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Approche multivariée de la créativité: structures de personnalité et dynamiques de processus

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Approche multivariée de la créativité: structures de personnalité et dynamiques de processus

FUERST, Guillaume

Abstract

Cette thèse propose un modèle multivarié de la créativité, postulant la personnalité prédit le processus créatif, qui prédit alors la créativité des productions. Les variables de personnalité sont : Divergence (non-conformisme, impulsivité, désagréabilité) ; Plasticité (ouverture, extraversion, inspiration) ; Convergence (ambition, sens critique, persévérance). Celles de processus sont Génération (productions et associations d'idées originales) et Sélection (tri, évaluation, critique des idées). Les résultats montrent que Génération est positivement associée à Divergence et Plasticité, et que Sélection est positivement associée à Convergence. Une étude expérimentale montre que Génération est en lien spécifique avec l'originalité ; Sélection en lien positif avec la qualité. La dynamique du processus à travers le temps a également été investiguée en contexte naturel (arts visuels). Les résultats montrent que Génération décroit au fil du processus créatif, alors que Sélection suit un pattern curvilinéaire (augmentation, pic au milieu du processus, puis diminution).

FUERST, Guillaume. Approche multivariée de la créativité: structures de personnalité et dynamiques de processus. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2012, no. FPSE 507

URN : urn:nbn:ch:unige-250721

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:25072

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25072

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(2)

Sous la direction de Paolo Ghisletta et Todd Lubart

Approche multivariée de la créativité :

Structures de personnalité et dynamiques de processus

THESE

Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteur en psychologie

par

Guillaume FÜRST (étudiant n°05339148)

de

La Chaux-de-Fonds, Suisse

Thèse N° 507

GENEVE Août 2012

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Remerciements

Merci à Paolo Ghisletta et Todd Lubart pour leur excellente direction. Sans leurs conseils précieux et leur suivi attentif, ce travail n’aurait jamais atteint un tel aboutissement.

Merci également à Thierry Lecerf et Nicolas Favez pour avoir accepté de faire partie du jury, de lire ce long manuscrit et d’en discuter à diverses occasions avec intérêt.

Merci à Berivan Pont pour ses relectures, ses encouragements, son écoute. Merci à mes parents pour leur ADN et leur éducation ; merci à l’évolution des espèces en général et à nos histoires respectives qui nous ont amenées là où nous en sommes aujourd’hui — on s’amuse bien la plupart du temps.

Merci également à mes collègues et amis (deux ensembles qui se rejoignent de plus en plus) ; les moments passés à rire, au travail ou ailleurs, ont toujours été plus nombreux que ceux passés à pleurer, et ce même en fin de thèse, ce qui n’est pas rien.

Enfin, merci également à tous mes sponsors officieux et sources d’inspiration diverses : Granini, La Semeuse, Nasum, Ramseier, Fabrizio Panini, Converge, Coca-Cola, Mars, Ministry, Carlsberg, Homer Simpson, Parisienne, Reason, You Tube, Svinkels, Nikon, Igor, Wikipedia, etc. (Une liste exhaustive peut être obtenue auprès de l’auteur.)

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Résumé

Le but de cette thèse était de proposer et tester un modèle multivarié de la créativité.

Ce modèle, présenté dans le chapitre 1, est basé sur une distinction commune dans le champ de recherche sur la créativité, celle entre personne, processus et production. Globalement, il postule que des variables de personnalité prédisent plusieurs aspects du processus, qui prédisent alors la créativité des productions dans divers domaines.

Plus spécifiquement les variables de personnalité sont les suivantes : Divergence (non- conformisme, impulsivité, désagréabilité) ; Plasticité (ouverture, extraversion, inspiration) ; et Convergence (ambition, sens critique, persévérance). Ces variables sont par nature aussi associées à des variables d’humeur et d’intelligence. Les variables de processus sont Génération (productions et associations d’idées originales) et Sélection (tri, évaluation, critique des idées). Les résultats du chapitre 2 montrent que Génération est positivement associée à Divergence et Plasticité, et que Sélection est positivement associée à Convergence.

De plus, Génération et l’interaction entre Génération et Sélection sont en relation positive avec plusieurs mesures d’activités et d’accomplissement créatifs.

La dynamique du processus a également été investiguée plus en détail. Dans le chapitre 3, Génération et Sélection ont été mesurées de manière répétée chez des étudiants en arts visuel. Les trajectoires individuelles de ces processus ont été modélisées. Les résultats montrent que Génération décroit linéairement au fil du processus créatif, alors que Sélection suit un pattern plutôt curvilinéaire (augmentation, pic au milieu du processus, puis diminution). La créativité de la production finale réalisée par ces étudiants a été évaluée par les professeurs et prédites par de nombreuses variables (personnalité, différences inter- et intra-individuelles dans les trajectoires). Dans le chapitre 4, le processus a été manipulé dans une étude expérimentale. Les participants à cette étude devaient écrire un court texte après avoir reçu différentes consignes sur l’utilisation de Génération et Sélection. La créativité du texte a été mesurée à l’aide de deux dimensions de Qualité et d’Originalité. Les résultats montrent que Génération et Sélection sont nécessaires pour réaliser une production créative (i.e., originale et de qualité).

Dans le chapitre 5, les propositions théoriques initiales sont articulées avec les éléments empiriques des chapitres 2-4. Des reformulations sont discutées et un modèle qui intègre la personnalité et l’intelligence est proposé. Plusieurs pistes de recherches et de réflexion sont également développées (e.g., créativité comme phénomène évolutif complexe, nature fractale de la dynamique de la créativité).

(7)

Table des matières

Préface (p. 13 )

Chapitre 1 : Introduction générale ... 19

1. Modèles de la créativité ... 20

1.1. Histoire et types d'approches ... 20

1.1.1. Approches qualitatives ... 20

1.1.2. Approches quantitatives ... 22

1.2. Modèles multivariés ... 23

1.2.1. Personne ... 23

1.2.2. Processus... 26

1.2.3. Productions ... 27

1.2.4. Environnement, culture ... 31

1.3. Limites et controverses liées aux modèles actuels... 32

1.3.1. Créativité et intelligence ... 32

1.3.2. Niveaux de créativité et distribution des productions ... 34

1.3.3. Les domaines, facteurs généraux et spécifiques ... 35

1.3.4. Problèmes méthodologiques ... 37

1.3.5. Synthèse sur les modèles actuels ... 38

2. Créativité et personnalité ... 39

2.1. Modèle de la personnalité en cinq facteurs ... 39

2.1.1. Définition du modèle en cinq facteurs ... 40

2.1.2. Liens entre les cinq facteurs et la créativité ... 40

2.2. Modèles de la personnalité plus parcimonieux ... 42

2.2.1. Modèles en trois facteurs ... 42

2.2.2. Modèle en deux facteurs ... 44

2.3. Vers un modèle de la personnalité et de la créativité ... 45

2.3.1. Psychoticisme et créativité ... 46

2.3.2. Stabilité et créativité ... 47

2.3.3. Plasticité et créativité ... 48

2.3.4. Synthèse sur la créativité et la personnalité ... 49

3. Modèle du processus créatif ... 49

(8)

