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2 CADRE THÉORIQUE

2. Sosa et Carrillo (2010)

2.4 Critiques, limites et choix de la CME comme cadre théorique

2.5.2 Le modèle de Ernest

Nous présentons ici le modèle d'Ernest dans lequel il présente trois composantes principales : les connaissances, les conceptions et les attitudes de l'enseignant.

Sur la connaissance

Dans une première partie, l'auteur distingue entre la connaissance des mathématiques et la connaissance de l'enseignement des mathématiques. Il affirme que les connaissances mathématiques sont acquises dès la petite enfance et souvent, construits avant la fin de la période de formation initiale des enseignants. Ces connaissances soutiennent les explications, les démonstrations, le diagnostic des idées fausses, l'acceptation des méthodes des élèves, les décisions relatives au programme d'études, etc. Par conséquent, pour Ernest, la connaissance des mathématiques constitue la base des connaissances pédagogiques des enseignants et de ses compétences pour l'enseignement des mathématiques.

En ce qui concerne la connaissance de l'enseignement des mathématiques, cet auteur s'appuie sur les idées développées pour Shulman (1986) pour considérer d'une part les connaissances pédagogiques et d'autre part les connaissances du programme. Comme nous l'avons vu auparavant, la connaissance pédagogique des mathématiques est une connaissance particulière que l'enseignant mobilise pour transformer et représenter le savoir mathématique pour son enseignement. Il est donc fondamental pour la planification, l'interaction avec les élèves et la prise de décisions pédagogiques. La connaissance du programme des mathématiques est essentielle à la planification et à la mise en œuvre. L'enseignant l'utilise pour déterminer comment les mathématiques sont représentées aux élèves dans leurs expériences d'apprentissage.

Suivant les idées de Ball (1987), Ernest affirme que les enseignants commencent à acquérir leurs connaissances pédagogiques au cours de leurs années d'études, en fonction de leurs expériences d'apprentissage personnelles. Les étudiants peuvent apprendre les rudiments didactiques des mathématiques au cours de leur formation initiale d'enseignant, mais la partie la plus importante de l'apprentissage a probablement lieu pendant l'enseignement réel basé sur l'expérience pratique.

Sur les conceptions

La deuxième structure cognitive qu'Ernest considère sont les conceptions. Cette structure repose sur la possibilité que deux enseignants aient des connaissances mathématiques similaires et que, selon leurs conceptions, ils décident d'enseigner ces connaissances de manières différentes.

Ernest définit ces « conceptions » comme étant un système de croyances, de valeurs et d'idéologie propre à l'enseignant. Selon cet auteur, l'importance de ce concept repose sur le fait que

telles conceptions ont un impact puissant sur l'enseignement à travers des processus tels que la sélection du contenu, les modes d'enseignement et d'apprentissage, etc.

Accès aux conceptions

Dans un article paru en 2004, Flores s'inspire de Godino et Batanero (1994) pour prendre les croyances et les conceptions comme significations que les étudiants donnent aux mathématiques, à son enseignement et à son apprentissage. Il affirme que ces significations que nous appelons conceptions ne sont pas directement observables. Ils appartiennent à un niveau d'information profonde, souvent inconsciente, pas toujours accessible au sujet sous enquête. Cela signifie que pour caractériser les conceptions des étudiants, il faut des méthodes de recherche indirectes qui incitent les étudiants à exprimer leurs points de vue, les postulats sur lesquels ils s'appuient ou en vertu desquels ils interprètent les phénomènes.

Défis pour la formation des enseignants

Si l'on tient compte du fait qu'un document publié par le NCTM (1991) défend l'idée que ce qui est appris est fondamentalement lié à la manière dont il est appris, c'est-à-dire que le même poids est accordé aux contenus et aux méthodes d'enseignement, on considère que l'attention aux conceptions des enseignants est fondamentale. Flores (2004) propose de confronter les conceptions des étudiants dans leur formation initiale, en essayant de les rendre explicites et de les confronter à leurs fondements.

Dalcin, Ochoviet et Olave (2017) affirment que ce que les étudiants - futurs enseignants - apprennent dans la période de formation initiale est directement lié à leur future profession. Dans ce contexte, la façon dont les mathématiques sont enseignées aux futurs enseignants est plus importante que les sujets abordés. Ils assurent qu'un des principaux objectifs de la formation des futurs enseignants est de développer des conceptions et des attitudes qui leur permettent d'effectuer, à l'avenir, les changements qu'ils considèrent nécessaires pour leurs pratiques en classe.

Dans ce qui suit et d'après Ernest, nous développons les conceptions sur la nature des mathématiques, et les modèles mentaux de son enseignement et son apprentissage.

