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Chapitre 1 : Introduction générale

1. Modèles de la créativité

1.1. Histoire et types d'approches

La créativité est un thème qui est largement abordé par un grand nombre de disciplines scientifiques. En psychologie, c’est un domaine de recherche que l’on retrouve dans la plupart des sous-disciplines (cognitive, clinique, développementale, etc.). Ainsi, dans cette première sous-section, nous examinerons ces différentes approches, en commençant par les approches dites qualitatives (e.g., approche biographique, psychanalyse). Puis, dans un second temps, nous nous focaliserons plus strictement sur les approches empiriques quantitatives (approches cognitive, psychométrique, expérimentale)3. Au cours de ce panorama de la recherche sur la créativité, nous commencerons à décrire et lister des éléments théoriques qui seront repris et articulés dans les sections suivantes.

1.1.1. Approches qualitatives

Historiquement, la recherche sur la créativité a commencé tardivement. Comme le montrent Albert et Runco (1999), la créativité était considérée comme étant d’origine divine jusqu’à la renaissance (seul Dieu était, par définition, créateur), époque à partir de laquelle le talent commença à être attribuée aux personnes. Entre les XVème et XVIIème siècles, les conceptions de la créativité semblent avoir peu évoluées, mais les développements des instruments de mesure et de la pensée scientifique ont amorcé les changements à venir. Dans

3 D’autres approches, systémiques et évolutionniste en particulier, seront introduites plus loin (sections 3-4).

les années 1700, des distinctions sont faites entre les concepts de génie, d’originalité, de talent et d’éducation formelle. Une différence nette est maintenue entre les personnes avec du talent, qui pouvait être développé par l’éducation, et le génie, qui était exceptionnel et échappait par conséquent à toutes les règles et obligations classiques.

Cette idée s’est atténuée par la suite et la frontière entre génie et talent s’est peu à peu estompée. Au début du XVIIIème siècle, plusieurs auteurs (e.g., Bethune, Jevons ; cités par Becker, 1995) commencent à organiser et définir plusieurs caractéristiques de la créativité que l’on retrouvera beaucoup dans la littérature du XXème siècle : divergence des modes de pensée classiques, capacité à générer de nouvelles combinaisons de pensées et à les présenter avec force et clarté, capacité à choisir entre différentes options, à comparer et à sélectionner les idées et théories les plus prometteuses ou pertinentes. Cette tradition de recherche, que l’on peut qualifier de biographique ou spéculative, c’est également beaucoup intéressée à la question des liens entre la créativité et la santé mentale, produisant des idées et controverses qui sont encore d’actualité de nos jours (e.g., Silvia & Kaufman, 2010).

En partie issue de ces premiers travaux, l’approche psychanalytique s’est également intéressée à cette question de la créativité et de la santé mentale. D’après cette approche, la personne créative est caractérisée par une vie affective et instinctuelle puissante, qu’elle tente de canaliser et de sublimer, et qui, pour ne pas verser dans la pathologie, doit être contrecarrée par une souplesse du refoulement ou un Moi fort (Domino, Short, Evans, & Romano, 2002;

Kris, 1952; Suler, 1980). Ces propositions sont proches de celles de Rorschach (1947), selon qui la structure du profil artistique est caractérisée par une vie intérieure riche et une affectivité forte, mais bien contrôlée par les fonctions intellectuelles et de rapport au monde.

Des auteurs tels que Rank, Adler et Fromm ont suggéré que la créativité soit le résultat d’une pulsion positive destinée à améliorer le soi et la santé mentale, à travers l’ajustement entre la proximité affective et l’indépendance (Mackinnon, 1965; Ochse, 1990). Ces prises de position sont reprises par Rogers et Maslow, qui placent carrément la créativité au sommet de l’accomplissement humain et de l’actualisation du soi (Ochse, 1990).

Si ces approches sont parfois critiquées pour être peu scientifiques (e.g., Eysenck, 1995), il n’en demeure pas moins que plusieurs idées qui en sont issues ont connu un développement et un fleurissement important au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’en prenant des chemins parfois très différents (souvent le plus éloigné possible de la psychanalyse ou de la philosophie), d’autres approches plus modernes ou plus scientifiques ont retrouvé des conclusions qui s’accordent assez bien avec ces premières suggestions.

1.1.2. Approches quantitatives

A partir des idées issues de la révolution Darwinienne, Galton (1869) a opérationnalisé la diversité (liée au processus de variation de l’évolution) comme des différences interindividuelles mesurables, ouvrant ainsi la voie à la psychométrie contemporaine. En accord avec ce que nous avons évoqué ci-dessus, Galton nota également l’existence de liens entre créativité, énergie, forte capacité au travail et psychopathologie (Becker, 1995; Ochse, 1990). Dans la même veine, James (1890) suggère que deux facteurs liés à la personne sont fondamentaux pour la créativité : l’intelligence et l’excitabilité de l’esprit, une proposition qui a été reprise et élaborée par d’autres auteur plus récents (e.g., Eysenck, 1995; Piechowski, 2003). Par ailleurs James insista sur la spécificité de l’idéation créative, basée sur des transitions abruptes d’une idée à l’autre, des combinaisons d’éléments variés ; un processus caractérisé par l’impossibilité d’appliquer des routines, ainsi que par le caractère soudain et imprévisible de la découverte (Becker, 1995).

Basée sur les travaux de ces pionniers de la psychologie scientifique, l’approche psychométrique fut parmi les premières à proposer des mesures de la créativité ou, du moins, des mesures de certaines variables cognitives associées à la créativité. Par exemple, les premiers tests d’intelligence développés par Binet et Simon intégraient des tâches d’imagination, tâches qui ont finalement été exclues car trop différentes de la majorité des autres (Lubart, Mouchiroud, Tordjman, & Zenasni, 2003). Néanmoins, plusieurs modèles de l’intelligence ont repris et intégré par la suite cette dimension d’imagination sous le nom plus spécifique de fluidité (Thurstone, 1938) ou de pensée divergente (Guilford, 1956). D’après Cattell (1971), la créativité serait caractérisée par le facteur général d’intelligence (g), par la fluidité et la flexibilité idéationnelle, ainsi que par certains aspects de l’intelligence cristallisée, tels que les connaissances dans un domaine particulier.

D’une manière générale, la tradition psychométrique est attachée à la qualité de la mesure ainsi qu’à l’organisation formelle des facteurs généraux et spécifiques liés aux capacités cognitives (à l’aide des méthodes d’analyse factorielle). Cette approche a été et reste extrêmement importante pour l’étude de la créativité, au moins pour deux raisons : (1) la psychométrie a également eu une influence majeure dans le champ de la recherche sur la personnalité (Cattell, 1965; Goldberg, 1993) ; (2) les modèles d’équations structurales, qui permettent de tester des hypothèses multivariées et qui sont très utilisés à l’heure actuelle, sont issus de l’analyse factorielle et de cette tradition psychométrique.

Un autre type d’approche important pour la recherche contemporaine sur la créativité est l’approche expérimentale. Cette approche a permis beaucoup de démystification de la créativité grâce à l’étude détaillée de processus particuliers (e.g., formation de métaphores ou d’analogies), ceci dans un contexte contrôlé. Finke, Ward et Smith (1992) ont élaboré un modèle important pour la compréhension de créativité ; ce modèle sera largement détaillé plus loin (3. Modèle du processus créatif, p. 49). Pour l’instant, nous constaterons simplement que cette approche a permis de montrer que la créativité pouvait s’inscrire dans le champ de la cognition normale.