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Chapitre 2 : article « créativité et personnalité »

1. Introduction

Dans ce premier chapitre, nous commencerons par un survol des modèles actuels de la créativité, en considérant en particulier les modèles multivariés (section 1). Puis nous analyserons plus en détail les liens entre la créativité et personnalité (section 2), ainsi qu’entre créativité et processus cognitifs (section 3). Ceci afin de proposer un modèle synthétique dans lequel des facteurs de personnalité prédisent des processus cognitifs qui à leur tour prédisent les productions créatives (section 4).

1. Modèles de la créativité

Le but de cette première section est d’examiner les principaux modèles de la créativité.

Pour ce faire, nous considérerons quelles sont les premières approches qui ont permis l’étude de la créativité en psychologie. Ensuite, nous discuterons les principales variables issues de différents modèles multivariés puis, nous dresserons un rapide bilan des limites et controverses liées à ces modèles.

1.1. Histoire et types d'approches

La créativité est un thème qui est largement abordé par un grand nombre de disciplines scientifiques. En psychologie, c’est un domaine de recherche que l’on retrouve dans la plupart des sous-disciplines (cognitive, clinique, développementale, etc.). Ainsi, dans cette première sous-section, nous examinerons ces différentes approches, en commençant par les approches dites qualitatives (e.g., approche biographique, psychanalyse). Puis, dans un second temps, nous nous focaliserons plus strictement sur les approches empiriques quantitatives (approches cognitive, psychométrique, expérimentale)3. Au cours de ce panorama de la recherche sur la créativité, nous commencerons à décrire et lister des éléments théoriques qui seront repris et articulés dans les sections suivantes.

1.1.1. Approches qualitatives

Historiquement, la recherche sur la créativité a commencé tardivement. Comme le montrent Albert et Runco (1999), la créativité était considérée comme étant d’origine divine jusqu’à la renaissance (seul Dieu était, par définition, créateur), époque à partir de laquelle le talent commença à être attribuée aux personnes. Entre les XVème et XVIIème siècles, les conceptions de la créativité semblent avoir peu évoluées, mais les développements des instruments de mesure et de la pensée scientifique ont amorcé les changements à venir. Dans

3 D’autres approches, systémiques et évolutionniste en particulier, seront introduites plus loin (sections 3-4).

les années 1700, des distinctions sont faites entre les concepts de génie, d’originalité, de talent et d’éducation formelle. Une différence nette est maintenue entre les personnes avec du talent, qui pouvait être développé par l’éducation, et le génie, qui était exceptionnel et échappait par conséquent à toutes les règles et obligations classiques.

Cette idée s’est atténuée par la suite et la frontière entre génie et talent s’est peu à peu estompée. Au début du XVIIIème siècle, plusieurs auteurs (e.g., Bethune, Jevons ; cités par Becker, 1995) commencent à organiser et définir plusieurs caractéristiques de la créativité que l’on retrouvera beaucoup dans la littérature du XXème siècle : divergence des modes de pensée classiques, capacité à générer de nouvelles combinaisons de pensées et à les présenter avec force et clarté, capacité à choisir entre différentes options, à comparer et à sélectionner les idées et théories les plus prometteuses ou pertinentes. Cette tradition de recherche, que l’on peut qualifier de biographique ou spéculative, c’est également beaucoup intéressée à la question des liens entre la créativité et la santé mentale, produisant des idées et controverses qui sont encore d’actualité de nos jours (e.g., Silvia & Kaufman, 2010).

En partie issue de ces premiers travaux, l’approche psychanalytique s’est également intéressée à cette question de la créativité et de la santé mentale. D’après cette approche, la personne créative est caractérisée par une vie affective et instinctuelle puissante, qu’elle tente de canaliser et de sublimer, et qui, pour ne pas verser dans la pathologie, doit être contrecarrée par une souplesse du refoulement ou un Moi fort (Domino, Short, Evans, & Romano, 2002;

Kris, 1952; Suler, 1980). Ces propositions sont proches de celles de Rorschach (1947), selon qui la structure du profil artistique est caractérisée par une vie intérieure riche et une affectivité forte, mais bien contrôlée par les fonctions intellectuelles et de rapport au monde.

