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INTRODUCTION : DES CORPS ET DES SUJETS POLITIQUES

CHAPITRE 1. LA LOGIQUE CHARNELLE ET AFFECTIVE DE LA CHRONIQUE COLONIALE

4. Les femmes et l’Empire (1940-1950)

24 : Carte-photo, Maurice Balard (patron de restaurant), Bangui, années 1940, Collection Didier Carité

5 – Bangui (A.E.F) L’Hôtel Restaurant Naud, Photo M.B

25 : Carte postale, Suzy (photographe), Bangui, 14 juillet 1937, Collection Didier Carité.

Bangui (Oubangui-Chari)- Beautés noires

26 : Carte-photo, anonyme, 1940, Bangui. Collection Didier Carité.

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1940 – Bangui – Aérodrome : Arrivée du Gal de Gaulle

27 : Carte postale, Suzy (photographe), Bangui, 1938, Collection Didier Carité

2 8 : C a r t e p o s t a l e , H e n o c q u e (photographe), années 1950, Collection Didier Carité.

2 9 : C a r t e p o s t a l e , H e n o c q u e (photographe), années 1950, Collection Didier Carité

Archive 13 : « La ville Blanche de Bangui vit dans l’avenir qui du reste paraît assuré. (…) La ville blanche s’entoure, à distance respectueuse, d’une série de villages (…) Un village d’évolués et d’ouvriers est en cours de construction, au Sud du terrain d’aviation. Les cases sont en dur et soignées. (…) Curieuse ville, en somme, semi-rurale encore, puisqu’elle contient non seulement des planteurs blancs, mais aussi et surtout des agriculteurs noirs qui ne sont pas ‘détribalisés’. Réserve de main d’œuvre pour la ville future. (…) Vers le nord, après de ‘petits’ quartiers où résident des boys, ou des prostituées attirées par le camp militaire, la ville de N’Garsoué est un village de paysans N’Dré englobé dans la ville. »

Description du professeur et géographe Jean Dresh en 1946 . 80

A partir des années 1940, les cartes postales mettent en scène la capacité de contrôle de l’État colonial sur les corps des colons et des colonisés. D’un côté, nous reconnaissons la culture bourgeoise et entrepreneuriale : le restaurant, le pouvoir militaire vainqueur, ainsi que le club, les loisirs et l’endogamie blanche. De l’autre côté, sont exposées la culture indigène et les ethnies. L’exposition de la culture bourgeoise et de l’exotisme sont les deux facettes du même pouvoir. La modernité et la tradition sont la dialectique de l’expression du pouvoir de l’Empire, à la fois comme construction de différences totales ente colons et colonisés, et comme action civilisatrice.

A partir de la fin des années 1930, l’exposition des femmes africaines sous l’aspect de danseuses traditionnelles est un des repères clefs de la culture impériale comme l’expression d’une différence et d’une infériorité infranchissable. L’exposition et l’exotisation répétées des femmes colonisées pendant les défilés du 14 juillet apparaissent comme une réponse aux

BOULVERT, Yves, Bangui. 1889-1989. Points de vue et témoignages, Paris : Sepia, 1994, p. 188 80

soulèvements organisés à grande échelle dans les années 30 contre le pouvoir colonial . Face 81

aux revendications d’égalité, les représentations des africains évolués disparaissent des cartes-postales. Elles laissent place à la mise en scène d’une tradition africaine destinée au spectacle à destination des colons et des Français-e-s. Ainsi entre 1930 et 1960, alors que le pouvoir colonial est fortement remis en cause, celui-ci renforce son discours d’exotisation et d’infériorisation des colonisés photographiés. L’édition de ces cartes postales est prise en charge par des maisons privées, comme Henocque et Suzy : l’idéologie de la ségrégation raciale n’est plus seulement portée par les missionnaires catholiques mais est au cœur de l’Empire.

La nouvelle organisation urbaine de la ville fait vivre « l’avenir de la ville blanche de Bangui » (archive n. 10). En 1947, les nouveaux plans urbains conçoivent les quartiers lotis de Bangui, destinés à loger les évolués, pour séparer les classes sociales en fonction d'une classification raciste (Michel Mabou, 1995), et pour renforcer la frontière entre la ville blanche et les « agriculteurs noirs qui ne sont pas encore détribalisés » (archive n.13).

Au milieu du XXe siècle, le repère de la communauté des colons de Bangui n’est plus

le chapeau ou l’habit blanc qui marquaient la légitimité administrative et militaire. La culture coloniale est identifiée par des installations de confort, par des activités mondaines et par la relation de service basée sur une division raciale du travail. De même, si entre 1930 et 1940, les femmes françaises sont encore associées à une autorité masculine (le restaurateur et le Général), à partir des années 1950, les femmes colons des cartes postales sont des anonymes, et ne sont plus identifiables comme les épouses des autorités coloniales. Mondaines et décontractées, leurs représentations racontent la communauté coloniale à Bangui comme une bourgeoisie locale bien installée.

Entre 1929 et 1933, le pouvoir colonial est mis en cause par une révolte répandue dans tout l’Oubangui-Chari : 81

la guerre du Congo-Wara. En 1946, Barthelemy Boganda fonde le MESAN (le mouvement pour l’évolution de l’Afrique noire) qui dénonce les pratiques du travail forcé, le racisme, la ségrégation dans les villes et l’absence d’Oubanguiens au parlement. Au cours des années 50’, les révoltes s’intensifient, des émeutes éclatent contre l’État colonial, contre les exploitants et contre l’alliance entre les leaders oubanguiens du gouvernement avec les colons de la chambre de commerce (Yarisse Zoctizoum, 1983).

30 : Carte-photo, anonyme, Bangui, années 1950, Collection Didier Carité

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Archive n. 14 : « Les métiers féminins les plus répandus concernent l’alimentation, confection et vente de beignets et de farine, d’huile, d’arachides décortiquées et grillées, etc. L’argent rapporté par ce petit négoce sert à l’acquisition de bijoux ou vient compléter les gains assurés par la prostitution qui est très répandue ».

Jean-Paul Lebeuf, sociologue, en 1951 . 82

Alors que les cartes postales mettent en scène la domination de l’Empire par la ségrégation et l’endogamie blanche, une carte photo de la collection met en scène une femme banguissoise nue. Sa représentation n’est plus celle d’une femme d’Européen, mais d’une prostituée. Dans la description faite en 1951, par Jean-Paul Lebeuf, sociologue, les femmes africaines de la ville coloniale de Bangui sont toutes perçues comme des prostituées (archive n.14). Dans la description du sociologue, le terme prostitution ne désigne pas un métier féminin, au même titre que le petit négoce, mais une attribution commune et généralisée aux femmes de Bangui. La prostitution n’apparaît pas comme une catégorie liée à l’exercice d’une activité, mais comme une catégorie morale. Alors que la concubine vivait dans les espaces européens, la prostituée, elle, est tenue à distance respectable. La prostituée noire est une représentation centrale pour renforcer l’endogamie blanche et garantir la respectabilité des colons. 


BOULVERT, Yves, Bangui. 1889-1989. Points de vue et témoignages, Paris : Sepia, 1994, p. 213. 82