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2 CADRE THÉORIQUE

2. Sosa et Carrillo (2010)

2.7 Rapport entre l'histoire des mathématiques et la CHM

2.8.2 Critique de l'approche fondée sur les compétences

Carlos Cullen est un philosophe argentin qui a travaillé à la Faculté de Philosophie et de Lettres de l'Université de Buenos Aires. Ses axes de recherche relient les questions d'éthique, de politique et d'éducation. Dans le chapitre Des compétences aux connaissances socialement productives, politiquement émancipatrices et culturellement inclusives (2009), il fait une réflexion critique sur l'approche par compétences dans l'éducation et sur des questions centrales telles que : quoi enseigner, quoi apprendre, quels objectifs des politiques éducatives sont proposés, quels critères prendre pour organiser la formation des enseignants, comment standardiser les acquis éducatifs.

L'origine de ce terme, dit Cullen, vient de la gestion d'entreprise, puis est transféré aux théories de l'enseignement. Si l'on revient à la section 2.8.1, dans laquelle nous présentons la définition de la compétence utilisée dans le référentiel des professeurs, il est possible d'identifier certaines expressions issues du monde des affaires.

Selon Cullen, au milieu des années 90, la notion de qualification tend à être abandonnée, en fonction des profils d'emploi et des résultats, au profit de la notion de capital humain en cherchant d'efficacité et de rentabilité. L'auteur soutient que le scénario de cette époque est donc celui de la compétitivité. Pour cette raison, on pourrait dire que ce n'est pas qu'il y a du chômage mais que ce

qui existe, ce sont des personnes inemployables car incompétentes, ou des entreprises qualifiées mais non compétitives.

Les compétences attribuent une valeur marchande au capital humain, qui réside dans les compétences elles-mêmes, en abstrayant les déterminations sociales et culturelles des sujets, en supprimant la densité historique des connaissances et en transformant la valeur du sujet en valeur d'échange. Cullen affirme que les compétences en éducation indiquent plus ce qu'un sujet peut faire que ce qu'il fait réellement, et plus son employabilité pour la production et la consommation, que son insertion critique, participative et transformatrice dans la réalité sociale. Cette logique repose sur l'hypothèse qu'un sujet peut faire plus, dans un monde complexe, globalisé et compétitif, plus ses connaissances sont décontextualisées et superficielles, afin de les appliquer à toute situation.

Cullen propose de réfléchir sur trois modèles d'éducation : l'encyclopédique, le technocratique et l'actuelle qui postule un enseignement par compétences.

L'auteur souligne que dans le modèle encyclopédique, on considère que les contenus enseignés peuvent collaborer au progrès matériel et moral de l'humanité. De ce point de vue, cette connaissance est valable parce qu'elle est le résultat d'avoir appris à discipliner la raison et d'être entré dans la « voie sûre de la science ».

En ce qui concerne le modèle technocratique, la finalité est de mettre l'accent sur les objectifs nécessaires en planifiant le contrôle et l'évaluation des comportements, quel que soit leur contenu.

L'approche par compétences est présentée comme une critique forte des deux modèles précédents, davantage axée sur les sujets que sur les connaissances ou les comportements. Cependant, Cullen propose trois critiques à l'égard de cette approche.

La première critique consiste à confondre la connaissance avec l'information, et l'information avec la valeur d'échange. Savoir n'est pas la même chose qu'être informé. L'information est nécessaire pour savoir, mais l'information n'est pas la connaissance, bien qu'elle puisse être utilisée pour résoudre des problèmes spécifiques. Cette première observation présente deux risques :

• Considérer la connaissance décontextualisée de leurs contextes de production et de circulation. Pour Cullen, la logique des compétences se passe de la relation nécessaire de la connaissance avec le désir de savoir, et des relations complexes entre le savoir et le pouvoir. • Standardiser les besoins d'apprentissage à partir d'une stratégie ethnocentrique de pensée

unique, qui cherche à mondialiser les programmes d'études et les tests d'évaluation par pays, légitime les exclusions et mesure également l'incompétence. L'un des impacts possibles de ces évaluations est la décision d'investissements futures31.

31 Par exemple, les évaluations internationales telles que PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). Cette étude est menée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans le monde entier et mesure le rendement scolaire des élèves en mathématiques, en sciences et en lecture

Le deuxième critique citée par Cullen est de confondre le pouvoir d'agir avec la capacité de résoudre les problèmes, et cette capacité avec l'adaptation et la légitimité. Le pouvoir d'agir n'est pas le même que celui de résoudre des problèmes. Agir implique la connaissance, se connaître soi- même en tant qu'agent de transformation et pas seulement en tant qu'exécuteur, agir c'est transformer et ouvrir des alternatives. En ce sens, l'auteur présente également deux risques à prendre en compte :

• Dépolitiser l'action, la limiter à une logique de moyens et de fins, la dépouiller du sens éthique et politique.

