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1 ÉTAT DE L’ART

1.2 L’histoire des mathématiques dans la formation des enseignants des mathématiques

1.2.2 L’histoire des mathématiques pour la formation des enseignants

1.2.2.2 Après l’ICMI de l’année

Man-Keung Siu, professeur à l'Université de Hong Kong, est reconnu pour ses travaux développés en mathématiques mais aussi dans le domaine de l'histoire des mathématiques et de son intégration dans l'enseignement. Participant actif dans la communauté internationale de l'Histoire et de la Pédagogie des Mathématiques – HPM depuis le milieu des années 1980, il a publié en 2004

No, I don’t use history of mathematics in my class. Why?9 un article au titre provocateur, qui nous

invite à réfléchir sur les réalités pratiques des enseignants dans leur travail quotidien. Dans cet article Siu présente une liste de 16 arguments invoqués par les enseignants qui n'utilisent pas l'histoire dans leurs cours de mathématiques. Voici quelques-uns de ces arguments : « je n'ai pas le temps en classe » ; « l'histoire n'est pas mathématique » ; « je ne saurais pas comment évaluer les connaissances historiques » ; « il n'y a pas de matériel adéquat » ; « je n'ai pas d'expérience en histoire » ; « l'histoire peut confondre les élèves » ; « y a-t-il des preuves empiriques que les élèves apprennent mieux lorsque l'histoire des mathématiques est utilisée en classe ? ». A ces arguments s'ajoutent ceux d'Abd-El-Khalick qui, depuis plus de 20 ans, étudie les effets de Nature of Science - NOS sur l'enseignement scientifique. En tant que chercheur d'un domaine différent de celui de l'histoire des mathématiques, nous avons voulu le citer pour la pertinence de ses travaux par rapport à l'intégration de la NOS dans l'enseignement des sciences. Dans un article paru en 2013, il souligne deux facteurs principaux qui permettraient aux professeurs de sciences de s'engager avec succès dans l'enseignement avec et sur la NOS. D'une part, les mandats et les priorités du curriculum et, d'autre part, la mesure dans laquelle les résultats d'apprentissage liés au développement des connaissances des élèves sur NOS sont valorisés comme résultats d'apprentissage.

Notamment, nous soulignons le manque de données empiriques qui montrent des effets de cette pratique10. Le manque de preuves empiriques rapportant résultats de la mise en place des

activités basées sur l’histoire des mathématiques, et le manque de matériel conçu par et pour les enseignants, faisaient partie des problématiques déjà soulevées dans l’étude ICMI (Fauvel et Maanen, 2000, p. 203). De la même manière, la faible qualification des enseignants en ce qui concerne les connaissances historiques, le manque de confiance en leurs capacités par rapport à l'enseignement de l'histoire des mathématiques, le manque de personnel spécialisé dans la formation de ces futurs enseignants, sont encore en cours de discussion.

Pour cette raison, nous nous sommes demandé ce qui a été dit de plus sur ces problèmes après cette étude. Pour répondre à cette question, nous nous tournons vers les travaux du chercheur Édgar Guacaneme, professeur de l'Université Pédagogique Nationale11 en Colombie, qui travaille autour

de l’histoire des mathématiques pour la formation des enseignants de mathématiques depuis plus de 20 ans. Dans plusieurs de ses travaux nous avons reconnu les problèmes décrits ci-dessus :

9 Non, je n'utilise pas l'histoire des mathématiques dans ma classe. Pourquoi ?

10 Dans un article paru en 2000, Abd-El-Khalick et Lederman ont évalué l'influence de trois cours d'histoire des sciences sur les conceptions de la nature des sciences (NOS) des étudiants universitaires. L'une des conclusions est que très peu de changements ont été observés dans les opinions des participants à l'étude. Ils affirment que ces résultats ne corroborent pas empiriquement l'hypothèse, défendue par de nombreux enseignants en sciences, selon laquelle le travail avec l'histoire des sciences améliorera le point de vue des élèves.

Un autre problème concerne la nécessité de disposer de matériels plus nombreux et de meilleure qualité pour la formation en Histoire ; ce dernier point est pour nous d'une importance capitale, car non seulement il révèle un manque de matériels, mais il suggère aussi que ceux qui existent ne sont peut-être pas adéquats pour la formation des connaissances historiques requises par les enseignants de mathématiques dans le cadre de leurs connaissances historiques. (Guacaneme, 2010, p. 144, notre traduction)

Dans sa thèse, il continue :

[…] nous soulignons la coïncidence de plusieurs auteurs qui relèvent l'insuffisance des matériels que les enseignants peuvent s'approprier pour favoriser la connaissance historique liée à leur pratique pédagogique, ce que nous reconnaissons aujourd'hui plus précisément comme le manque - ou du moins la carence - de matériels pouvant favoriser une approche historique particulière. (Guacaneme, 2016, p. 276, notre traduction)

Dans sa thèse de doctorat, Guacaneme utilise des livres, des articles et des revues scientifiques en espagnol, anglais et français, qui montrent la validité des problèmes remarqués à partir de l'étude ICMI (2000), au moins dans une grande partie de l’Amérique Latine. En considérant la taille et l'influence du Brésil dans le continent, nous avons décidé de chercher des références sur ce pays, vu qu'il n'a pas été examiné dans le travail de Guacaneme. De cette façon, nous pouvons avoir une vue d'ensemble de toute la région.