Conception sur la nature des mathématiques

Cet auteur soutient que la conception qu'ont les enseignants de la nature des mathématiques ne sont pas nécessairement conscients, et ajoute qu'elles peuvent être considérées comme des

philosophies implicites. Suivant l'argumentation de Thompson (1992), Ernest distingue trois philosophies des mathématiques dans l'enseignement des mathématiques :

• Tout d'abord, il existe une vision dynamique et axée sur les problèmes des mathématiques en tant que domaine en expansion constante de la recherche humaine. Les mathématiques ne sont pas un produit fini et leurs résultats peuvent être révisés (la vision de la résolution des problèmes).

• Deuxièmement, il y a la conception des mathématiques comme un ensemble de savoirs statiques mais unifiées, composé de structures et de vérités interconnectées. Les mathématiques sont un monolithe, un produit statique immuable, qui est découvert, non créé (vision platonicienne).

• Troisièmement, on estime que les mathématiques sont un ensemble de faits, de règles et de compétences utiles mais sans rapport entre eux (vision instrumentiste).

Pour Ernest, ces points de vue sur la nature des mathématiques peuvent être combinés avec d'autres constructions, comme par exemple, des points de vue sur la relation entre différentes matières. De cette façon, l'auteur affirme que les philosophies des mathématiques ont des résultats pratiques en classe. Une vision active et résolue des connaissances mathématiques peut conduire à l'acceptation des méthodes et approches proposées par les élèves. Par contre, une vision théorie platonicienne ou instrumentaliste des mathématiques peut amener l'enseignant à insister sur l'existence d'une seule méthode correcte pour résoudre chaque problème.

Ernest s'appuie encore une fois sur les idées de Thompson (1984) pour affirmer que les conceptions des mathématiques se reflètent dans les modèles d'enseignement et d'apprentissage des enseignants et, par conséquent, dans leurs pratiques.

Modèles mentaux d'enseignement et d'apprentissage des mathématiques

Suite à plusieurs études cités par Ernest (Cooney, 1985, 1988 ; Ernest, 1988b ; Kuhs et Ball, 1986 ; Thompson, 1984), il soutient que la pertinence des modèles mentaux d'enseignement et d'apprentissage des mathématiques réside dans leur impact puissant sur la façon dont les mathématiques sont enseignées. L'influence de ces modèles est conditionnée par les petits détails de l'expérience en classe : le choix des tâches d'apprentissage, le traitement des erreurs des élèves et l'acceptation de leurs idées, la rigueur avec laquelle les textes mathématiques sont suivis, etc. Selon l'auteur, c'est par le biais de ces modèles mentaux que l'enseignant est capable de construire et de modeler son comportement à partir de ces ensembles d'idées (qui peuvent inclure des souvenirs d'anciens enseignants).

Modèle d'enseignement des mathématiques

Il s'agit de la conception qu'a l'enseignant du type d'action pédagogique et d'activités en classe, c'est-à-dire que cette conception contribue à son approche personnelle de l'enseignement des mathématiques. Ce modèle mental de l'enseignant détermine la façon dont les mathématiques sont enseignées, en tenant compte des limites du contexte de la situation scolaire. Ce modèle est susceptible d'être étroitement lié et influencé par la conception que l'enseignant a de la nature des mathématiques, comme il est suggéré ci-dessus.

Modèle de l'apprentissage des mathématiques

Il s'agit du point de vue de l'enseignant sur le processus d'apprentissage des mathématiques, comme les comportements et les activités mentales de l'élève concerné. Il est donc composé d'objectifs, d'attentes, de conceptions et d'images des activités et processus d'apprentissage. Ce modèle d'apprentissage repose sur deux visions : l'une en tant que construction active de la connaissance et l'autre en tant que réception passive du savoir.

L'auteur soutient ainsi que le modèle de formation des enseignants joue un rôle central dans leurs conceptions, quelle que soit leur idéologie éducative. Dans la mesure où ce modèle est mis en pratique, il devient un facteur vital (mais non déterminant) dans l'expérience d'apprentissage de l'élève, car il influence ses résultats cognitifs et affectifs.

Sur les attitudes

Ernest considère les attitudes comme la troisième construction du système. D'une part, cette construction tient compte des attitudes de l'enseignant à l'égard des mathématiques, comme le goût, le plaisir, l'intérêt et la confiance dans ses propres capacités mathématiques. D'autre part, il prend en compte les attitudes du professeur à l'égard de l'enseignement, comme le goût, le plaisir et l'enthousiasme pour l'enseignement des mathématiques, et la confiance en sa capacité d'enseigner.