3.1. Approche cognitive ... 50

3.1.1. Génération ... 50

3.1.2. Sélection ... 51

3.1.3. Articulation entre Génération et Sélection ... 52

3.2. Généralisation à d’autres approches ... 54

3.2.1. Approche « creative problem solving »... 54

3.2.2. Approche évolutionniste ... 56

4. Un modèle intégratif de la créativité ... 57

4.1. La créativité comme systèmes évolutifs... 58

4.1.1. Systèmes et sous-systèmes ... 58

4.1.2. Génération-variation et Sélection-rétention ... 64

4.2. Modèles empiriques et hypothèses ... 68

4.2.1. Vue d’ensemble des variables ... 68

4.2.2. Objectifs et hypothèses des trois articles ... 70

Chapitre 2 : article « créativité et personnalité » ... 75

1. Introduction ... 77

1.1. The big 5 of personality and creativity ... 77

1.2. More parsimonious views of creativity and personality ... 79

1.3. The creative process ... 80

1.4. A synthetic model of creativity and personality ... 81

2. Method and results (three studies)... 83

2.1. Pilot Study ... 83

2.2. Study 1... 83

2.2.1. Participants and procedure ... 83

2.2.2. Measures ... 83

2.2.3. Data analyses ... 84

2.2.4. Results and discussion ... 85

2.3. Study 2... 89

2.3.1. Participants and procedure ... 89

2.3.2. Measures ... 89

2.3.3. Data analysis ... 90

2.3.4. Results and discussion ... 90

(9)

3. General discussion ... 93

3.1. Personality factors ... 93

3.2. Process factors ... 94

3.3. Overall model ... 96

3.4. Limitations and possible extensions ... 97

Chapitre 3 : article « processus en arts visuels » ... 101

1. Introduction ... 103

1.1. The creative process ... 104

1.2. Person variables related to the creative process ... 105

1.3. Predictors of the creative product ... 105

1.4. Summary and objectives ... 106

2. Method ... 107

2.1. Participants and procedure ... 107

2.2. Measures ... 108

2.3. Data analysis and definition of time ... 110

3. Results ... 113

3.1. Trajectories of Generation and Selection ... 113

3.2. Relations between Process, Personality and Mood... 113

3.3. Predictors of the Final Product ... 117

4. Discussion ... 119

4.1. Process trajectories ... 119

4.2. Process, mood and personality ... 120

4.3. Predictors of the creative product ... 121

4.4. Limitations and suggestions for future research ... 122

Chapitre 4 : article « étude expérimentale du processus » ... 125

1. Introduction ... 127

1.1. The creative process and its sub-processes ... 127

1.2. The evaluation of a creative product ... 129

1.3. Hypotheses ... 130

1.3.1. Impact of Generation ... 130

1.3.2. Impact of Selection ... 131

(10)

2. Method ... 131

2.1. Participants ... 131

2.2. Procedure ... 131

2.2.1. Writing task... 132

2.2.2. Experimental conditions ... 132

2.3. Measures ... 134

2.4. Analyses ... 136

3. Results ... 136

3.1. Impact of instructions on Generation and Selection ... 136

3.2. Factorial structure of the evaluations of the final product... 139

3.3. Impact of the experimental conditions on the final evaluation scores ... 141

3.3.1. Overall effect of control variables ... 141

3.3.2. Effect of experimental conditions ... 142

4. Discussion ... 145

4.1. Experimental manipulation and measurement of the product ... 145

4.2. Predictions of the creative product ... 146

4.2.1. Control variables ... 146

4.2.2. Experimental variables ... 147

4.3. Possible future extensions ... 148

Chapitre 5 : Discussion générale ... 151

1. Analyse et synthèse des principaux résultats... 152

1.1. Personnalité : Divergence, Plasticité, Convergence ... 153

1.1.1. Définition et mesure des trois facteurs ... 153

1.1.2. Redondances entre les facteurs de personnalité ... 154

1.2. Processus : Génération et Sélection ... 156

1.2.1. Définition et mesure ... 157

1.2.2. Relations entre processus, intelligence verbale et personnalité ... 158

1.3. Productions créatives, activités et accomplissements ... 159

1.3.1. Définition et mesure ... 159

1.3.2. Prédictions des productions ... 161

1.4. Vue d’ensemble sur le modèle ... 162

1.4.1. Médiations, interactions et principaux réseaux de variables ... 162

(11)

1.4.2. Traits et états ... 164

2. Horizons d’avenir possibles ... 166

2.1. Redéfinitions et mesures alternatives ... 166

2.1.1. Une autre structure de personnalité (désinhibition, activité, intellect) ... 166

2.1.2. Un modèle de la personnalité, de l’intelligence de la créativité ... 169

2.1.3. Futures études empiriques possibles ... 171

2.2. Créativité, évolution et complexité ... 176

2.2.1. Systèmes évolutifs et structure de la créativité ... 176

2.2.2. Fractales et dynamique de la créativité ... 182

2.3. Implications pratiques ... 188

2.3.1. Implications affectives, relations avec la santé ... 188

2.3.2. Développement et stimulation de la créativité ... 190

3. Conclusion... 194

Références ... 199

Annexes ... 225

Index des Tableaux Tableau 1. Génération-variation et Sélection-rétention dans les systèmes ... 67

Tableau 2. Principales variables mesurées dans cette thèse ... 68

Table 3. Description of the first-order factors. ... 86

Table 4. Goodness of fit indices of submodels and final model (study 1). ... 87

Table 5. Goodness of fit indices of the submodels and final model (study 2). ... 91

Table 6. Description of the four samples. ... 107

Table 7. Results of latent growth model for Generation and Selection. ... 116

Table 8. Results of multiple regression: prediction of the final product. ... 118

Table 9. Results of latent growth model for each experimental group... 138

Table 10. Mean Quality and Originality scores across the 10 groups. ... 141

Table 11. Results of the final regression model (DV= Originality) ... 143

Table 12. Results of the final regression model (DV=Quality) ... 144

Tableau 13. Ordre, Complexité et Chaos (d’après Rea, 2003) ... 179

Tableau 14. Analogies entre systèmes : les phénomènes météorologiques et la créativité .... 182

(12)

Index des Figures

Figure 1. Modèle simplifié de la créativité ... 39

Figure 2. Différents modèles factoriels de personnalité ... 45

Figure 3. Un modèle du processus créatif... 53

Figure 4. Modèle systémique de la personne ... 59

Figure 5. Modèle systémique du processus ... 61

Figure 6. Modèle intégratif de la créativité ... 62

Figure 7. Final overall structural equation model of creativity and personality (study 1) ... 87

Figure 8. Effect of Generation on Achievement moderated by levels of Selection. ... 88

Figure 9. Final overall structural equation model of creativity and personality (study 2). ... 92

Figure 10. Multivariate model of creativity and the creative process. ... 103

Figure 11. Trajectories of Generation in the 4 groups. ... 114

Figure 12. Trajectories of Selection in the 4 groups. ... 115

Figure 13. Experimental conditions (manipulation of Generation and Selection)... 133

Figure 14. Structural model of creativity scores (Quality and Originality scores). ... 140

Figure 15. Quality and creativity mean scores across the conditions. ... 145

Figure 16. Problèmes dans le modèle de personnalité. ... 155

Figure 17. Vue d’ensemble des résultats des trois articles ... 163

Figure 18. Structure alternative de personnalité ... 167

Figure 19. Personnalité, intelligence, processus. ... 170

Figure 20. Suite logistique pour différentes valeurs de R et x. ... 177

Figure 21. Entropie, Organisation, Energie ... 181

Figure 22. Exemples de fractales ... 183

Figure 23. Loi de puissance ... 184

Figure 24. Série temporelle hypothétique de Génération ... 186

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(14)

Préface

De la taille du silex à la conquête de l’espace, l’espèce humaine s’affirme comme définitivement créative depuis des millénaires. Bien qu’il soit sans doute hasardeux, voire erroné, de nous considérer comme les êtres les plus créatifs que la terre ait jamais porté, il n’empêche que notre espèce a toujours été un peu plus émerveillée par sa propre créativité que par celle des autres. C’est dans la continuité de cette tradition d’anthropocentrisme mêlé de fascination pour les merveilles de la nature que s’inscrit ce travail.