Des auteurs tels que Rank, Adler et Fromm ont suggéré que la créativité soit le résultat d’une pulsion positive destinée à améliorer le soi et la santé mentale, à travers l’ajustement entre la proximité affective et l’indépendance (Mackinnon, 1965; Ochse, 1990). Ces prises de position sont reprises par Rogers et Maslow, qui placent carrément la créativité au sommet de l’accomplissement humain et de l’actualisation du soi (Ochse, 1990).

Si ces approches sont parfois critiquées pour être peu scientifiques (e.g., Eysenck, 1995), il n’en demeure pas moins que plusieurs idées qui en sont issues ont connu un développement et un fleurissement important au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en prenant des chemins parfois très différents (souvent le plus éloigné possible de la psychanalyse ou de la philosophie), d’autres approches plus modernes ou plus scientifiques ont retrouvé des conclusions qui s’accordent assez bien avec ces premières suggestions.

1.1.2. Approches quantitatives

A partir des idées issues de la révolution Darwinienne, Galton (1869) a opérationnalisé la diversité (liée au processus de variation de l’évolution) comme des différences interindividuelles mesurables, ouvrant ainsi la voie à la psychométrie contemporaine. En accord avec ce que nous avons évoqué ci-dessus, Galton nota également l’existence de liens entre créativité, énergie, forte capacité au travail et psychopathologie (Becker, 1995; Ochse, 1990). Dans la même veine, James (1890) suggère que deux facteurs liés à la personne sont fondamentaux pour la créativité : l’intelligence et l’excitabilité de l’esprit, une proposition qui a été reprise et élaborée par d’autres auteur plus récents (e.g., Eysenck, 1995; Piechowski, 2003). Par ailleurs James insista sur la spécificité de l’idéation créative, basée sur des transitions abruptes d’une idée à l’autre, des combinaisons d’éléments variés ; un processus caractérisé par l’impossibilité d’appliquer des routines, ainsi que par le caractère soudain et imprévisible de la découverte (Becker, 1995).

Basée sur les travaux de ces pionniers de la psychologie scientifique, l’approche psychométrique fut parmi les premières à proposer des mesures de la créativité ou, du moins, des mesures de certaines variables cognitives associées à la créativité. Par exemple, les premiers tests d’intelligence développés par Binet et Simon intégraient des tâches d’imagination, tâches qui ont finalement été exclues car trop différentes de la majorité des autres (Lubart, Mouchiroud, Tordjman, & Zenasni, 2003). Néanmoins, plusieurs modèles de l’intelligence ont repris et intégré par la suite cette dimension d’imagination sous le nom plus spécifique de fluidité (Thurstone, 1938) ou de pensée divergente (Guilford, 1956). D’après Cattell (1971), la créativité serait caractérisée par le facteur général d’intelligence (g), par la fluidité et la flexibilité idéationnelle, ainsi que par certains aspects de l’intelligence cristallisée, tels que les connaissances dans un domaine particulier.

D’une manière générale, la tradition psychométrique est attachée à la qualité de la mesure ainsi qu’à l’organisation formelle des facteurs généraux et spécifiques liés aux capacités cognitives (à l’aide des méthodes d’analyse factorielle). Cette approche a été et reste extrêmement importante pour l’étude de la créativité, au moins pour deux raisons : (1) la psychométrie a également eu une influence majeure dans le champ de la recherche sur la personnalité (Cattell, 1965; Goldberg, 1993) ; (2) les modèles d’équations structurales, qui permettent de tester des hypothèses multivariées et qui sont très utilisés à l’heure actuelle, sont issus de l’analyse factorielle et de cette tradition psychométrique.