Pour Ernest, la pratique de l'enseignement des mathématiques est la fonction première de l'enseignant de mathématiques et la fin vers laquelle les connaissances, les conceptions et les attitudes sont dirigées. Au-delà de cet objectif, l'importance de considérer la pratique même de l'enseignement réside dans le fait que son observation peut révéler la disparité entre ce genre de conceptions ou les intentions, et la pratique réelle, comme nous l'avons également vu dans Carrillo et Contreras (1995). Selon Ernest, la différence entre les conceptions et la pratique réelle peut être due à trois raisons.

Tout d'abord, il y a la profondeur des conceptions et la façon dont elles s'intègrent aux connaissances, en particulier aux connaissances pédagogiques. Si les conceptions sont représentées d'une manière verbale déconnectée, sans liens riches avec d'autres conceptions et connaissances, il n'y a qu'une base limitée pour leur promulgation. Par conséquent, la disparité entre conceptions et les actions prises ou déclarées ne devrait pas surprendre.

Deuxièmement, il y a le niveau de conscience qu'a l'enseignant de ses propres conceptions et la mesure dans laquelle il réfléchit à sa pratique de l'enseignement des mathématiques, ce qui mène à une meilleure intégration des conceptions et des pratiques. Certains des éléments clés de la pensée des enseignants, sur le plan de la pratique, sont : la conscience d'avoir adopté des points de vue et des hypothèses spécifiques concernant la nature des mathématiques, leur enseignement et leur apprentissage ; la capacité de justifier ces points de vue et hypothèses ; la réflectivité : le souci de concilier et d'intégrer les pratiques scolaires et les conceptions ; et de concilier des conceptions divergentes.

Troisièmement, il y a la forte influence du contexte social. Cela résulte des attentes des autres, en particulier des autres enseignants et supérieurs. C'est aussi le résultat du curriculum institutionnalisé incorporé dans les textes adoptés, du système d'évaluation, etc.

Conséquences pour la formation des enseignants

Ce modèle présente deux distinctions pertinentes lorsqu'on examine ses implications pour la formation des enseignants.

Premièrement, il y a la distinction entre les connaissances, les conceptions et les attitudes. Pour Ernest, la connaissance est le résultat cognitif de la formation des enseignants, et les conceptions et attitudes représentent le résultat affectif. Les objectifs cognitifs de la formation des enseignants, c'est-à-dire l'acquisition de connaissances, peuvent être abordés relativement de manière directe dans le contenu des expériences d'enseignement et d'apprentissage. Les objectifs affectifs, c'est-à-dire le développement de conceptions et d'attitudes, ne peuvent être traités comme le contenu de l'enseignement. L'acquisition de modèles d'enseignement et d'apprentissage des mathématiques est fait en grande partie par le biais des modes d'enseignement vécus et observés par les élèves. Les opinions sur la nature des mathématiques dépendent également des modes d'enseignement et des types d'expérience qui permettent d'apprendre les mathématiques. Les attitudes à l'égard des mathématiques et de leur enseignement représentent les réactions personnelles de l'enseignant aux expériences vécues dans ces domaines, ainsi que d'autres influences. Ces exemples montrent que le facteur crucial dans le développement des conceptions et des attitudes dans la formation des enseignants est la forme, et non le contenu, des expériences

d'apprentissage. L'une des caractéristiques clés du modèle présenté ci-dessus est l'importance accordée aux conceptions de l'enseignant de mathématiques.

Ernest conclut qu'il est impératif d'accorder une grande attention à la façon dont les cours sont pensées. Ainsi, si l'enseignement des mathématiques doit inclure des éléments significatifs de travail pratique, de discussion, de résolution de problèmes et de recherche, la formation des enseignants doit en faire autant s'ils veulent apprendre à modeler ces styles.

Les travaux d'Ernest et bien d'autres (Dossey, 1992 ; Flores, 1995 ; Flores, 2004 ; Thompson, 1984 ; Thompson, 1992 ; Clivaz, 2011 ; Shulman, 1986 ; Ball, 1987 ; Godino et Batanero, 1995 ; Carrillo et Contreras, 1995 ; NCTM, 1991 ; Dalcin, Ochoviet et Olave, 2017), démontrent l'importance des conceptions et des attitudes dans l'enseignement des mathématiques. Ils justifient également la nécessité d'examiner et de planifier les méthodes d'enseignement dans les cours de formation en accordant autant d'attention aux conceptions et aux attitudes qu'au contenu.

La deuxième distinction est celle entre connaissances théoriques et pratiques. La connaissance théorique est depuis longtemps le contenu principal des cours de formation des enseignants. Traditionnellement, les connaissances pratiques ont été traitées de manière plutôt informelle. Elle est censée s'acquérir par immersion dans les expériences et les pratiques pédagogiques. Selon Ernest, si l'on s'attend à des changements dans l'enseignement des mathématiques, il est crucial de tenir compte de la psychologie des enseignants, car ces changements concernent à la fois le contenu et les modes d'enseignement des mathématiques. À cette fin, la conception des cours doit tenir compte du développement des connaissances, des conceptions et des attitudes des étudiants, tant sur le plan théorique que pratique.