Au fil de ces pages, nous verrons comment la créativité humaine peut être étudiée dans des contextes très spécifiques, comment elle peut être mesurée et prédite par certaines variables psychologiques particulières, mais aussi comment elle peut être considérée dans une perspective plus large. Cette vision d’ensemble, sans doute indispensable pour un thème aussi vaste, passera notamment par une articulation étroite entre les notions de personne, processus et production créatives. Par extension, cette triade sera également considérée en relation avec d’autres phénomènes complexes tels que la société ou certains mécanismes propres à l’évolution et à l’adaptation en général.

Mais avant tout, étant donné que la créativité est un concept nébuleux qui peut être sujet à un grand nombre d’interprétations, nous allons dès ici considérer quelques définitions.

Il s’agit de définitions préalables et provisoires ; nous verrons par la suite que malgré (ou grâce à) l’avancée de ce travail, nous serons sans cesse amenés à rediscuter et préciser les définitions possibles de la créativité. Pour nous faire une première idée de la chose et des difficultés qui y sont associées, commençons par la définition de l’art proposé par Bierce dans son Devil’s dictionnary (1911) : “ART, n. This word has no definition1.” Si la simplicité de cette définition est incontestablement attractive, elle ne peut (mal)heureusement pas vraiment s’appliquer à la créativité — l’art et la créativité étant deux concepts bien différents, même s’ils partagent des similitudes étroites.

1 La version complète de cette entrée est la suivante: “ART, n. This word has no definition. Its origin is related as follows by the ingenious Father Gassalasca Jape, S.J.: One day a wag—what would the wretch be at?—shifted a letter of the cipher RAT, and said it was a god's name! Straight arose fantastic priests and postulants (with shows, and mysteries, and mummeries, and hymns, and disputations dire that lamed their limbs) to serve his temple and maintain the fires, expound the law, manipulate the wires. Amazed, the populace that rites attend, believe whatever they cannot comprehend, and, inly edified to learn that two half-hairs joined so and so (as Art can do) have sweeter values and a grace more fit than Nature's hairs that never have been split, bring cates and wines for sacrificial feasts, and sell their garments to support the priests”.

(15)

En effet, la créativité est une notion incroyablement vaste, qui tend non seulement à regrouper toutes les formes d’arts et de sciences, mais aussi toutes sortes de comportements que l’on peut qualifier d’original. Le spectre est large et va des simples dessins d’enfants aux inventions les plus géniales, en passant par l’humour, la cuisine ou l’architecture, sans oublier les créations moins réjouissantes telles que les stratégies de guerre et le développement d’armes de plus en plus destructrices. Dans ce contexte, circonscrire et définir l’objet de recherche « créativité » n’est pas une chose aisée. Toutefois, quelques excellentes définitions ont été proposées (plus sérieuses cette fois) ; une d’entre elle en particulier s’accorde bien avec les objectifs et le cadre théorique de cette thèse :

“Creativity is the interplay between ability and process by which an individual or group produces an outcome or product that is both novel and useful as defined within some social context.” (Plucker, Beghetto, & Dow, 2004, p. 90)

Cette définition synthétique contient tous les concepts clés mentionnés plus haut (i.e, personne, processus, production, société) et donne déjà un aperçu de l’importance de leur articulation. En particulier, on peut souligner ici que, pour être considérée comme créative, une production doit être utile (ou appropriée) et nouvelle. Or, comme mentionné par Plucker et al., ces notions d’utilité et de nouveauté sont indissociables d’un certain contexte social. Ce sont là des éléments très importants, qui seront d’ailleurs les causes principales des variations de la définition de la créativité. Nous reviendrons bien sûr en détail sur tous ces points.

Pour ce faire, cette thèse est organisée en cinq grands chapitres : un chapitre d’introduction générale, trois chapitres qui correspondent à des articles en anglais (en cours de publication), ainsi qu’un cinquième et dernier chapitre de discussion générale. Du fait de cette structure, il existe une certaine redondance entre les trois articles et les deux chapitres d’introduction et de discussion générale. Si cette redondance a pour défaut d’augmenter la longueur du manuscrit, elle a l’avantage de rendre les chapitres relativement indépendants (i.e., les articles peuvent être lus séparément ; l’introduction et la conclusion générale peuvent être comprises sans les détails des articles).

Par ailleurs, au-delà de cette structure en articles et chapitres, ce manuscrit est sous- tendu, comme le titre l’indique, par deux axes principaux qui ont été investigués et articulés en profondeur. Le premier axe concerne certaines structures de personnalité qui peuvent être mises en relation avec la créativité. Le second axe concerne le processus créatif, en particulier les sous-processus qui le composent et leur dynamique (déroulement à travers le temps), ainsi que leur impact sur certaines productions créatives.

(16)

L'objectif du premier axe (personnalité) était de définir et tester empiriquement une structure de traits de personnalité, un modèle qui intègre de nombreux traits en un nombre relativement restreint de grands facteurs. De plus, il était également important que ces facteurs soient définis de façon à être les plus pertinents possibles pour la créativité (i.e., qu’ils permettent de prédire plusieurs aspects du processus créatifs et/ou des productions qui en découlent). Ces points sont traités en détail dans le premier article (p. 75) et reprises en partie dans les deux autres articles.

Le premier objectif du second axe (processus) était de tester un modèle du processus créatif dans un contexte dit naturel (par opposition à artificiel ou expérimental), ceci afin de mieux comprendre le déroulement du processus dans le temps. Le deuxième article se focalise essentiellement sur cet aspect (p. 101). Ensuite, à partir des premiers éléments obtenus dans cet article, le second objectif consistait à tester expérimentalement certains aspects de ces conclusions initiales. Concrètement, et il s'agit du troisième article (p. 125), le but était de manipuler certaines caractéristiques du processus créatif dans un environnement contrôlé, afin de voir quel serait l'impact de cette manipulation sur la production finale.

D'une manière générale, il peut apparaître au travers de ces deux axes qu'un accent quasi exclusif a été mis sur les variables de personnalité, au détriment peut-être d’autres variables (affect ou de cognition par exemple). Il est vrai que le premier article est focalisé sur la personnalité et que les deux autres traitent du processus en termes de stratégies ou de préférences cognitives étroitement associées à la personnalité, plutôt qu'en terme d'aptitudes ou de performances, telles que mesurées par des tâches d'intelligence classiques. C'est là un fait qui peut être nuancé et expliqué de plusieurs façons.

Tout d'abord les facteurs de personnalité intègrent de nombreuses dispositions, certes majoritairement comportementales, mais qui ont également des implications affectives et cognitives importantes ; de même, les mesures de processus utilisées au travers des trois articles sont également associées à certaines variables purement cognitives2. Ainsi, plusieurs variables d'affect et de cognition sont prises en compte indirectement à travers ces facteurs de personnalité et de processus. De plus, certaines variables classiques d'affect et de cognition, bien que traitées plus secondairement dans les analyses des articles, ont également été

2 Comme cela est montré plus loin, l'Extraversion est étroitement associée à l'énergie et à l'affect positif, l'Ouverture est en lien positif avec les connaissances et le Psychoticisme avec l’inhibition cognitive. En ce qui concerne le processus, le facteur de Génération d'idées est en lien positif avec plusieurs tâches de productions d'idées mesurées objectivement.

(17)

mesurées directement : le premier article intègre une mesure de production d'idées ; l'humeur est explicitement considérée dans le second article ; plusieurs mesures de capacités verbales sont prises en compte dans le troisième article.

