• Aucun résultat trouvé

INTRODUCTION : DES CORPS ET DES SUJETS POLITIQUES

CHAPITRE 2. LE FOYER COLONIAL ET LA POLITIQUE DES FEMMES BLANCHES

1. Le foyer colonial mis en scène par les femmes

Archive 15 : « La plus petite partie. La plus intime. Celle qui peut s’éclairer tout entière par le rayonnement de la lampe familiale. Cercle étroit, qu’en bons Français affectueux, tendres, douillets avec une petite pointe d’égoïsme et de quant à soi, avec notre sens de la propriété, notre sens de la solidarité dans la responsabilité, avec notre conception de l’honneur, notre orgueil du nom, nous désignons par ce mot charmant et confortable : le foyer. Pas de femmes, pas de foyers, pas de foyers, pas de colons. » Clotilde Chivas-Baron, 1938 . 83

L’analyse de quatre albums-photos de famille de colons à Bangui au milieu du XXe

siècle, dans les années 1950, me permet de creuser la problématique de femmes à la fois sujets et agents de contrôle. Dans l’album photo de famille, les femmes blanches sont à la fois les objets des photographies et les productrices de leur mise en récit, de leur montage et de leur exposition. L’album photo raconte le foyer colonial, qui est pour Clotilde Chivas- Baron (1929), écrivaine colonialiste, la base de sa défense du rôle des femmes françaises dans le rayonnement colonial : « pas de femmes, pas de foyers, pas de foyers, pas de colons » (archive 15). Les albums-photos font partie de la collection de Didier Carité. Le premier album date des années 1957 et 1958 et a probablement été produit, selon les éléments des photos, par l’épouse du directeur de l’agence du Groupement Français

CHIVAS-BARON, Clotilde, « Le milieu colonial », La vie aux colonies. Préparation de la femme à la vie

83

d’Assurances de Bangui. Une photo la montre posant devant l’agence, à côté de son mari 84

qui apparaît en complet-veston-cravate, sa serviette de travail à la main. Dans l’album, elle n’a pas précisé les noms, mais je l’appellerai Geneviève. Le deuxième album se situe autour de 1950 et a probablement été produit et commenté par Jacqueline, l’épouse de Robert, un cadre de la Compagnie Française de Distribution de Pétrole en Afrique . 85

Geneviève n’a pas commenté les photos, mais le montage des images lui a pris du temps et n’a pas été fait au hasard. Jacqueline, elle, a commenté les photos. Avec humour. L’humour est un trait que Jacqueline et Geneviève ont en commun : un regard distant, maternant et rieur sur leur foyer, sur celles et ceux qui travaillent pour elles et pour leurs maris, sur les habitant-e-s qu’elles ont croisé-e-s lors de leurs expéditions de chasse ou lorsqu’elles ont accompagné leurs maris dans leurs missions de prospection en Province. Elles ont rassemblé des séries de photos et de documents d’une vie bourgeoise et luxueuse : les invitations et les menus des soirées du club, les loisirs et le confort du club, l’intérieur de leurs maisons, les expéditions de chasse et les pique-niques en brousse. Jacqueline et Geneviève ont su réunir les éléments qui racontent la sécurité et le confort de la vie des Français aisés à Bangui.

Le troisième album a été fait par une femme, que j’appellerai Simone, qui gère avec son mari le magasin des Comptoirs Bangui-France, une Sarl, une petite entreprise familiale. Les photos résument les évènements familiaux importants : les anniversaires, les fêtes du 14 juillet et les Noëls. L’album expose avant tout le magasin : sa devanture, la famille au complet devant l’entrée, la femme derrière le comptoir. L’intérieur de la maison n’est photographié que lors des fêtes et l’aménagement y est exceptionnel : grandes tablées, nappes et belles vaisselles, chaises et tables sorties sur la terrasse. L’écriture des commentaires des photos est la même que celle des livres de comptes du magasin : une écriture simple et soignée sans fioritures. Simone n’appartient pas à la classe coloniale qui va en expédition de chasse. Pour Simone, il s’agit de se souvenir des évènements d’une famille qui est en même-temps une entreprise. Elle a en commun avec Geneviève et Jacqueline le regard condescendant et

Le Groupement Français d’Assurances, constitué en 1947, est le regroupement de dix sociétés de taille 84

moyenne dans le but de prospecter le marché gigantesque des territoires d’Outre-Mer Le GFA sera à partir des années 70 un acteur important de la structuration des marchés d’assurance africains de droit local : en échange d’apports financiers, le GFA a donc pu prendre part au capital des nouvelles sociétés d’assurance de droit privé défendus par les pouvoirs publics, et a obtenu des contrats d’assistances techniques avec les États indépendants. Les réseaux montés entre 1946 et 1970 par les agents de terrain de l’époque sont encore pour la plupart aujourd’hui dans les mains des groupes français convertis en Sociétés Anonymes, comme AGF, et qui mène des politiques volontaristes d’implantation en Afrique. (Jérôme YEATMAN, L’assurance française en Afrique noire francophone)

La CFDPA a été créée en 1947 (elle deviendra Total Afrique en 1977) 85

moqueur sur les personnes qui travaillent pour elle.