À partir d'un livre publié en 2014, par Maria Beltran, Fumikazu Saito et Lais Trindade au Brésil, nous nous sommes intéressés à leurs recherches. Ce sont des chercheurs reconnus dans le domaine de l'histoire des sciences, des enseignants de la Université Catholique Pontificale de Sao Paulo12 et des coordinateurs du groupe de recherche Histoire et Épistémologie dans l'Enseignement

des Mathématiques (HEEMa13, sigle en portugais). Le but de ce groupe de recherche est de discuter

et de réfléchir sur les potentialités pédagogiques de l'histoire des mathématiques en étudiant les multiples initiatives des éducateurs et leurs approches. Le livre qu’ils ont publié était à destination des enseignants de mathématiques intéressés à réfléchir sur l'intégration de l'histoire dans leurs classes. Au tout début de l'introduction, ils affirment :

Au cours des dernières décennies, l’inclusion des sujets d’histoire des sciences a été renforcée dans les cours de formation initiale et continue des enseignants, ainsi que dans les licences en sciences naturelles et exactes. Cependant, il n’y a toujours pas de matériaux spécifiques pour enseigner l’histoire des sciences dans l’enseignement supérieur. (Beltran, Saito et Trindade, 2014, p. 9, notre traduction)

12 Pontificia Universidade Católica de São Paulo.

13 Groupe d'étude et recherche “História e Epistemologia na Educação Matemática”, de l'Université Pontificale Catholique de São Paulo, créée en 2008. Site d’Internet : https://heemaweb.wordpress.com/historico-do-grupo/

Au moins au niveau latino-américain, nous pouvons confirmer que les matériaux qui intègrent l'histoire des mathématiques ou l’histoire des sciences dans les différents niveaux d'enseignement, élaborés pour la formation des enseignants sont encore insuffisants.

D'autre part, en parlant de la recherche liée à l’intégration de l'histoire des mathématiques dans l'enseignement, Guillemette confirme aussi l'observation de Siu (2004) concernant l'absence de tests empiriques sur la mise en œuvre d'activités fondées sur l'histoire des mathématiques et des aspects méthodologiques. Ainsi, il apporte une autre perspective au débat, soutenant qu'il est nécessaire de se concentrer sur les difficultés méthodologiques car, à ce niveau, la recherche est assez fragile :

[…] nous avons souligné des faiblesses du point de vue méthodologique dans la plupart d’entre elles [les recherches]. Nous avons remarqué l’utilisation d’un seul outil de collecte de données qui se veut dans la majorité des cas insuffisant et très limité, l’absence de triangulations des observations, l’absence d’une certaine systématisation de compilation et de comparaison des données et l’absence de cadre d’analyse préétabli et cohérent pour la lecture et l’interprétation des résultats de recherche. S’ajoute à ces éléments une certaine incohérence entre les choix d’ordre méthodologique et la perspective exploratoire des travaux en question. (Guillemette, 2011, p. 22)

Grâce à cette remarque de Guillemette, on peut faire deux observations : 1) il n'y a pas assez de matériel spécifique pour l'intégration de l'histoire des mathématiques dans la formation des enseignants ; 2) le manque de cadres théoriques pour une recherche qui en analyse l’efficacité. 1.2.2.3 Arguments de collaboration : binôme historiens - enseignants de mathématiques

Gooday, Lynch, Wilson et Barsky (2008), historiens des sciences proposent de discuter des possibilités d'apporter des preuves solides sur l'efficacité de l'utilisation de l'histoire dans les cours de sciences et de cette manière favoriser l'enseignement des sciences avec l'histoire, et ainsi montrer la valeur de l'histoire des sciences en dehors du milieu universitaire :

Nous devons produire des preuves plus solides et plus complètes de l'efficacité éducative de la pensée historique sur la science. Nous devons également travailler plus étroitement avec les scientifiques pour repousser les utilisations irresponsables de l'histoire qui pourraient s'infiltrer dans le programme de sciences. En soi, ces projets jumeaux pourraient occuper les historiens des sciences pendant des décennies, mais nous accueillons favorablement le débat non seulement sur d'autres initiatives en ce sens, mais aussi sur d'autres façons dont notre discipline peut bénéficier de manière critique à l'enseignement des sciences au XXIe siècle. (Gooday et al, 2008, p. 330, notre traduction)

On pourrait considérer que l'article de Gooday et al (2008) représente un groupe d'historiens des sciences qui a fait une approche timide de l'éducation. Malheureusement, nous n'avons trouvé aucun autre indice sur le travail de ces historiens concernant le lien entre l'histoire des sciences et

l'enseignement. Cependant, nous présenterons ci-dessous des groupes de chercheurs des deux communautés dans le but de contribuer à la formation des enseignants en intégrant l'histoire des mathématiques ou l'histoire des sciences dans l'enseignement.