Au-delà de ces nuances, il y a également des raisons théoriques qui ont motivé ce focus sur la personnalité. Tout d’abord, il apparaît que les facteurs cognitifs en lien avec la créativité ont déjà été extensivement étudiés et organisés en un ensemble relativement cohérent avec d’autres facteurs d’intelligence générale (e.g., Carroll, 1993; Finke, Ward, &

Smith, 1992; Nusbaum & Silvia, 2010; Silvia & Beaty, 2012; Smith, Ward, & Finke, 1995;

Ward, Smith, & Vaid, 1997). De même, les facteurs affectifs en lien avec la créativité ont récemment fait l’objet de méta-analyses et d’une organisation théorique convaincante (e.g., Baas, De Dreu, & Nijstad, 2008; DeDreu, Baas, & Nijstad, 2008). Par comparaison, les modèles théoriques portant sur les relations entre personnalité et créativité n’ont pas atteint le même niveau d’élaboration et d’intégration, bien que le nombre d’études empiriques sur ces questions soit extrêmement grand.

En définitive, les variables de personnalité avaient donc l’avantage de représenter un challenge théorique stimulant pour au moins trois raisons : (1) leur importance évidente pour la créativité ; (2) leurs relations nombreuses avec d’autres types de variables (affectives et cognitives en particulier) ; (3) l’absence d’un model structurel satisfaisant, parcimonieux et précis, qui intègre la personnalité et la créativité. S’il existe bien un certain consensus dans le domaine de la personnalité autour du modèle en cinq facteurs (Big Five), ce consensus est fragile et entouré de modèles alternatifs tout aussi convaincants. Plus spécifiquement, en ce qui concerne la créativité et la personnalité, ces deux notions ont eu souvent tendance à être télescopées et réunies en un seul concept, que ce soit celui d’Ouverture/Intellect dans une certaine tradition de recherche (celle du Big Five ; e.g., McCrae & Costa, 1999) ou celui de Psychoticisme dans une autre (modèle en trois facteurs de l’approche psychobiologique ; e.g., Eysenck, 1993). Ces propositions sont insatisfaisantes de par leur manque d’exhaustivité (certaines variables qui s’avèrent importantes, comme l’énergie, sont rarement mis en avant), ainsi que de par les différences importantes qu’elles peuvent masquer. A ce propos d’ailleurs, l’unité du facteur Ouverture/Intellect a récemment été questionnée (DeYoung, Grazioplene, &

Peterson, 2012) — un point qui a eu un impact significatif sur la rédaction du chapitre 5 et les dernières propositions théoriques qui y sont discutées.

Enfin, dans une perspective multivariée, un objectif important de cette thèse était de proposer une structure théorique générale qui rende compte de la personnalité et de la créativité en termes de processus et productions. C’est là un aspect important qui a également

(18)

guidé certains choix, en particulier celui d’axer la majeure partie de la réflexion autour des relations entre Génération d’idées et Originalité de la production d’une part, et entre Sélection d’idées et Qualité de la production d’autre part. Cet objectif d’intégration multivariée a été partiellement atteint ; de nombreux résultats empiriques vont dans le sens des hypothèses de départ, certains autres d’entre eux ont amené à reconsidérer divers aspects de la théorie. Au final, le modèle proposé dans le dernier chapitre est assez différent du modèle initial (en ce qui concerne la personnalité en particulier), ce qui, espérons-le, est plutôt un bien qu’un mal.

En tous les cas, plusieurs aspects fondamentaux de ce modèle initial ont pu être maintenus et quelques extensions et améliorations ont pu être proposées.

(19)
(20)

Chapitre 1 : Introduction générale

(21)

Dans ce premier chapitre, nous commencerons par un survol des modèles actuels de la créativité, en considérant en particulier les modèles multivariés (section 1). Puis nous analyserons plus en détail les liens entre la créativité et personnalité (section 2), ainsi qu’entre créativité et processus cognitifs (section 3). Ceci afin de proposer un modèle synthétique dans lequel des facteurs de personnalité prédisent des processus cognitifs qui à leur tour prédisent les productions créatives (section 4).

1. Modèles de la créativité

Le but de cette première section est d’examiner les principaux modèles de la créativité.

Pour ce faire, nous considérerons quelles sont les premières approches qui ont permis l’étude de la créativité en psychologie. Ensuite, nous discuterons les principales variables issues de différents modèles multivariés puis, nous dresserons un rapide bilan des limites et controverses liées à ces modèles.

1.1. Histoire et types d'approches

La créativité est un thème qui est largement abordé par un grand nombre de disciplines scientifiques. En psychologie, c’est un domaine de recherche que l’on retrouve dans la plupart des sous-disciplines (cognitive, clinique, développementale, etc.). Ainsi, dans cette première sous-section, nous examinerons ces différentes approches, en commençant par les approches dites qualitatives (e.g., approche biographique, psychanalyse). Puis, dans un second temps, nous nous focaliserons plus strictement sur les approches empiriques quantitatives (approches cognitive, psychométrique, expérimentale)3. Au cours de ce panorama de la recherche sur la créativité, nous commencerons à décrire et lister des éléments théoriques qui seront repris et articulés dans les sections suivantes.

1.1.1. Approches qualitatives

Historiquement, la recherche sur la créativité a commencé tardivement. Comme le montrent Albert et Runco (1999), la créativité était considérée comme étant d’origine divine jusqu’à la renaissance (seul Dieu était, par définition, créateur), époque à partir de laquelle le talent commença à être attribuée aux personnes. Entre les XVème et XVIIème siècles, les conceptions de la créativité semblent avoir peu évoluées, mais les développements des instruments de mesure et de la pensée scientifique ont amorcé les changements à venir. Dans

3 D’autres approches, systémiques et évolutionniste en particulier, seront introduites plus loin (sections 3-4).

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les années 1700, des distinctions sont faites entre les concepts de génie, d’originalité, de talent et d’éducation formelle. Une différence nette est maintenue entre les personnes avec du talent, qui pouvait être développé par l’éducation, et le génie, qui était exceptionnel et échappait par conséquent à toutes les règles et obligations classiques.

Cette idée s’est atténuée par la suite et la frontière entre génie et talent s’est peu à peu estompée. Au début du XVIIIème siècle, plusieurs auteurs (e.g., Bethune, Jevons ; cités par Becker, 1995) commencent à organiser et définir plusieurs caractéristiques de la créativité que l’on retrouvera beaucoup dans la littérature du XXème siècle : divergence des modes de pensée classiques, capacité à générer de nouvelles combinaisons de pensées et à les présenter avec force et clarté, capacité à choisir entre différentes options, à comparer et à sélectionner les idées et théories les plus prometteuses ou pertinentes. Cette tradition de recherche, que l’on peut qualifier de biographique ou spéculative, c’est également beaucoup intéressée à la question des liens entre la créativité et la santé mentale, produisant des idées et controverses qui sont encore d’actualité de nos jours (e.g., Silvia & Kaufman, 2010).

En partie issue de ces premiers travaux, l’approche psychanalytique s’est également intéressée à cette question de la créativité et de la santé mentale. D’après cette approche, la personne créative est caractérisée par une vie affective et instinctuelle puissante, qu’elle tente de canaliser et de sublimer, et qui, pour ne pas verser dans la pathologie, doit être contrecarrée par une souplesse du refoulement ou un Moi fort (Domino, Short, Evans, & Romano, 2002;

Kris, 1952; Suler, 1980). Ces propositions sont proches de celles de Rorschach (1947), selon qui la structure du profil artistique est caractérisée par une vie intérieure riche et une affectivité forte, mais bien contrôlée par les fonctions intellectuelles et de rapport au monde.

Des auteurs tels que Rank, Adler et Fromm ont suggéré que la créativité soit le résultat d’une pulsion positive destinée à améliorer le soi et la santé mentale, à travers l’ajustement entre la proximité affective et l’indépendance (Mackinnon, 1965; Ochse, 1990). Ces prises de position sont reprises par Rogers et Maslow, qui placent carrément la créativité au sommet de l’accomplissement humain et de l’actualisation du soi (Ochse, 1990).