Un autre type d’approche important pour la recherche contemporaine sur la créativité est l’approche expérimentale. Cette approche a permis beaucoup de démystification de la créativité grâce à l’étude détaillée de processus particuliers (e.g., formation de métaphores ou d’analogies), ceci dans un contexte contrôlé. Finke, Ward et Smith (1992) ont élaboré un modèle important pour la compréhension de créativité ; ce modèle sera largement détaillé plus loin (3. Modèle du processus créatif, p. 49). Pour l’instant, nous constaterons simplement que cette approche a permis de montrer que la créativité pouvait s’inscrire dans le champ de la cognition normale.

1.2. Modèles multivariés

Issus principalement de l’approche psychométrique évoquée plus haut, les modèles multivariés (ou modèles de confluence, modèles multi-componentiels) sont à l’heure actuelle parmi les plus importants pour modéliser la créativité. Comme la plupart de ces modèles proposent une distinction entre la personne, le processus et la production, nous suivrons cette structure pour les présenter. La plupart des éléments discutés ici seront assez peu développés ; le but étant pour l’instant d’obtenir une vue d’ensemble sur différents résultats et théories, qui seront ensuite repris et élaborés dans les sections suivantes.

1.2.1. Personne

Sans surprise, la personne est une composante centrale de tous les modèles de la créativité en psychologie. Certains mettent l’accent sur la motivation (e.g., Amabile, 1983, 1990), d’autres sur la personnalité (e.g., Eysenck, 1993, 1995), d’autres encore intègrent des variables telles que la cognition (intelligence, connaissances) et l’affect (Lubart et al., 2003;

Mumford & Gustafson, 1988; Runco & Chand, 1995; Sternberg & Lubart, 1995). Tout ce qui concerne la personnalité sera analysé en détail dans la section 2. Créativité et personnalité (p.

39) ; soulignons simplement pour l’instant que les traits de personnalité associés à la créativité sont extrêmement nombreux et que les résultats sont très variables et parfois paradoxaux. Les liens entre créativité et personnalité ne sont en effet pas les mêmes selon que l’on s’intéresse à des traits en particuliers ou à des facteurs d’ordre plus général, ces liens varient aussi en fonction des domaines (e.g., arts ou science) et des niveaux de créativité (e.g., amateurs ou professionnels).

Les variables d’affect (émotion ou humeur4) sont également connues pour leur lien nombreux et complexe avec la créativité (e.g. , Lubart et al., 2003; Russ, 2001). Cette question des liens entre affect et créativité a pendant longtemps été abordée par la psychologie clinique et les études biographiques (e.g. liens entre créativité et dépression, voir p. ex. Post, 1994 ; lien entre la créativité et la manie, voir p. ex. Richards, Kinney, Lunde, Benet, &

Merzel, 1988). Toutefois, le rôle de l’affect normal dans la cognition en général et dans le processus créatif en particulier, est de plus en plus étudié par des approches expérimentales ou quasi-expérimentales. Par exemple, les travaux d’Isen et collègues ont montré l’impact positif de la bonne humeur sur la résolution de problème et l’originalité des associations de mots (Isen, Daubman, & Nowicki, 1987; Isen, Johnson, Mertz, & Robinson, 1985). De même, Vosburg (1998a, 1998b) a montré l’impact positif de l’humeur sur la quantité et l’originalité des idées. L’affect positif semble également être associé à l’activité créative à travers de hauts niveaux d’énergie et de prise de risque (Schwarz, 1990; Shapiro & Weiseberg, 1999). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que la bonne humeur est toujours favorable à la créativité.

Mais la réalité est plus subtile. En induisant un sens critique plus aigu, un traitement de l’information plus analytique et plus approfondi, l’humeur négative peut aussi être utile à la créativité (Kaufmann & Vosburg, 2002; Schwarz, 1990; Vosburg & Kaufmann, 1997).

