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1 ÉTAT DE L’ART

1.3 Quelques approches pour comprendre la place de l'histoire des mathématiques dans la formation des enseignants

1.3.5 Considérations faites sur le travail de Jankvist au Danemark

Uffe Jankvist est professeur de l’École danoise d'Éducation à l'Université d'Aarhus au Danemark. Ses recherches portent sur la didactique et l'histoire des sciences et des mathématiques, ainsi que sur le développement des compétences professionnelles et des programmes secondaires. On se concentrera sur ses recherches afin de comprendre les enjeux d'introduction de l'histoire des mathématiques dans l’enseignement de cette discipline.

Dans sa thèse, Jankvist (2009) distingue deux questions qui seront les deux axes de sa discussion : le « pourquoi » et le « comment » utiliser l'histoire des mathématiques dans

l’enseignement des mathématiques. Il utilise quelques constructions théoriques de l'approche discursive et commognitive de Sfard17.

En faveur des « pourquoi » deux catégories sont présentées : « l'histoire comme outil » pour aider à l'apprentissage et à l'enseignement des mathématiques, et « l'histoire comme objectif » pour apprendre l'histoire elle-même. Dans le premier cas, comme outil cognitif, une utilisation spéciale est identifiée dans l'introduction des obstacles épistémologiques de Gaston Bachelard (1938). En intégrant cette notion dans la théorie des situations didactiques, Guy Brousseau (1987) explique que les obstacles d'origine réellement épistémologiques sont ceux dont on ne peut ni ne doit échapper en raison de leur rôle formateur dans la connaissance recherchée. Dans ce sens, Jankvist adhère à l’idée de Brousseau qui soutient que ces obstacles peuvent être trouvés dans l’histoire des concepts eux-mêmes.

La deuxième catégorie, « l'histoire comme objectif », contient les arguments qui soutiennent que les aspects d'apprentissage de l'histoire des mathématiques servent de proposition en soi, mais pas comme un sujet indépendant. Au lieu de cela, l'accent est mis sur le développement et les aspects évolutifs des mathématiques en tant que discipline. Du point de vue de l'histoire en tant qu'objectif, la connaissance de l'histoire des mathématiques n'est pas un outil principal pour apprendre les mathématiques mieux et de façon plus approfondie, même s'il s'agit d'un sous-produit. En pensant l'histoire comme objectif, l'apprentissage des aspects évolutifs et du développement mental des mathématiques sert d’objectif en soi, ou sert à illustrer d'autres aspects historiques de la discipline.

Puis, Jankvist (2009) catégorise en trois la façon d'approcher l'histoire des mathématiques à l’enseignement des mathématiques. Pour lui le « comment » pourrait être divisé en trois catégories : éclairage, modules et basé sur l’histoire.

L'éclairage fait référence à des suppléments d'informations historiques qui peuvent varier entre des informations factuelles isolées, des fragments historiques, des anecdotes et des épilogues.

Les modules portent sur des unités d'enseignement consacrées à l'histoire et souvent, basées sur des cas pratiques. Les plus petits pourraient être des « paquets historiques » qui sont une collection de « matériels étroitement centrés sur un petit sujet, avec des liens forts dans le programme d'études, adaptés à deux ou trois classes, prêts à être utilisés par les enseignants » (Jankvist, 2009, p. 246, notre traduction).

17 Le cadre de la commognition de Sfard conceptualise les mathématiques comme un discours, une forme de communication qui consiste principalement en l'utilisation de mots, de médiateurs visuels, de routines et de récits. Cette théorie qui résume à la fois la cognition et la communication, fournit aux chercheurs une base à partir de laquelle ils peuvent s'engager dans l'analyse discursive de la classe de mathématiques, en particulier sur la façon dont les individus participent au discours (Kim, Choi & Lim, 2017, p. 481).

Contrairement aux modules, l’approche basée sur l'histoire ne traite pas directement de l'étude de l'histoire des mathématiques, mais plutôt indirectement, dans laquelle l'évolution historique n'est pas forcément discutée. L'histoire devient une partie intégrante de l'approche elle-même, où pour l'auteur, il est possible de le considérer comme une « approche historique ».

Dans un article ultérieur, Jankvist (2013) propose une structure de travail basée sur les modules, visant à aborder trois dimensions des mathématiques : l'historique, l'application et la philosophie. Il soutient que l'une des façons de faire un modèle qui embrasse ces trois dimensions est une lecture guidée des sources historiques primaires (avec leurs traductions, si possible), certains textes qui motivent la discussion philosophique et la réalisation d'essais par les étudiants.

En ce qui concerne la dimension historique, il propose de choisir une source qui montre les débuts d'une sous-discipline mathématique spécifique ; le deuxième texte, qui s’agit de l’application, devrait se concentrer sur l'utilisation moderne de ces mathématiques « anciennes » avec une certaine pertinence pour la vie quotidienne des élèves ; et le texte final qui cherche à établir le cadre philosophique.

Tandis que les deux premiers textes sont plus directement liés, le troisième est plus « indépendant ». Pourtant, le point crucial est que les cas mathématiques des deux premiers textes sont un exemple illustrant de la discussion ou du thème philosophique du troisième.

Dans sa conclusion Jankvist souligne l'importance d'une sélection adéquate des sources historiques, tout en défendant la conception des modules comme un résultat en soi et dans le but d'aborder les trois dimensions. D'autre part, il comprend que la conscience des élèves ne se développe pas d'elle-même, mais doit être « fertilisée » à partir d'exemples concrets dans un cadre approprié (2013, p. 654).