Si ces approches sont parfois critiquées pour être peu scientifiques (e.g., Eysenck, 1995), il n’en demeure pas moins que plusieurs idées qui en sont issues ont connu un développement et un fleurissement important au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en prenant des chemins parfois très différents (souvent le plus éloigné possible de la psychanalyse ou de la philosophie), d’autres approches plus modernes ou plus scientifiques ont retrouvé des conclusions qui s’accordent assez bien avec ces premières suggestions.

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1.1.2. Approches quantitatives

A partir des idées issues de la révolution Darwinienne, Galton (1869) a opérationnalisé la diversité (liée au processus de variation de l’évolution) comme des différences interindividuelles mesurables, ouvrant ainsi la voie à la psychométrie contemporaine. En accord avec ce que nous avons évoqué ci-dessus, Galton nota également l’existence de liens entre créativité, énergie, forte capacité au travail et psychopathologie (Becker, 1995; Ochse, 1990). Dans la même veine, James (1890) suggère que deux facteurs liés à la personne sont fondamentaux pour la créativité : l’intelligence et l’excitabilité de l’esprit, une proposition qui a été reprise et élaborée par d’autres auteur plus récents (e.g., Eysenck, 1995; Piechowski, 2003). Par ailleurs James insista sur la spécificité de l’idéation créative, basée sur des transitions abruptes d’une idée à l’autre, des combinaisons d’éléments variés ; un processus caractérisé par l’impossibilité d’appliquer des routines, ainsi que par le caractère soudain et imprévisible de la découverte (Becker, 1995).

Basée sur les travaux de ces pionniers de la psychologie scientifique, l’approche psychométrique fut parmi les premières à proposer des mesures de la créativité ou, du moins, des mesures de certaines variables cognitives associées à la créativité. Par exemple, les premiers tests d’intelligence développés par Binet et Simon intégraient des tâches d’imagination, tâches qui ont finalement été exclues car trop différentes de la majorité des autres (Lubart, Mouchiroud, Tordjman, & Zenasni, 2003). Néanmoins, plusieurs modèles de l’intelligence ont repris et intégré par la suite cette dimension d’imagination sous le nom plus spécifique de fluidité (Thurstone, 1938) ou de pensée divergente (Guilford, 1956). D’après Cattell (1971), la créativité serait caractérisée par le facteur général d’intelligence (g), par la fluidité et la flexibilité idéationnelle, ainsi que par certains aspects de l’intelligence cristallisée, tels que les connaissances dans un domaine particulier.

D’une manière générale, la tradition psychométrique est attachée à la qualité de la mesure ainsi qu’à l’organisation formelle des facteurs généraux et spécifiques liés aux capacités cognitives (à l’aide des méthodes d’analyse factorielle). Cette approche a été et reste extrêmement importante pour l’étude de la créativité, au moins pour deux raisons : (1) la psychométrie a également eu une influence majeure dans le champ de la recherche sur la personnalité (Cattell, 1965; Goldberg, 1993) ; (2) les modèles d’équations structurales, qui permettent de tester des hypothèses multivariées et qui sont très utilisés à l’heure actuelle, sont issus de l’analyse factorielle et de cette tradition psychométrique.

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Un autre type d’approche important pour la recherche contemporaine sur la créativité est l’approche expérimentale. Cette approche a permis beaucoup de démystification de la créativité grâce à l’étude détaillée de processus particuliers (e.g., formation de métaphores ou d’analogies), ceci dans un contexte contrôlé. Finke, Ward et Smith (1992) ont élaboré un modèle important pour la compréhension de créativité ; ce modèle sera largement détaillé plus loin (3. Modèle du processus créatif, p. 49). Pour l’instant, nous constaterons simplement que cette approche a permis de montrer que la créativité pouvait s’inscrire dans le champ de la cognition normale.

1.2. Modèles multivariés

Issus principalement de l’approche psychométrique évoquée plus haut, les modèles multivariés (ou modèles de confluence, modèles multi-componentiels) sont à l’heure actuelle parmi les plus importants pour modéliser la créativité. Comme la plupart de ces modèles proposent une distinction entre la personne, le processus et la production, nous suivrons cette structure pour les présenter. La plupart des éléments discutés ici seront assez peu développés ; le but étant pour l’instant d’obtenir une vue d’ensemble sur différents résultats et théories, qui seront ensuite repris et élaborés dans les sections suivantes.

1.2.1. Personne

Sans surprise, la personne est une composante centrale de tous les modèles de la créativité en psychologie. Certains mettent l’accent sur la motivation (e.g., Amabile, 1983, 1990), d’autres sur la personnalité (e.g., Eysenck, 1993, 1995), d’autres encore intègrent des variables telles que la cognition (intelligence, connaissances) et l’affect (Lubart et al., 2003;

Mumford & Gustafson, 1988; Runco & Chand, 1995; Sternberg & Lubart, 1995). Tout ce qui concerne la personnalité sera analysé en détail dans la section 2. Créativité et personnalité (p.

39) ; soulignons simplement pour l’instant que les traits de personnalité associés à la créativité sont extrêmement nombreux et que les résultats sont très variables et parfois paradoxaux. Les liens entre créativité et personnalité ne sont en effet pas les mêmes selon que l’on s’intéresse à des traits en particuliers ou à des facteurs d’ordre plus général, ces liens varient aussi en fonction des domaines (e.g., arts ou science) et des niveaux de créativité (e.g., amateurs ou professionnels).

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Les variables d’affect (émotion ou humeur4) sont également connues pour leur lien nombreux et complexe avec la créativité (e.g. , Lubart et al., 2003; Russ, 2001). Cette question des liens entre affect et créativité a pendant longtemps été abordée par la psychologie clinique et les études biographiques (e.g. liens entre créativité et dépression, voir p. ex. Post, 1994 ; lien entre la créativité et la manie, voir p. ex. Richards, Kinney, Lunde, Benet, &

Merzel, 1988). Toutefois, le rôle de l’affect normal dans la cognition en général et dans le processus créatif en particulier, est de plus en plus étudié par des approches expérimentales ou quasi-expérimentales. Par exemple, les travaux d’Isen et collègues ont montré l’impact positif de la bonne humeur sur la résolution de problème et l’originalité des associations de mots (Isen, Daubman, & Nowicki, 1987; Isen, Johnson, Mertz, & Robinson, 1985). De même, Vosburg (1998a, 1998b) a montré l’impact positif de l’humeur sur la quantité et l’originalité des idées. L’affect positif semble également être associé à l’activité créative à travers de hauts niveaux d’énergie et de prise de risque (Schwarz, 1990; Shapiro & Weiseberg, 1999). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que la bonne humeur est toujours favorable à la créativité.

Mais la réalité est plus subtile. En induisant un sens critique plus aigu, un traitement de l’information plus analytique et plus approfondi, l’humeur négative peut aussi être utile à la créativité (Kaufmann & Vosburg, 2002; Schwarz, 1990; Vosburg & Kaufmann, 1997).

Pour y voir plus clair sur cette question de l’affect, il peut être utile de distinguer deux dimensions de l’humeur : (1) l’activation, dimension qui est essentiellement physiologique et qui correspond à l’opposition entre éveil vs. repos (calme, fatigue); (2) la valence, dimension plutôt subjective, qui correspond à l’opposition entre le caractère plaisant vs. déplaisant d’un certain état affectif. Cette distinction est aujourd’hui relativement standard et consensuelle ; de nombreux modèles et échelle de mesure peuvent être situés dans cet espace en deux dimensions comme l’on mis en évidence les travaux de Russel et collègues (Feldman-Barrett

& Russell, 1998, 1999; Russell, 1980; Yik, Russell, & Feldman-Barrett, 1999; Yik, Russell,

& Steiger, 2011). Basé sur cette distinction, DeDreu, Baas, & Nijstad (2008) ont démontré que l’activation élevée (éveil) est associée à la fluidité, la flexibilité et l’originalité des idées, alors que la valence négative (insatisfaction) est associé à de la persévérance. Deux méta- analyses (Baas et al., 2008; Davis, 2009) confirment et complètent ces résultats : (1) l’humeur activée et plaisante (e.g., joie, enthousiasme) est positivement associée à la créativité (par

4 L’humeur, par rapport à l’émotion, est un état affectif qui est caractérisé par sa faible intensité, son caractère diffus, sa durée plus longue, ses changements moins rapides et son absence de lien avec un objet particulier (Frijda, 1994; Scherer, 2005).