Pour y voir plus clair sur cette question de l’affect, il peut être utile de distinguer deux dimensions de l’humeur : (1) l’activation, dimension qui est essentiellement physiologique et qui correspond à l’opposition entre éveil vs. repos (calme, fatigue); (2) la valence, dimension plutôt subjective, qui correspond à l’opposition entre le caractère plaisant vs. déplaisant d’un certain état affectif. Cette distinction est aujourd’hui relativement standard et consensuelle ; de nombreux modèles et échelle de mesure peuvent être situés dans cet espace en deux dimensions comme l’on mis en évidence les travaux de Russel et collègues (Feldman-Barrett

& Russell, 1998, 1999; Russell, 1980; Yik, Russell, & Feldman-Barrett, 1999; Yik, Russell,

& Steiger, 2011). Basé sur cette distinction, DeDreu, Baas, & Nijstad (2008) ont démontré que l’activation élevée (éveil) est associée à la fluidité, la flexibilité et l’originalité des idées, alors que la valence négative (insatisfaction) est associé à de la persévérance. Deux méta-analyses (Baas et al., 2008; Davis, 2009) confirment et complètent ces résultats : (1) l’humeur activée et plaisante (e.g., joie, enthousiasme) est positivement associée à la créativité (par

4 L’humeur, par rapport à l’émotion, est un état affectif qui est caractérisé par sa faible intensité, son caractère diffus, sa durée plus longue, ses changements moins rapides et son absence de lien avec un objet particulier (Frijda, 1994; Scherer, 2005).

rapport à une humeur neutre, mais pas par rapport à une humeur négative) ; (2) l’humeur désactivée et déplaisante (e.g., tristesse, lassitude), ainsi que l’humeur désactivée et plaisante (e.g., calme, relaxation) ne sont pas directement associées à la créativité ; (3) l’humeur activée et déplaisante (e.g., peur, anxiété) est en lien négatif avec la flexibilité cognitive (une variable qui est généralement en lien positif avec la créativité).

Proche de l’affect (en particulier de l’énergie), la motivation est également considérée dans de nombreuses approches comme un facteur crucial pour la créativité (e..g, Runco &

Chand, 1995; Sternberg & Lubart, 1995). La figure de proue des travaux sur la motivation et la créativité est certainement Amabile (1983, 1990, 1996), qui a insisté sur le rôle crucial de la motivation intrinsèque, caractérisée notamment par la volonté et le plaisir de s’impliquer dans une activité créative. La motivation extrinsèque, en tant que contrainte extérieure (promesse de récompense, menace de punition), a longtemps été considérée comme uniquement défavorable. Toutefois, il semble qu’elle puisse être favorable lorsqu’elle est associée à une forte motivation intrinsèque, en particulier pour certaines phases du processus créatif, telles que l’élaboration ou le raffinement du travail (Amabile, 1996; D. H. Cropley & A. J. Cropley, 2012; Lubart & Guignard, 2004). Ceci peut être rapproché des aspects de la motivation retenus par Sternberg (1988), en particulier la volonté de surmonter les obstacles, la volonté de se développer, le désir de reconnaissance et la détermination à travailler pour celle-ci. Plus récemment, Runco (2004) a mis l’accent sur la motivation à transformer et à interpréter le monde d’une manière originale, motivation qui doit être associée à l’aptitude permettant de décider quand cela est utile/pertinent ou ne l’est pas. D’autres auteurs encore ont évoqué l’importance de la détermination, ainsi que de l’implication personnelle et de l’absorption dans la tâche (Csikszentmihalyi, 1996; Ochse, 1990; Sheldon, 1995).

Enfin, les styles cognitifs sont aussi souvent considérés comme importants pour la créativité. Sternberg (1988, 1997) a insisté sur le rôle prépondérant du style dit législatif (préférence pour la création de règles), ainsi que sur le rôle du style dit judiciaire (jugement, critique). Sternberg remarque également qu’un minimum de globalité dans le type d’appréhension est nécessaire (i.e., considération d’ensemble, synthèse). Dans une perspective différente, Kirton (1976) a proposé deux styles cognitifs associés à la créativité : (a) le style adaptatif, caractérisé par la précision, la fiabilité, l’efficacité, la prudence et la discipline ; (b) le style innovateur, caractérisé par la découverte de problème, la flexibilité et le non-conformisme. Ces styles sont définis comme deux extrêmes d’un continuum qui peuvent tous deux mener à un certain niveau de créativité, bien que le style innovateur soit en quelque sorte le plus représentatif. En partie basé sur la distinction de Kirton, Brophy (1998, 2000) propose

