• Aucun résultat trouvé

INTRODUCTION : DES CORPS ET DES SUJETS POLITIQUES

CHAPITRE 1. LA LOGIQUE CHARNELLE ET AFFECTIVE DE LA CHRONIQUE COLONIALE

3. Les missions catholiques et les femmes

20 : Carte postale, 1905-1910, Collection Didier Carité

16-Brazzaville – Zoungoula (St Pierre Clavier) soignant avec une compagne les

‘sommeilleux’, Congo français

21 : Carte postale, années 1920, Collection Didier Carité

Les franciscaines missionnaires de Marie en mission – Nouvel Anvers (Congo belge),

Œuvres pour les malades – La maladie du sommeil fait bien des victimes au Congo

Deux cartes postales, ayant pour sujet les sœurs missionnaires, mises côte à côte, révèlent le travail de montage appliqué par l’édition franciscaine des sœurs de Marie en mission sur l’image représentant Zoungoula et Kalouka. Zoungoula et Kalouka ont été les premières sœurs indigènes à servir, respectivement dès 1905 et 1909, dans les rangs des missionnaires, au sein de la congrégation des Sœurs de Cluny dans le Congo français. Dans le montage de la carte postale de l’édition franciscaine, Zoungoula et Kalouka ont été remplacées par deux franciscaines blanches. Le pouvoir de représentation des congrégations religieuses leur permet de récupérer le travail accompli par les sœurs indigènes en les remplaçant sur la carte postale par des sœurs blanches, des franciscaines missionnaires. Ce travail de montage est l’affirmation de la division raciale qui est à la base des congrégations missionnaires. Dans le règlement intérieur de la congrégation des Sœurs de Cluny dans le Congo français (Banville, 2000) :

Archive 10 : « Les sœurs indigènes seront toujours pleines de respect pour les Sœurs blanches ; elles se souviendront que c’est par leur moyen qu’elles ont connu Dieu et appris sa divine religion » (…) « Pour pratiquer la parfaite obéissance, il ne suffira pas aux sœurs indigènes de n’avoir pas de volonté propre, mais elles renonceront à leur propre jugement et à leur manière de voir, pour soumettre leur esprit au jugement et à la manière de voir

de leur supérieure » 75.

La congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, fondée par Anne-Marie Jahouvey, a été appelée à la fin du XIXe siècle au Congo français, par Monseigneur Augouard,

pour créer des établissements d’école dont la mission était de « faire de leurs élèves des femmes chrétiennes, laborieuses et utiles à la société » . Le règlement intérieur de la mission fait de la retenue avec les hommes une 76

des règles centrales des comportements attendus des sœurs, « afin que le Démon ne les surprenne pas ».

Archive 11 : « Elles se feront un devoir de garder toujours devant ces personnes une tenue modeste, des manières graves, un ton modéré, l’action et la parole paisibles et réservées. Elles éviteront soigneusement avec elles la légèreté, les manières trop familières, les entretiens sans nécessité, les conversations prolongées, les paroles inutiles et n’ayant pas rapport à la Gloire de Dieu, surtout les rires »‑77.

Les règlements intérieurs de la mission mettent en place une politique de la domestication du travail des sœurs indigènes, qui passent par un contrôle sur la tenue des corps et par la ségrégation entre les corps :

Archive 12 : « On devra également, comme cela a lieu pour les garçons, maintenir les filles dans des habitudes de simplicité relativement au vêtement, à la nourriture et au logement, de sorte qu’en quittant la mission elles puissent avec facilité reprendre leur place parmi les indigènes. Les vêtements européens sont donc prohibés pour les filles comme pour les garçons. Cependant, il sera permis de leur donner, pour les dimanches seulement et les jours de sortie, une robe à l’Européenne, mais simple et sans ornements. Elles n’auront ni souliers ni chapeau, à moins que leurs parents ou protecteurs ne leur en fournissent. Quant aux chapeaux, on n’en permettra jamais que de très simples » . 78

Un des rôles des sœurs missionnaires était de recruter et de former des femmes colonisées à la tenue d’un foyer et au travail religieux pour la colonisation. Les sœurs missionnaires ont été les premières vectrices du contrôle de la mobilité et du travail des femmes colonisées dans les villes coloniales.

BANVILLE DE, Gislain, Kalouka et Zoungoula. Les deux premières religieuses de Brazaville, au Congo, 75 1892-1909, Paris : Karthala, 2000, p. 200 Ibid : p. 185 76 ! Ibid : p. 200 77 Ibid : p. 186-187 78

22 : Carte postale, années 1950, Collection Didier Carité

!

« Petites-Sœurs de Saint-François Missionnaires, Missions d’Oubangui-Chari

(A.E.F), Région de Bangui, visite dans un village de noirs dits ‘évolués’ préparons le

repas. »

23 : Carte postale, années 1950 Collection Didier Carité

!

Petites Sœurs de Saint François Missionnaires, Missions d’Oubangui-Chari (A.E.F) 18. ‘Les moissons blanchissent !...’

« Une jeune Africaine de nos Missions, venue en France, est vraiment l’une de nous ! »

Les cartes postales produites dans les années 1950 par les éditions des Petites Sœurs de Saint François Missionnaires racontent le contrôle du travail domestique des femmes colonisées, comme une politique d’assimilation. Les sœurs missionnaires sont représentées comme les inspectrices du travail domestique des villageoises évoluées, et comme des créatrices de la figure de la femme évoluée. Les cartes postales racontent la manière dont la domestication du travail des femmes colonisées est en même temps une domestication de la représentation de leurs corps : des corps aux fourneaux, des corps au foyer, des corps assimilés. Les missionnaires blanches sont les agents d’une société coloniale et moderne qui doit fonctionner sur « les nouvelles normes chrétiennes de représentations centrées sur une sexualité disciplinée, culpabilisée et culpabilisante des femmes » (Tonda, 2005). 79

TONDA, Joseph, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris : 79