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rapport à une humeur neutre, mais pas par rapport à une humeur négative) ; (2) l’humeur désactivée et déplaisante (e.g., tristesse, lassitude), ainsi que l’humeur désactivée et plaisante (e.g., calme, relaxation) ne sont pas directement associées à la créativité ; (3) l’humeur activée et déplaisante (e.g., peur, anxiété) est en lien négatif avec la flexibilité cognitive (une variable qui est généralement en lien positif avec la créativité).

Proche de l’affect (en particulier de l’énergie), la motivation est également considérée dans de nombreuses approches comme un facteur crucial pour la créativité (e..g, Runco &

Chand, 1995; Sternberg & Lubart, 1995). La figure de proue des travaux sur la motivation et la créativité est certainement Amabile (1983, 1990, 1996), qui a insisté sur le rôle crucial de la motivation intrinsèque, caractérisée notamment par la volonté et le plaisir de s’impliquer dans une activité créative. La motivation extrinsèque, en tant que contrainte extérieure (promesse de récompense, menace de punition), a longtemps été considérée comme uniquement défavorable. Toutefois, il semble qu’elle puisse être favorable lorsqu’elle est associée à une forte motivation intrinsèque, en particulier pour certaines phases du processus créatif, telles que l’élaboration ou le raffinement du travail (Amabile, 1996; D. H. Cropley & A. J. Cropley, 2012; Lubart & Guignard, 2004). Ceci peut être rapproché des aspects de la motivation retenus par Sternberg (1988), en particulier la volonté de surmonter les obstacles, la volonté de se développer, le désir de reconnaissance et la détermination à travailler pour celle-ci. Plus récemment, Runco (2004) a mis l’accent sur la motivation à transformer et à interpréter le monde d’une manière originale, motivation qui doit être associée à l’aptitude permettant de décider quand cela est utile/pertinent ou ne l’est pas. D’autres auteurs encore ont évoqué l’importance de la détermination, ainsi que de l’implication personnelle et de l’absorption dans la tâche (Csikszentmihalyi, 1996; Ochse, 1990; Sheldon, 1995).

Enfin, les styles cognitifs sont aussi souvent considérés comme importants pour la créativité. Sternberg (1988, 1997) a insisté sur le rôle prépondérant du style dit législatif (préférence pour la création de règles), ainsi que sur le rôle du style dit judiciaire (jugement, critique). Sternberg remarque également qu’un minimum de globalité dans le type d’appréhension est nécessaire (i.e., considération d’ensemble, synthèse). Dans une perspective différente, Kirton (1976) a proposé deux styles cognitifs associés à la créativité : (a) le style adaptatif, caractérisé par la précision, la fiabilité, l’efficacité, la prudence et la discipline ; (b) le style innovateur, caractérisé par la découverte de problème, la flexibilité et le non- conformisme. Ces styles sont définis comme deux extrêmes d’un continuum qui peuvent tous deux mener à un certain niveau de créativité, bien que le style innovateur soit en quelque sorte le plus représentatif. En partie basé sur la distinction de Kirton, Brophy (1998, 2000) propose

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deux profils : (a) le penseur de type divergent a une tendance à prendre en compte de nombreux stimuli, organiser sa pensée d’une manière flexible et à rechercher toutes sortes d’information, ainsi qu’à faire preuve de plus d’innovation radicale, d’indépendance, de confiance, d’ouverture aux expériences et de tolérance à l’ambiguïté ; (b) le penseur de type convergent a plutôt tendance à faire preuve d’insatisfaction constructive et de persévérance, ainsi qu’à avoir une préférence pour le raisonnement logique et l’évaluation des idées avec les standards en vigueur (voir aussi Basadur, 1995; Epstein, Pacini, Denes, & Heier, 1996;

Eysenck, 2003; Treffinger, Isaksen, & Stead-dorval, 2006). Nous reviendrons plus loin sur cette distinction et d’autres de ce type (e.g., rapport entre la divergence et l’originalité, ainsi qu’entre la convergence et la qualité d’une production).

1.2.2. Processus

Dans le contexte de la recherche sur la créativité, le sens du terme processus est parfois équivoque et peut désigner (1) les variables cognitives impliquées dans la réalisation d’une tâche créative (e.g., pensée divergente) ou alors (2) le déroulement de cette tâche et les étapes de son développement (i.e., « le » processus créatif). Pour éviter ces confusions, nous suivrons la distinction suivante : nous parlerons plutôt d’aptitudes cognitives ou de variables d’intelligence pour évoquer les premières, alors que le terme de processus créatif sera réservé pour faire référence à l’ensemble des étapes et des efforts mis en œuvre lors de la réalisation d’une tâche créative (e.g., écriture d’un livre, composition d’une chanson). En plus du risque de confusion entre les différents points, chacun d’un eux présente également des problématiques intrinsèques. Pour cette raison, ces points seront discutés en détail dans différentes parties de cette introduction : (1) l’étude du rôle des aptitudes cognitives dans le cadre de la créativité, qui pose la problématique de la distinction entre créativité et intelligence, sera discuté dans la section 1.3.1. Créativité et intelligence (p. 32) ; (2) la question du processus créatif dans son ensemble sera discuté avec les problématiques liée à la génération et à la sélection d’idée (3. Modèle du processus créatif, p. 49). Pour l’instant nous allons simplement considérer la distinction entre deux grandes familles de modèles du processus créatif : les modèles séquentiels et les modèles itératifs.

L’idée de base sous-jacente à tous les modèles séquentiels est que le processus créatif peut être décomposé en plusieurs étapes, du début de la création jusqu’à son aboutissement. Si on cherche à synthétiser ces différentes approches, on peut retenir les principales étapes suivantes : (1) identification de quelque chose à améliorer, définition d’un problème à résoudre ; (2) préparation à la résolution, encodage sélectif de l’information pertinente qui se

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trouve dans l’environnement ; (3) incubation, distanciation du problème, diminution des efforts conscients pour parvenir à sa résolution; (4) illumination, découverte d'éléments de solution (e.g., analogie, métaphore); (5) vérification, mise à l'épreuve et amélioration de la solution trouvée; (6) communication, publication, validation de la production (A. J. Cropley, 1997; D. H. Cropley & A. J. Cropley, 2012; Lubart, 2000; Ochse, 1990; Wallas, 1926). Il est important de noter que les étapes des modèles de ce type ne suivent pas forcément un déroulent linéaire, mais peuvent se chevaucher et fonctionner en parallèle. Toutefois, malgré cette nuance, on peut reprocher à ces modèles en nombreuses étapes d’être trop rigides et de ne pas très bien rendre compte du processus créatif, en lui imposant une structure trop linéaire ou en étant finalement qu’un imbroglio de boucles de feedback. Ces modèles séquentiels, bien qu’ils semblent relativement exhaustifs et précis, sont très peu parcimonieux, ainsi que difficiles à soutenir et à généraliser empiriquement (Botella, 2007; Lubart, 2000).