• Réduire la notion de problème à la demande du marché.

La troisième critique est confondre l'altérité avec la tolérance de la diversité, et cette tolérance avec un pluralisme discriminatoire. Cullen présente deux risques possibles :

• Confondre dialogue et négociation dissymétrique.

• Séparer la subjectivité compétente de diverses identités, pour continuer à coloniser à partir de hiérarchies culturelles supposées.

Pour Cullen, il est essentiel de ne pas séparer les compétences du savoir socialement productif, politiquement émancipateur et culturellement inclusif, c'est-à-dire d'une plus grande justice, car le problème qui persiste est celui du questionnement de l'autre en tant qu'autre, des exclus de la société dite « du savoir » mais qui est en réalité la société de l'information en tant que valeur d'échange, et le besoin apparent de compétitivité, qui est excluant et hiérarchique.

Comme alternative à cette conception, l'auteur présente la catégorie « savoir socialement productif » créée par l'équipe Alternatives pédagogiques et perspectives éducatives en Amérique Latine32. Du point de vue de cette équipe, ces savoirs sont considérés comme « ces savoirs qui

modifient les sujets qui leur apprennent à transformer la nature et la culture, contrairement aux savoirs redondants, qui n'ont qu'un effet de démonstration des richesses matérielles et culturelles déjà connues par la société. » (Cullen, 2009, p. 121, notre traduction).

Le savoir socialement productif doit être politiquement émancipateur, car il ne suffit pas de faire allusion à une éventuelle transformation dans quelque direction que ce soit. Cela exige que les

<https://www.oecd.org/pisa-fr/>.

32 Actuellement, le programe Alternativas Pedagógicas y Prospectiva Educativa en América Latina (APPeAL) est mis en œuvre au Mexique, en Argentine et en Colombie dans le cadre des accords de collaboration signés entre l'Universidad Nacional Autónoma de México, l'Universidad de Buenos Aires (1985) et l'Universidad Francisco José de Caldas de Bogotá (Colombie, 2010). En cours de consolidation avec l'Universidade Estadual Do Ceará au Brésil (2014). Leur site web <https://appealmexico.wixsite.com/appealmx>.

connaissances soient culturellement inclusives, car ce sont les identités qui incarnent les compétences.

Cullen termine le chapitre en refusant l'encyclopédie, la technocratie et l'approche de l'éducation fondée sur les compétences, appelant à l'enseignement de connaissances socialement productives, politiquement émancipatrices et culturellement inclusives. À cette fin, il énonce trois implications :

• Nous devons être prêts à accueillir les différentes manières d'être et être capables de nous mettre dans ce que l'autre pense et peut nous enseigner.

• Les comportements sont insérés dans des contextes de signification culturelle, ces contextes donnent un sens aux comportements et les transforment en actions concrètes. Ce sont des savoirs qui augmentent notre pouvoir d'agir, nous rendent plus libres et nous permettent de libérer les alternatives d'une humanité inclusive.

• Les compétences se justifient par quelque chose qui les précède, à savoir la responsabilité. Agir est toujours une réponse à l'interpellation de l'autre et nous avons toujours été vulnérables à cette interpellation et responsables de son inclusion.

L'auteur en appelle à situer la pensée, à augmenter le pouvoir d'agir et d'être responsable. Dans ce cas, l'enseignement par compétences inclura nécessairement des savoirs producteurs d'inclusivité sociale.

2.8.3 Commentaire

L'approche par compétences est un sujet intéressant qui a été largement débattu, et bien que nous ne puissions approfondir cette discussion, il nous a semblé pertinent de présenter certaines des critiques existantes, avant de nous engager dans une discussion sur une éventuelle compétence historique dans la formation des enseignants.

Le référentiel de compétences s'adresse aux enseignants en général, mais pour notre objectif d'analyser l'influence de l'histoire des mathématiques dans la Connaissance de l'Horizon Mathématiques, nous avons besoin de compétences spécifiques en mathématiques.

Il s'agit en particulier de déterminer comment cette « compétence historique » est mobilisée et quels sont les éléments qui la composent. Bien entendu cette compétence historique est encadrée dans la fonction d'enseignement, qui la définit de facto comme une compétence didactique.

En Uruguay, le plan de formation des enseignants de 2008 ne fait aucune mention d'une approche fondée sur les compétences. C'est pourquoi nous avons développé cette section en tenant compte juste du référentiel français.