains psychanalystes (Kris, 1952; Suler, 1980) ont proposé un modèle du processus créatif qui rejoint la plupart des distinctions évoquées jusqu’ici.

Enfin, dans une perspective biologique, Martindale (1999) a proposé des pistes intéressantes permettant d’élaborer encore cette synthèse. Il a notamment mis en évidence certains parallèles entre les processus inconscients, l’attention lâche ou peu focalisée et le faible gradient associatif (voir aussi section 2.3.1. Psychoticisme et créativité, p. 46).

Martindale a insisté également sur le rôle de l’attention et de l’éveil, dont des niveaux assez élevés sont préférables pour les tâches relativement simples, alors que des niveaux plus bas sont requis pour les tâches complexes. D’une manière générale, Martindale a montré que l’activité créative (ou, plus exactement, la phase d’inspiration) est notamment caractérisée par de faibles niveaux d’activation corticale (ce qui implique une attention lâche), ainsi que par

une faible activation des lobes frontaux (impliqué dans l’inhibition)16. Par extension, Martindale a montré que la variabilité de l’attention était positivement associée à la créativité, en favorisant l’alternance entre des phases d’inspiration-génération, qui impliquent une attention lâche, et des phases de sélection-élaboration, qui impliquent une attention soutenue (voir aussi Vartanian, 2009). Ce point peut être rapproché des travaux qui mettent en évidence un lien positif entre créativité et variabilité de l’affect (Frantom & Sherman, 1999;

Nowakowska, Strong, Santosa, Wang, & Ketter, 2005; Richards et al., 1988). Ceci fait d’autant plus de sens que nous avons vu que l’affect implique également des stratégies différentes de traitement de l’information (heuristiques et systématiques), toutes deux utiles à la créativité (bien que le focus soit généralement mis sur l’heuristique).

En résumé, ces derniers paragraphes ont pointé sur le fait que la distinction entre deux dimensions très générales — une de l’ordre de la variation, de la génération d’idée et de la divergence, l’autre de l’ordre de la sélection d’idée, de l’élaboration et de la convergence — se retrouvent aussi bien au niveau de la personnalité, de la cognition et de l’affect. Ceci est résumé dans le Tableau 1, qui croise ces deux dimensions avec les principaux systèmes et sous-systèmes évoqués dans la section précédente. Ce tableau résume tous les éléments les plus importants que nous avons vus dans ce chapitre. Ces dimensions sont parfois considérées comme deux extrêmes d’un même continuum (i.e., divergence est l’opposée de convergence ; voir p. ex. Eysenck, 2003, Kirton, 1976). Ceci est surtout vrai pour certaines manifestations de ces dimensions au niveau de la personnalité. Par exemple, il existe en effet un lien négatif entre le caractère consciencieux et le psychoticisme, qui est un représentant des aspects divergents de la personnalité (cf. 2.2. Modèles de la personnalité plus parcimonieux, pp. 42-45). De même, les styles cognitifs divergent et convergent ont tendance à corréler négativement, mais cette corrélation est souvent modérée, de l’ordre de .30 (Brophy, 2000). A l’inverse, pour ce qui concerne la cognition, on retrouve plutôt des corrélations positives entre des tâches de pensée divergente et des tâches d’intelligence générale (cf. 1.3.1. Créativité et intelligence, pp. 32-34). Au-delà de ces particularités, ces dimensions sont considérées comme relativement indépendantes et surtout comme extrêmement complémentaires ; aucune n’est suffisante, elles sont toutes deux nécessaires à la créativité.

16 Pour d’autres considérations récentes sur les aspects neuropsychologique importants pour la créativité, voir notamment DeYoung et al., (2011), DeYoung, Peterson, & Higgins (2005), DeYoung, Shamosh, Green, Braver,

& Gray (2009), Flaherty (2005), Green, Kraemer, Fugelsang, Gray, & Dunbar (2012), A. B. Kaufman, Kornilov, Bristol, Tan, & Grigorenko (2010).

Tableau 1. Génération-variation et Sélection-rétention dans les systèmes

Pour illustrer encore un peu plus la pertinence pour la créativité des deux dimensions représentées dans ce tableau, reportons quelques citations : « C’est par la logique que nous démontrons. C’est par l’intuition que nous découvrons » (Poincaré, 1913, in Ochse, 1990, p.

243) ; « the successful scientific must simultaneously display the characteristics of the traditionalist and the iconoclast » (Kuhn, 1962, p. 343) ; « effective creativity requires the right mix of imagination and pragmatics » (Simonton, 2003, p. 13) ; « parents and teacher should focus on a balance of convergent and divergent thinking » (Runco & Charles, 1997, p.

140) ; « La capacité qu’a l’artiste d’utiliser des dérivés de processus inconscients, de manière socialement et historiquement adéquate, pourrait bien constituer un facteur important de son talent » (Kris, 1952, p. 182).