En raison des limites des modèles séquentiels évoquées ci-dessus et dans un souci de parcimonie, nous nous focaliserons dans cette thèse sur les propositions issues des modèles itératifs. Ces modèles définissent généralement le processus créatif à partir des interactions ou de l'alternance entre un mode de pensée productif et un mode de pensée critique (e.g., Brophy, 2000; Campbell, 1960; Finke, Ward, & Smith, 1992; Lubart, 2000). Ces modèles postulent que c’est la collaboration constante entre les deux types de (sous-)processus qui est à l’origine des idées créatives et, par extension, à l’origine des productions plus complexes (i.e., ensemble d’idées élaborées et assemblées à l’aide de ces mêmes deux mêmes types de sous- processus). Comme annoncé plus haut, ces modèles feront l’objet d’un développement approfondi dans la section 3, p. 49.

1.2.3. Productions

Le concept de production(s) créative(s) est assez large et contient plusieurs sous- ensembles importants. Ici nous ferons une distinction en deux catégories : (1) la production ponctuelle, c’est-à-dire une production réalisée à un moment donné dans un contexte particulier (naturel ou expérimental) et dont certains attributs sont directement mesurables (e.g., originalité, qualité) ; (2) les activités et des accomplissements créatifs, qui sont souvent mesurés de manière indirecte (par questionnaire) ; ces mesures constituent une estimation de l’ensemble des productions réalisées par une personne. Dans les paragraphes suivants, nous allons discuter en détails les caractéristiques de ces deux types de mesure des productions.

Productions créatives ponctuelles. Dans les années 1950 à 1970, la recherche était très focalisée sur l'originalité des productions et les méthodes objectives d'évaluation. Dans la

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tradition des épreuves de pensée divergente (e.g., Guilford, 1950, 1956; Wallach & Kogan, 1965), on portait un intérêt quasi exclusif à la fluidité, la flexibilité et l'originalité des idées — trois dimensions qui corrèlent fortement, autour de .80 (e.g., Carroll, 1993; Silvia et al., 2008). Par la suite, plusieurs auteurs ont cherché à développer des situations de test plus complètes et écologiquement valides. Par exemple, dans un contexte quasi expérimental, Csikszentmihalyi et Getzels (1971) ont fait réaliser un dessin à des artistes, en mettant à leur disposition un certain matériel (identique pour chaque sujet). Cette procédure permettait d’observer le processus créatif ainsi que d’évaluer la production finale. Dans cette étude, les dimensions mesurées étaient celles de qualité technique, d’originalité et de valeur esthétique globale ; ces dimensions étaient évaluées par des experts du domaine (des professeurs en arts visuels). Csikszentmihalyi et Getzels ont trouvé de fortes corrélations entre ces trois dimensions (de l’ordre de .80 également). Dans la continuité de ces travaux, Amabile (1982) a élaboré une technique d’évaluation basée sur l’avis de plusieurs experts. Dans le cadre de plusieurs études réalisées pour développer cette technique, Amabile a par exemple fait réaliser des collages à des enfants et des adultes non-artistes. Une analyse factorielle exploratoire (AFE) sur la douzaine d’items utilisés pour évaluer ces productions a mis en évidence deux facteurs : un premier nommé créativité (nouveauté, complexité, variations des formes du collage) et un second nommé qualité technique (représentationalisme, expression du sens, planning, organisation). Dans une étude similaire utilisant une tâche d’écriture à la place du collage et des items légèrement différents pour les évaluations, Amabile a trouvé trois facteurs : créativité (nouveauté, sophistication, rythme), style (clarté, cohérence), et technique (grammaire, formalisme). Malheureusement dans les deux cas, les AFE étaient réalisées avec une rotation Varimax (qui ne permet pas de corrélation entre les facteurs) et aucune information n’était donnée à propos du critère utilisé pour décider du nombre de facteurs.

Ainsi, il est difficile de savoir quels résultats auraient pu donner des solutions factorielles alternatives (moins de facteurs et/ou des facteurs corrélés).

Dans une perspective différente, Besemer et O’Quin (Besemer & O’Quin, 1986, 1987, 1999; O’Quin & Besemer, 1989) ont argumenté que les productions créatives pouvaient être évaluées par des non-experts, dans la mesure où un outil adéquat était utilisé pour cette évaluation. Ces auteurs ont développé un questionnaire d’une cinquantaine d’items regroupés en plusieurs sous-échelles5 supposées former trois facteurs : (1) nouveauté, qui représente

5 Le nombre des sous-échelles varie en fonction des versions de cet instrument; la liste fournie ici est une synthèse et sélection des sous-échelles présentes dans les différentes versions.

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l’originalité, la surprise, la stimulation liée à une certaines production ; (2) la résolution, qui représente si une certaine production respecte les contraintes de la situation, dans quelle mesure elle est valable, adapté, utile dans un certain contexte ; (3) élaboration et synthèse, qui représente le style, la cohérence, l’élégance et la qualité de la production. Parmi ces trois dimensions, la nouveauté apparait assez clairement comme homogène et distincte des autres.

Les dimensions de résolution, d’élaboration et de synthèse sont en revanche plus confondues (O’Quin & Besemer, 1989). En partie basé sur cette proposition, Glück, Ernst et Unger (2002) ont développé une liste de 16 adjectifs permettant de qualifier une production créative. Ces adjectifs peuvent être regroupés en trois dimensions similaires à celles de Besemer et collègues : (1) caractère inhabituel, radical, surprenant, original, drôle, idiosyncrasique ; (2) fonctionnalité, technique, utilité, élaboration, qualité, pertinence ; (3) élégance, esthétique, logique. Malheureusement cette étude ne permet pas de répondre aux questions liées à la distinction et corrélations entre ces facteurs : les AFE sont à nouveau faites avec une rotation orthogonale (Varimax) et seules certaines saturations sont reportées (aucune information n’est donnée sur des éventuelles saturations croisées).

En résumé, les propriétés les plus souvent mesurées sont l’originalité, la qualité technique et la valeur esthétique. Mais certains points restent obscurs. En particulier, l’usage systématique des rotations Varimax a totalement éludé la question des corrélations entre les facteurs. La seule analyse factorielle confirmatoire réalisée sur les échelles évoquées ci-dessus (Besemer & O’Quin, 1999) ne teste qu’un seul modèle et ne reporte pas les corrélations entre les facteurs (sic). Il reste donc possible, par exemple, que la valeur esthétique corrèle fortement avec l’originalité et la qualité technique. Par extension, il n’est pas exclu que cette dimension n’amène pas plus d’information que les deux autres. D’ailleurs, pour de nombreux auteurs, l’originalité et la qualité sont les deux dimensions principales de la production créative (e.g., Eysenck, 1995; Finke et al., 1992; Mumford, 2003; Plucker et al., 2004;

Sternberg & Lubart, 1995). Enfin, sur la question des experts vs. non-experts pour évaluer la créativité, plusieurs nuances importantes doivent être prises en compte. Traditionnellement, suite aux travaux d’Amabile (1982), l’évaluation par des experts d’un domaine est considérée comme supérieure. Toutefois, l’utilisation d’avis d’experts est aussi accompagnée d’incertitudes. Quel doit être leur niveau d’expertise ? Quel degré de consensus sont-ils supposés atteindre ? Sont-ils vraiment adaptés aux besoins de l’évaluation de toutes les études ? (Voir p. ex. Plucker & Renzulli, 1999.) Récemment, Kaufman et Baer (2012) ont montré que l’utilisation de quasi-experts, voire de novices, était dans certains cas possible, notamment pour l’évaluation de la créativité d’un texte. Ceci est important, car réunir

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plusieurs experts pour évaluer des productions créatives peut être très couteux, en particulier si les productions sont nombreuses. De plus, on peut argumenter que la situation « novices qui évaluent des novices » est plus analogue à la situation « experts qui évaluent des experts » que la situation « experts qui évaluent des novices ».