Il n’y a pas de quatrième album, mais un carton de photos datées entre 1947 et 1954. Une femme, que j’appellerai Colette a commenté les photos pour les envoyer à ses parents en France. Elle leur a envoyé beaucoup de photos de leur petits-fils, Georges. Il s’agit entre autre de les rassurer, car les commentaires et les photos répètent que tout va bien. Les autres photos du carton indiquent que Colette est mariée avec Paulo, un salarié de la STOC, une société anonyme de transports qui assure une grande partie du trafic entre Yaoundé et Bangui.

Dans les albums, j’ai cherché les répétitions pour ressentir la narration des femmes sur l’intime et sur le foyer. J’ai cherché les répétitions et des contrastes repérés, j’ai dégagé des ensembles thématiques à partir desquels j’ai créé mes propres montages. Des citations issues de deux manuels d’initiation à la vie coloniale pour les femmes font écho aux montages : le premier manuel, La femme française aux colonies, publié en 1929, est l’œuvre politique majeure de Clothilde Chivas-Baron qui l’a faite connaître ; le deuxième manuel, 86 La vie aux colonies. Préparation de la femme à la vie coloniale 87, dirigé en 1938 par Jean-Louis Faure, rassemble les interventions de médecins-colonels, de médecins-hygiénistes, de prêtres- missionnaires, d’administrateurs et de professeurs coloniaux.

Clothilde Chivas-Baron est l’épouse de Michel Baron qu’elle a suivi en Indochine en 1910. Elle fait de sa vie 86

coloniale un métier en devenant romancière des mœurs coloniales, notamment des récits annamites. Elle reçoit le grand prix de la littérature coloniale en 1926 pour son roman Confidences de Métisse. En 1931, elle fonde l’Entraide féminine coloniale tout en devenant conférencière au poste « Radio-Colonial ».

FAURE Jean-Louis (dir.), La vie aux colonies : préparation de la femme à la vie coloniale, Paris : Editions

87

Le foyer et la communauté

31 : Planche d’album photo, Bangui, 1957-1958 (Agence Groupement d’Assurance Français de Bangui), Collection Didier Carité

Archive 16 : « Nulle mieux qu’une femme française ne sait faire d’une hutte, un salon ; d’une paillote, un studio.(…) En entrant dans sa demeure, fut-elle une très pauvre case, chacun sera charmé et chacun pensera ce qu’un broussailleux (…) exprima par un claquement de langue admiratif et ce stupéfiant éloge : Ya d’la femme ici. » Clotilde Chivas-Baron, 1929 88

Archive 17 : « La coloniale doit garder intact son souci d’esthétique, de grâce et de correction. Ce sera, pour elle et pour les autres, un réconfort moral dans les heures grises. L’élégance, le goût, sont des charmes féminines qui, dans certaines circonstances, se haussent jusqu’au devoir : la tenue est une manifestation de la dignité. Plus qu’une autre, la femme coloniale doit garder la dignité de sa tenue : on la regarde vivre. Ceux et celles qui la regardent ont des êtres en voie d’éducation, ou de très vieux civilisés, des raffinés d’une civilisation différente. À ceux-ci, comme à ceux-là, il faut prouver que la Française, représentante de la civilisation nouvellement imposée, est une femme bien élevée, digne. » Clotilde Chivas-Baron, 1929 89

!

Ibid : p. 122 88

CHIVAS-BARON, Clotilde, La femme française aux colonies, Paris : Editions Larose, 1929, p. 121 89

32 : Planche d’album-photo, Bangui, années 1950 (Compagnie Française de distribution de pétrôle en Afrique) Collection Didier Carité

Archive 18 : « Le rôle de la femme est, du point de vue des relations sociales dans ces petits centres, très important : qu’elle s’occupe de sa maison, dirige son personnel, voie ses amies dans la mesure des nécessités, mais qu’elle fasse attention à ne pas parler trop souvent de ses voisines. C’est là une partie très importante de son hygiène intellectuelle ». Docteur Tanon,1938 90

!

« La terrasse, la piscine et les cours » « Jacqueline et Robert au cercle »

TANON Docteur, « L’hygiène de la femme aux colonies », La vie aux colonies. Préparation de la femme à la

90

33 : Planche d’album-photo, Bangui, années 1950 (Compagnie Française de distribution de pétrole en Afrique), Collection Didier Carité

34 : Planche d’album-photo, Bangui, années 1950, (maison de commerce Bangui-France), Collection Didier Carité

35 : Planche d’album-photo, Bangui, 1957-1958 (agence Groupement Française d’assurance de Bangui), Collection Didier Carité

!

« Bangui. La terrasse de notre case »

!

« Poitrine curieuse » « Opulence africaine »

! !