Il est vrai que cette perspective ne semble pas être dans la même ligne que les précédentes. L'une des différences est que Jankvist parle de la pratique.

L'expérience décrite dans un de ses articles de 2015, traite de l'un des thèmes du cours de Didactique des Mathématiques d'un master qui permet de devenir formateur de professeurs de mathématiques. Ce master est offert par le Département de l'éducation de l'Université d'Aarhus au Danemark.

Ce cours de didactique présente la particularité de permettre à son professeur, en ce cas Jankvist lui-même, de choisir un des thèmes de travail. Ainsi, le thème choisi était l'introduction de l'histoire des mathématiques et ses utilisations possibles, qui consistait en six leçons de deux à trois heures d'enseignement et de supervision, ainsi qu'en travaux de groupe, discussions, etc. Pour chacun des thèmes, les groupes ont élaboré un mini-projet final, dont trois sont présentés ici.

L'objectif de Jankvist est de montrer comment l'introduction du débat sur les potentialités de l'histoire des mathématiques dans la formation des enseignants peut développer certaines des compétences mathématiques nécessaires aux enseignants, qui sont décrites dans le rapport danois KOM (abréviation danoise pour compétences et apprentissage des mathématiques) de 2011. Dans ce cadre, un ensemble de six compétences didactiques et pédagogiques est présenté : la compétence curriculaire, la pédagogique, celle liée à l’interprétation de l’apprentissage des élèves, celle évaluant leurs compétences, celle permettant d’interagir avec ses collègues et enfin, celle permettant de s’améliorer en tant qu’enseignant de mathématiques (Jankvist, 2015, p. 1826).

Chaque thème du cours comprenait six leçons de deux à trois heures d'enseignement et de supervision, en plus du travail de groupe, des débats, etc. Pour chacun des thèmes, les groupes ont présenté un mini-projet final.

Au cours des six leçons, l'élève doit se familiariser avec : les arguments pour et contre l'utilisation de l'histoire mathématique dans l'enseignement des mathématiques ; connaître les cadres théoriques utilisés dans les études empiriques liées à l'utilisation de l'histoire dans l'enseignement des mathématiques ; utiliser et intégrer des sources originales dans l'enseignement des mathématiques ; relier les textes lus à un texte de son choix ; élaborer et discuter un mini-projet.

Selon Jankvist, lors de la réalisation des mini-projets, les futurs formateurs développent différentes compétences qu'il classe dans le cadre des compétences danoises.

Nous nous intéressons à l'influence de l'histoire des mathématiques dans la formation des enseignants, et ce que nous voyons de particulier dans cet article, c'est que les arguments utilisés dans les mini-projets de chaque groupe correspondent au développement d'une sensibilité particulière à divers aspects. On identifie ces aspects en prenant des extraits des analyses effectuées par chaque groupe :

Motiver la réflexion vers la compréhension d'un autre contexte dans lequel un concept mathématique a été créé, par exemple en utilisant des sources historiques ;

« En travaillant avec des sources historiques, les élèves peuvent prendre conscience du discours dont ils font eux-mêmes partie et comprendre que le travail et le développement des mathématiques font partie du discours en vigueur au moment de la question. (Groupe 1, 2014) » (Jankvist, 2015, p. 1827, notre traduction)

Être conscient des tensions passées - présentes pour éviter les anachronismes ;

« c'est le contraste entre le passé et le présent qui doit être examiné consciemment, et parce que c'est l'acceptation de ces tensions qui permet d'approfondir la compréhension des mathématiques elles-mêmes et de l'histoire des mathématiques (Groupe 2, 2014) » (Jankvist, 2015, p. 1828, notre traduction)

Comprendre le contexte historique (par exemple en utilisant des sources historiques), afin d'offrir une possibilité différente de vouloir apprendre les mathématiques impliquées ;

« Si les élèves sont conscients du contexte historique et essaient de comprendre ce que l'auteur a fait, il est possible qu'ils essaient aussi de comprendre les mathématiques (Grupo 2, 2014) » (Jankvist, 2015, p. 1828, notre traduction).

Prise de conscience des limites des ressources, notamment de l'utilisation des sources historiques, même avec leurs traductions ;

« nous avons choisi de ne pas utiliser toutes les sources originales, car même dans les traductions danoises, elles semblent trop difficiles. […] nous sommes conscients que notre approche est un peu Whiggist. (Grupo 2, 2014) » (Jankvist, 2015, p. 1828, notre traduction).

Identifier le manque de lien entre les passages d'histoire des mathématiques proposés dans un manuel scolaire et les exercices correspondant au sujet.

« […] il n'y a presque aucun lien entre les informations historiques et les exercices. Par conséquent, l'intention du livre de l'enseignant n'est pas clairement mis en œuvre dans le livre de l'élève. (Groupe 3, 2014) » (Jankvist, 2015, p. 1828-1829, notre traduction).

Nous comprenons que ces observations ont été possibles grâce à la mise en œuvre et à la réflexion sur les potentialités de l'histoire des mathématiques intégrées dans la formation des enseignants.

Nous considérons de grande importance les expériences empiriques qui montrent des résultats en ce qui concerne l'introduction de l'histoire des mathématiques dans les cours de formation des enseignants : surtout sur le développement d'une sensibilité particulière de la part des étudiants. Dans ce cas, nous insistons sur le fait qu'il s'agit d'un master et non d'une formation initiale. Pourtant, nous considérons le fait de former les futurs formateurs avec un regard sur l'histoire comme une réponse positive à l'une des lacunes relevées jusqu'à présent.