Habitudes et accomplissements créatifs. D’après Hocevar (1981), les mesures des activités et accomplissement créatifs sont parmi les meilleurs compromis pour mesurer la créativité, bien que la décision de ce qui est ou n’est pas une activité créative puisse être sujette à discussion. Plusieurs échelles ont été développées dans cette perspective, pour mesurer notamment les activités créatives à un niveau non éminent (créativité de tous les jours). Les activités généralement retenues sont dans des domaines très variés (e.g., écriture, dessin, photo, sculpture, vidéo, cuisine, théâtre, musique, décoration, humour). Les modalités de réponses des questions de ces échelles sont généralement basées sur la fréquence de réalisation de certains comportement type (Batey, 2007; Dollinger, 2003; Hocevar, 1979) ou sur le sérieux et le temps passé sur ces activités (Verhaeghen, Joorman, & Khan, 2005). Ces échelles sont généralement considérées comme unidimensionnelles (Batey, 2007; Dollinger, 2003; Verhaeghen et al., 2005), bien que des sous-dimensions aient été parfois proposées et investiguées (Dollinger, Urban, & James, 2004; Hocevar, 1979).

Paradoxalement, si ce type de mesure est considéré comme valide, les détails techniques de ces échelles (propriétés psychométriques, items eux-mêmes) sont souvent peu documentés ou peu accessibles (e.g., Batey, 2007; Hocevar, 1979). Récemment toutefois, une revue et analyse de ces questionnaires auto-rapportés a montré la validité et la fidélité de ce type de mesure (Silvia, Wigert, Reiter-Palmon, & Kaufman, 2012). Cette étude inclut plusieurs mesures telles que celles évoquées ci-dessus (Batey, 2007; Dollinger, 2003) et teste leur validité convergente, en les comparant notamment avec le questionnaire des accomplissements créatifs de Carson, Peterson, et Higgins (2005). Sur le principe, ce questionnaire de Carson et al. est similaire aux précédents, mais il est plus focalisé sur les accomplissements créatifs à un niveau plus élevé. De plus, cet outil présente l’avantage d’une certaine objectivité ou d’un certain consensus, car les items ont été construits par des experts dans les différents domaines évalués par le questionnaire. Les items sont notamment basés sur le niveau atteint ou sur les récompenses typiques obtenues dans un domaine particulier. La structure factorielle révèle trois sous-facteurs : (a) activités artistiques d’expression (notamment arts visuels et écriture) ; (b) activités artistiques de performance (p. ex. musique, théâtre) et (c) activités scientifiques. En résumé, l’étude récente de Silvia et al. (2012) a montré que les questionnaires de créativité de tous les jours avaient une bonne validité et

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étaient généralement constitués d’un seul facteur sous-jacent, alors que le questionnaire des accomplissements créatifs de Carson et al. a une structure factorielle plus complexe (voir aussi Silvia, Kaufman, & Pretz, 2009).

1.2.4. Environnement, culture

La personne, le processus et les productions évoqués jusqu’ici évoluent bien sûr dans un environnement. L’environnement, en particulier l’environnent social, représente souvent une composante non négligeable des modèles de la créativité. Sur cette question, ce sont sans doute les modèles systémiques6 qui apportent l’éclairage le plus complet (e.g., Feldman, Csikszentmihalyi, & Gardner, 1994; Gruber, 1988; Gruber & Wallace, 1999). Dans cette tradition, la créativité n’est pas seulement vue comme un processus mental ou une activité propre à la personne, mais aussi comme un produit hautement culturel et social. Par exemple, Feldman, Csikszentmihalyi et Gardner (1994) proposent un modèle de la créativité fait de trois systèmes : la personne, qui est le focus habituel des théories de la créativité en psychologie ; le domaine, qui correspond à la structure de connaissance propre à la discipline ; et le champ, composé des personnes et des institutions qui enseignent, jugent, encouragent et sélectionnent les productions créatives. Ces auteurs mettent un accent fort sur les interactions et les liens entre ces systèmes. D’après Csikszentmihalyi (1999), le domaine peut avoir de nombreuses incidences sur la créativité, notamment en fonction de la manière dont l’information est stockée, intégrée et partagée, ainsi qu’en fonction de l’accessibilité du domaine. Il donne également des exemples probants de la manière dont le champ peut affecter la créativité : s’il est indépendant ou non des autorités religieuses et politiques, s’il est plus ou moins contraint par le domaine. En science par exemple, les critères de définition de la créativité sont plus objectifs et explicites qu’en art ; le champ a par conséquent moins de pouvoir car les productions créatives sont confrontées aux connaissances antérieures et aux expériences (ce qui ne signifie pas pour autant que le champ n’a pas d’influence).

Le rôle de la culture a également été souligné par Lubart (1999, 2010). Par exemple, certaines sociétés orientales sont plus attachées au conformisme et à l’excellence de la technique plutôt qu’à l’originalité, ce qui a un impact sur la créativité en favorisant un aspect plutôt qu’un autre. D’après Abuhamdeh et Csikszentmihalyi (2004), il n’existe pas de

6 La notion de système sera définie plus formellement à la fin de la section 3 et dans la section 4. Pour l’instant un système peut être vu simplement comme un ensemble de différents éléments (e.g., les caractéristiques d’une personne) qui interagit avec d’autres ensembles (e.g., un corpus de connaissance).

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personnalité créative type ; chaque profil est fonction du domaine et de l’époque. Par exemple, certains mouvements (e.g., romantisme, expressionnisme, surréalisme) ont favorisé les personnalités émotives, introverties, voire à tendances psychotiques, alors que d’autres mouvements (e.g., réalisme, classicisme) ont favorisé plutôt des personnalités de type calme et extravertis. Pour ce qui est de notre époque, la personnalité des artistes contemporains s’éloigne peut-être de ce profile type ; Abuhamdeh et Csikszentmihalyi constatent que ceux qui réussissent à l’heure actuelle ont des profils proches des décideurs et des exécutifs de Wall Street : sociables, pragmatiques et carriéristes. Par ailleurs, un certain paradigme ou certaines circonstances historiques peuvent rendre nécessaire ou inévitable l’émergence d’une certaine forme d’art (i.e., si un artiste ne le fait pas, un autre le fera). Ceci est également vrai pour la science, domaine dans lequel il est d’ailleurs fréquent que des découvertes aient été faites simultanément par des chercheurs indépendants. Ces suggestions sont à rapprocher de celles de Kasof (1995), qui insiste sur le fait que l’on surestime souvent les causes dispositionnelles (individuelles), par rapport aux causes situationnelles ; en d’autres termes, le rôle de la personne est exagérément mis en avant, au détriment des effets de contexte.

En ce qui nous concerne ici, nous admettrons que les effets de contexte coexistent avec les causes dispositionnelles ; sans ignorer les effets de contexte, nous resterons focalisés sur la personne et les causes dispositionnelles. En résumé, nous retiendrons les distinctions suivantes concernant le contexte : contexte immédiat et contrainte de la tâche ; contexte plus large du domaine et du champ ; environnement général de la société, culture, air du temps, etc. (Feldman et al., 1994; Mumford, 2003; Sternberg & Lubart, 1995). Nous reviendrons sur le rôle du contexte et ses relations avec des variables dispositionnelles dans la dernière section (4. Un modèle intégratif de la créativité, p. 57).

1.3. Limites et controverses liées aux modèles actuels

Dans cette sous-section, nous allons aborder quelques questions récurrentes de la recherche sur la créativité. Ces questions sont d’une importance particulière car elles apparaissent dans différentes approches et dans de nombreux modèles.

1.3.1. Créativité et intelligence

Sans entrer ici dans les détails sur les modèles de l’intelligence, nous noterons pour notre propos qu’il est difficile, voire impossible, de tracer une frontière précise entre la créativité et l’intelligence ; on retrouve généralement un chevauchement important entre les deux (e.g., Lubart, 2003; Piaget, 1981; Sternberg & O’Hara, 1999; Ward, Smith, & Finke,

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