deux profils : (a) le penseur de type divergent a une tendance à prendre en compte de nombreux stimuli, organiser sa pensée d’une manière flexible et à rechercher toutes sortes d’information, ainsi qu’à faire preuve de plus d’innovation radicale, d’indépendance, de confiance, d’ouverture aux expériences et de tolérance à l’ambiguïté ; (b) le penseur de type convergent a plutôt tendance à faire preuve d’insatisfaction constructive et de persévérance, ainsi qu’à avoir une préférence pour le raisonnement logique et l’évaluation des idées avec les standards en vigueur (voir aussi Basadur, 1995; Epstein, Pacini, Denes, & Heier, 1996;

Eysenck, 2003; Treffinger, Isaksen, & Stead-dorval, 2006). Nous reviendrons plus loin sur cette distinction et d’autres de ce type (e.g., rapport entre la divergence et l’originalité, ainsi qu’entre la convergence et la qualité d’une production).

1.2.2. Processus

Dans le contexte de la recherche sur la créativité, le sens du terme processus est parfois équivoque et peut désigner (1) les variables cognitives impliquées dans la réalisation d’une tâche créative (e.g., pensée divergente) ou alors (2) le déroulement de cette tâche et les étapes de son développement (i.e., « le » processus créatif). Pour éviter ces confusions, nous suivrons la distinction suivante : nous parlerons plutôt d’aptitudes cognitives ou de variables d’intelligence pour évoquer les premières, alors que le terme de processus créatif sera réservé pour faire référence à l’ensemble des étapes et des efforts mis en œuvre lors de la réalisation d’une tâche créative (e.g., écriture d’un livre, composition d’une chanson). En plus du risque de confusion entre les différents points, chacun d’un eux présente également des problématiques intrinsèques. Pour cette raison, ces points seront discutés en détail dans différentes parties de cette introduction : (1) l’étude du rôle des aptitudes cognitives dans le cadre de la créativité, qui pose la problématique de la distinction entre créativité et intelligence, sera discuté dans la section 1.3.1. Créativité et intelligence (p. 32) ; (2) la question du processus créatif dans son ensemble sera discuté avec les problématiques liée à la génération et à la sélection d’idée (3. Modèle du processus créatif, p. 49). Pour l’instant nous allons simplement considérer la distinction entre deux grandes familles de modèles du processus créatif : les modèles séquentiels et les modèles itératifs.

L’idée de base sous-jacente à tous les modèles séquentiels est que le processus créatif peut être décomposé en plusieurs étapes, du début de la création jusqu’à son aboutissement. Si on cherche à synthétiser ces différentes approches, on peut retenir les principales étapes suivantes : (1) identification de quelque chose à améliorer, définition d’un problème à résoudre ; (2) préparation à la résolution, encodage sélectif de l’information pertinente qui se

trouve dans l’environnement ; (3) incubation, distanciation du problème, diminution des efforts conscients pour parvenir à sa résolution; (4) illumination, découverte d'éléments de solution (e.g., analogie, métaphore); (5) vérification, mise à l'épreuve et amélioration de la solution trouvée; (6) communication, publication, validation de la production (A. J. Cropley, 1997; D. H. Cropley & A. J. Cropley, 2012; Lubart, 2000; Ochse, 1990; Wallas, 1926). Il est important de noter que les étapes des modèles de ce type ne suivent pas forcément un déroulent linéaire, mais peuvent se chevaucher et fonctionner en parallèle. Toutefois, malgré cette nuance, on peut reprocher à ces modèles en nombreuses étapes d’être trop rigides et de ne pas très bien rendre compte du processus créatif, en lui imposant une structure trop linéaire ou en étant finalement qu’un imbroglio de boucles de feedback. Ces modèles séquentiels, bien qu’ils semblent relativement exhaustifs et précis, sont très peu parcimonieux, ainsi que difficiles à soutenir et à généraliser empiriquement (Botella, 2007; Lubart, 2000).