« Pige les belles gosses avec leur soutien- gorge »

Archive 19 : « Vous éviterez l’écueil redoutable. Vous serez la femme qui, sans que sa dignité et sa conscience soient offensées, sait dispenser l’indulgence … l’indulgence qui ne ferme pas tout à fait les yeux, mais qui baisse à temps les paupières, l’indulgence la plus efficace qui porte un nom court davantage : la bonté. Vous serez celle qui tient en ses mains tout l’avenir du foyer colonial, ainsi que tout le bonheur du foyer français. » Clotilde Chivas- Baron, 1929 . 91

Archive 20 : « Vous serez là, bravo ! (…) Votre présence Le maintiendra, Lui, dans son milieu, sans ‘bounioulisation’ possible, sans qu’il soit tenté de s’agripper à un être humain quel qu’il soit, pour l’unique raison que c’est un être humain et que Lui est seul. (…) Seul avec la mousso ou la congaï comme pis-aller … », Clotilde Chivas-Baron, 192992

!

Meilleurs Vœux de Bonne et Heureuse Année –

« Jé souête què 1958 taporte bocou lassanté é lé jois é lé sous é lê boneur avè moua – què tu me done bocou lé cado – ta jouli »

Ibid : p. 207-208 91

CHIVAS-BARON, Clotilde, La femme française aux colonies, Paris : Editions Larose, 1929, p. 141 - 142-143 92

Tableaux familiaux

36 : Planche d’album photo, Bangui, 1947-1954 (Société de transport STOC), Collection Didier Carité

37 : Planche d’album-photo, Bangui, années 1950 (Compagnie Française de distribution de pétrole en Afrique), collection Didier Carité

Archive 21 : « Ne pensez-vous pas que la vue, dans la brousse ou dans les centres, de ménages européens, normaux, paisibles, où la femme est à sa vraie place d’épouse et de mère, ne sera pas une sorte de prédication vivante, une leçon de choses, pour ces noirs (…) chez lesquels l’organisation de la famille prend parfois des formes si fâcheuses : matriarcat, polygamie, vente et achat de femmes, etc. ? » Alexandre R.P Brou, 1938 93

Le care

! ! « 4 mois 3 semaines. Heureusement que j’ai

des oreilles pour retenir le chapeau !! Gros bisous à pépé et mémé !! »

!

« Le mariage à Am-Zyman du chef de district

d’Aboudéia ». !

« Tableau familial »

BROU Alexandre R.P, « La femme française dans la société coloniale », La vie aux colonies : préparation de 93

38 : Carte-photo, anonyme, mission de Bessou, années 1920, Collection Didier Carité

!

39 : Planche d’album-photo, Bangui, 1957-1958 (agence Groupement d’Assurance Français de Bangu), Collection Didier Carité

40 : Planche d’album-photo, Bangui, années 1950 (Compagnie Française de distribution de pétrole en Afrique), Collection Didier Carité

41 : Planche d’album-photo, Bangui, années 1950 (maison de commerce Bangui-France), Collection Didier Carité

!

42 : Planche d’album-photo, Bangui, 1957-1958 (agence Groupement d’Assurance Français de Bangui), Collection Didier Carité

Archive 22 :« Et peut-on rester très loin du cœur d’une mère quand on lui soigne son enfant ? Les Françaises ont su inspirer assez de confiance pour que des mères, jaunes et noires, missent entre des mains blanches la vie de leurs petits » Clotilde Chivas-Baron, 1929 94

Archive 23 :« En aucun cas, n’abandonnez aveuglément vos enfants entre les mains des boys, entre les mains d’une domestique indigène », Clotilde Chivas-Baron, 1929 
95

!

! !

CHIVAS-BARON, Clotilde, La femme française aux colonies, Paris : Editions Larose, 1929, p. 111 94

Ibid : p. 198 95

Compagne ou compagnon ?

43 : Planche d’album-photo, Bangui, 1957-1958 (agence Groupement d’Assurance Français de Bangui), Collection Didier Carité

Archive 24 : « Elle a créé de la France pour ses enfants par qui elle veut continuer son culte de la beauté française, de l’éducation française, de l’art français. Pour son mari dont elle n’est pas seulement la compagne, mais le compagnon. » Clotilde Chivas-Baron, 1929 96

Archive 25 : “Et puis sous prétexte qu’elle se préoccupe de participer à la politique indigène, que la femme coloniale n’aille pas prendre le gout malsain de la politique. Qu’elle reste dans son domaine féminin, qu’elle ne se mêle pas de la vie administrative, qui jusqu’à nouvel ordre est le domaine des hommes. (…) Qu’elle ne soit pas, comme disent les noirs « madame commandant », mais madame tout court, la bonne Madame que personne ne redoute et que tous, Européens et indigènes, accueillent avec empressement, parce qu’elle a le rare privilège de pouvoir être uniquement bienfaisante » Georges Hardy, 1938 97

!

CHIVAS-BARON, Clotilde, La femme française aux colonies, Paris : Editions Larose, 1929, p. 187 96

HARDY Georges, « La femme et la politique indigène », La vie aux colonies. Préparation de la femme à la

97

2. Analyse transversale : la place des femmes françaises dans la politique