2.6 Bilan

Dans cette section, nous avons présenté quelques travaux qui soutiennent le lien entre les conceptions de l'enseignant et ses pratiques en classe.

En ce qui concerne le choix entre les termes croyances et conceptions, nous avons choisi le second en défendant l'idée qu'il inclut aussi le premier. A partir des arguments présentés, nous interprétons qu'il est possible de modifier une conception en le contrastant avec une référence valide. Cependant, nous comprenons que ce type de modification n'est pas toujours possible pour les croyances (p. ex. dans le cas d'une croyance religieuse). D'autre part, nous avons remarqué que de nombreux auteurs utilisent les deux termes comme synonymes, nous préférons donc faire la différence pour avoir la possibilité de la modification dans le cas où on parle des conceptions.

Pour en revenir à notre problématique de recherche, nous nous intéressons à la façon dont ces conceptions sont constituées chez les futurs enseignants de mathématiques, en ce qui concerne les mathématiques et leurs modèles d'enseignement et d'apprentissage.

Dans le contexte de la formation des enseignants et en suivant la ligne d'Ernest, le système formé par les connaissances, les conceptions et les attitudes influence les modèles d'enseignement et d'apprentissage. Nous pensons ce système comme un filtre à travers lequel l'enseignant prend des décisions dans la tâche d'enseignement, en tenant compte du contexte institutionnel. C'est-à-dire qu'en plus des connaissances mathématiques, un modèle d'enseignement a la coloration des conceptions et attitudes envers les mathématiques de l'enseignant. Ces conceptions et attitudes qui se traduisent dans la pratique produisent des effets sur l'apprentissage des élèves. Pour cette raison, nous sommes intéressés à savoir comment se construisent et se modifient les conceptions liées à l'enseignement des mathématiques des futurs enseignants. Nous sommes particulièrement intéressés à identifier l'influence que l'histoire des mathématiques peut avoir sur les conceptions des futurs enseignants.

Comme deuxième réflexion et par rapport au cadre théorique de la CME, on peut dire que les conceptions sur la nature des mathématiques se manifestent dans le sous-domaine de la CHM. Comme nous l'avons vu, il y a quatre éléments constitutifs de la CHM et nous pouvons naturellement penser que la nature des mathématiques se reflète au moins dans le deuxième principales idées et structures disciplinaires, et dans le quatrième, valeurs et sensibilités mathématiques fondamentales. Puis il est naturel de considérer que ces conceptions se manifestent dans le CHM.

Dans ce qui suit, nous présentons trois situations inspirées par cette section :

• Selon Ernest, les connaissances, les conceptions et les attitudes sont liées les unes aux autres et forment un système dans lequel elles interagissent.

• L'histoire des mathématiques influence ce filtre et celles-ci se manifestent dans le CHM de l'enseignant.

Figure 2.7 : Influence de l'histoire des mathématiques dans les conceptions des enseignants.

• L'influence de histoire des mathématiques à travers les conceptions est directe dans le CHM et indirecte par rapport à l'ensemble du CME.

La CME de chaque enseignant est configurée de manière unique par l'influence de ce système. Rappelons-nous l'exemple présenté par Ernest de deux enseignants ayant les mêmes connaissances mathématiques et des postures éducatives différentes selon ce qu'ils considèrent comme le plus approprié pour leurs élèves.

Pour représenter cette idée, nous pouvons penser à l'histoire des mathématiques passant « à travers » ce filtre de connaissances, de conceptions et d'attitudes. C'est ainsi, l'histoire des mathématiques « imprègne » l'observateur, produisant deux types d'influence qui se manifestent dans sa CME : une influence directe qui se manifeste sous forme de conceptions dans la CHM, et une influence indirecte qui se manifeste à travers les attitudes et les connaissances dans les autres sous-domaines de la CME.

Figure 2.8 : L'histoire des mathématiques passe par le « filtre » et se manifeste dans la CME.

Ainsi, la formulation de notre problématique sur l'influence d'un cours d'histoire des mathématiques dans la formation des futurs enseignants des mathématiques, acquiert une dimension plus profonde associée aux hypothèses qui lient les modèles de formation et l'enseignement ultérieur.

Après avoir examiné l'importance des conceptions dans le cadre de la connaissance mathématique pour l'enseignement, nous consacrons la section suivante à la relation entre l'histoire des mathématiques et la connaissance de l'horizon mathématique.