En raison des limites des modèles séquentiels évoquées ci-dessus et dans un souci de parcimonie, nous nous focaliserons dans cette thèse sur les propositions issues des modèles itératifs. Ces modèles définissent généralement le processus créatif à partir des interactions ou de l'alternance entre un mode de pensée productif et un mode de pensée critique (e.g., Brophy, 2000; Campbell, 1960; Finke, Ward, & Smith, 1992; Lubart, 2000). Ces modèles postulent que c’est la collaboration constante entre les deux types de (sous-)processus qui est à l’origine des idées créatives et, par extension, à l’origine des productions plus complexes (i.e., ensemble d’idées élaborées et assemblées à l’aide de ces mêmes deux mêmes types de sous-processus). Comme annoncé plus haut, ces modèles feront l’objet d’un développement approfondi dans la section 3, p. 49.

1.2.3. Productions

Le concept de production(s) créative(s) est assez large et contient plusieurs sous-ensembles importants. Ici nous ferons une distinction en deux catégories : (1) la production ponctuelle, c’est-à-dire une production réalisée à un moment donné dans un contexte particulier (naturel ou expérimental) et dont certains attributs sont directement mesurables (e.g., originalité, qualité) ; (2) les activités et des accomplissements créatifs, qui sont souvent mesurés de manière indirecte (par questionnaire) ; ces mesures constituent une estimation de l’ensemble des productions réalisées par une personne. Dans les paragraphes suivants, nous allons discuter en détails les caractéristiques de ces deux types de mesure des productions.

Productions créatives ponctuelles. Dans les années 1950 à 1970, la recherche était très focalisée sur l'originalité des productions et les méthodes objectives d'évaluation. Dans la

tradition des épreuves de pensée divergente (e.g., Guilford, 1950, 1956; Wallach & Kogan, 1965), on portait un intérêt quasi exclusif à la fluidité, la flexibilité et l'originalité des idées — trois dimensions qui corrèlent fortement, autour de .80 (e.g., Carroll, 1993; Silvia et al., 2008). Par la suite, plusieurs auteurs ont cherché à développer des situations de test plus complètes et écologiquement valides. Par exemple, dans un contexte quasi expérimental, Csikszentmihalyi et Getzels (1971) ont fait réaliser un dessin à des artistes, en mettant à leur disposition un certain matériel (identique pour chaque sujet). Cette procédure permettait d’observer le processus créatif ainsi que d’évaluer la production finale. Dans cette étude, les dimensions mesurées étaient celles de qualité technique, d’originalité et de valeur esthétique globale ; ces dimensions étaient évaluées par des experts du domaine (des professeurs en arts visuels). Csikszentmihalyi et Getzels ont trouvé de fortes corrélations entre ces trois

tradition des épreuves de pensée divergente (e.g., Guilford, 1950, 1956; Wallach & Kogan, 1965), on portait un intérêt quasi exclusif à la fluidité, la flexibilité et l'originalité des idées — trois dimensions qui corrèlent fortement, autour de .80 (e.g., Carroll, 1993; Silvia et al., 2008). Par la suite, plusieurs auteurs ont cherché à développer des situations de test plus complètes et écologiquement valides. Par exemple, dans un contexte quasi expérimental, Csikszentmihalyi et Getzels (1971) ont fait réaliser un dessin à des artistes, en mettant à leur disposition un certain matériel (identique pour chaque sujet). Cette procédure permettait d’observer le processus créatif ainsi que d’évaluer la production finale. Dans cette étude, les dimensions mesurées étaient celles de qualité technique, d’originalité et de valeur esthétique globale ; ces dimensions étaient évaluées par des experts du domaine (des professeurs en arts visuels). Csikszentmihalyi et Getzels ont trouvé de fortes corrélations entre ces trois