• Aucun résultat trouvé

VI. RESULTATS

3. Synthèse des différents types de données

1.1. Présence du jugement professionnel et éléments pouvant l’influencer

1.1.2. Dans la mise de commentaire

Comme nous avons pu le voir au travers des propos des enseignants, la rédaction de commentaires, qu’ils s’agisse de commentaires dans les évaluations, dans le livret scolaire de l’élève ou dans le rapport que les enseignants fournissent aux doyens, reste une pratique omniprésente dans le quotidien de ce professionnel, voire même une compétence incontournable.

Ainsi, nous nous sommes penchées sur la part que pouvait avoir le jugement professionnel dans l’écriture de ces divers commentaires et l’influence éventuelle qu’il pouvait avoir sur cette pratique.

1.1.2.1. Dans les évaluations et dans le livret scolaire de l’élève

L’ensemble des enquêtés nous déclare ne pas écrire leurs commentaires dans le livret scolaire en pensant aux doyens. Ainsi l’enseignant BE1 explique que :«Finalement le cycle […] y peut […]

mettre son nez dedans mais finalement les commentaires il va très peu les lire ils vont regarder les notes […] c’est pas dans le but d’être lus par le cycle qu’ils sont rédigés c’est clair » (TDP210).

Il est intéressant de constater que 7 enseignants sur 10 relèvent l’importance qu’ils confèrent aux commentaires dans les évaluations ou à l’intérieur du livret scolaire : « c’est important pour l’élève avant tout pour l’élève » (BE,TDP130). L’enseignant AE explique quant à lui : « Pour moi c’est important […] Je n’aime pas laisser vide (AE,TDP140).

Parmi les 10 enseignants, 3 d’entre eux s’expriment davantage sur la manière dont ils s’y prennent pour rédiger leurs commentaires, ainsi que l’influence que peut avoir la connaissance de l’élève sur le commentaire rédigé par l’enseignant.

Tout d’abord l’un des enseignants (AE1) aborde l’importance de toujours se référer à des faits que l’on a pu relever ou constater en classe, de même qu’à la manière de travailler de l’élève.

Nous verrons par la suite que cette vigilance de la part de l’enseignant peut se comprendre, puisqu’il peut être amené à se justifier auprès de divers acteurs (dont les élèves et les parents).

Nous pouvons ainsi citer les paroles de l’enseignant AE1: « le jugement sur le travail qui est fourni, euh....aussi y a des élèves, tu sais qu'ils travaillent trop vite. Et ça, tu le vois en classe (TDP216). Dans un sens, c'est un jugement sur leur manière de travailler, de ce que je vois en classe » (TDP218). L’interviewé AE considère, quant à lui, le commentaire comme étant en quelque sorte le fruit de l’articulation entre ses valeurs personnelles et celles résultant de la

VI. RESULTATS : QUESTION DE RECHERCHE 3

interrogées qui considère les valeurs personnelles comme constitutives de son jugement professionnel. Elle explique ainsi :

Il faut pas que notre jugement personnel soit…enfin va dans le sens où un élève on ne l’aime pas donc on va mettre un commentaire négatif. Non, ça je pense que effectivement il ne faut pas le faire […] Il y a un peu des deux moi je dirais. Les deux mais dans le sens tant que le jugement personnel […] il reste clean quoi (AE,TDP204).

Enfin, en ce qui concerne le troisième enseignant, il évoque la présence de son jugement professionnel lors de l’écriture d’un commentaire, en ce sens où, pour une même note, il va rédiger des commentaires différents selon l’élève et ce, de par le fait même de la connaissance qu’il a de chacun d’eux et de leur parcours scolaire. Ainsi, il s’exprime : « c’est vrai que ben on reprend l’exemple le 4 euh que j’vais mettre à un élève ça sera un regard "bravo t’es en progrès" et le 4 que j’vais mettre à un autre c’est mais "qu’est-ce qui se passe tu nous avais habitués à mieux " » (BE1,TDP196). Cela peut nous amener à penser que le commentaire viendrait expliquer et étayer la note afin que celle-ci prenne plus de sens pour l’élève.

1.1.2.2. Dans le rapport rédigé par l’enseignant et destiné au cycle

Parmi les 10 enseignants interrogés, 8 se sont exprimés sur le cas des commentaires qu’ils rédigent dans le rapport destiné au cycle. En ce qui concerne l’utilité de ce dernier, nous pouvons mettre en évidence le fait qu’il s’agit d’un échange de renseignements entre professionnels (enseignant et doyen) concernant un élève. L’enseignant est relativement libre d’inscrire ce qu’il juge bon de communiquer aux doyens du cycle. Parmi les 8 enseignants, certains précisent des informations relatives à la sphère familiale dans laquelle vit l’enfant (pouvant avoir des répercussions du point de vue scolaire), de même qu’aux suivis extérieurs à l’école dont bénéficie peut-être l’élève. L’un des enseignants (AE1) explique ainsi : « si tu sens que l’histoire familiale ou ce qui est en train de se vivre au niveau de la famille, ça a des incidences sur ce qui se passe à l‘école, je vais le mettre » (TDP72).

La totalité des enseignants s’exprimant ici déclare faire preuve de vigilance par rapport à ce qu’ils disent dans ces commentaires ou encore la manière dont ils le disent. Nous pouvons ainsi constater deux types de vigilance. La première concerne la nécessité d’être attentif à ce que l’on

VI. RESULTATS : QUESTION DE RECHERCHE 3

pense mettre dans ce rapport : « C’est un rapport en fait, qui peut être lu par les parents (TDP72) ; donc, c’est pour ça que moi, je me permets de le mettre. C’est quelque chose qu’on a discuté déjà ensemble [avec les parents], qui est sorti lors des entretiens » (TDP76). Quant au deuxième type de vigilance, 3 autres enseignants évoquent la crainte et le besoin d’être attentifs à ce qu’ils écrivent. C’est par souci d’être lus par les parents, qu’ils ne peuvent pas toujours transmettre un message clair venant renseigner les doyens sur la situation de l’élève. Cela peut les amener à devoir rester plus ou moins dans le flou. Cependant, ils doivent tout de même essayer de faire passer le message aux doyens. C’est notamment ce qu’explique un des enseignants :

C'est vrai qu'une fois j'avais eu un enfant en foyer, qui vivait des relations très difficiles avec ses parents et qui les voyait que les week-ends […] je peux pas ne pas le mentionner... mais je vais le dire, sans dire que c'est conflictuel, mais je vais le dire de manière à ce que le professionnel de l'autre côté, va comprendre ce que j'aurais voulu dire...et comme ça les parents […] peuvent pas dire, que j'ai dit quelque chose qu'il fallait pas (AE4,TDP106).

Ces propos semblent mettre en évidence le lien qui existe entre les deux professionnels de l’enseignement que sont les enseignants et les doyens, et qui sont susceptibles d’entrer dans une intercompréhension face aux différentes situations. Enfin, nous pouvons montrer la nécessité pour ces enseignants de faire preuve de rigueur lors de l’écriture de ces commentaires ; rigueur leur permettant de pouvoir justifier à tout moment leurs propos, que cela soit face aux parents ou aux doyens. Pour cela, les enseignants citent dans l’écriture des commentaires en évaluation tout comme dans les livrets, la nécessité de pouvoir se baser sur des faits observables et pouvant être prouvés, comme nous le précise l’enseignant AE2 :

Se cantonner à des faits quantifiables, c’est-à-dire, ce que vous pouvez remarquez, l’élève présente de bons résultats en maths, l’élève est un bavard, il ne dit jamais rien, c’est des choses qui sont observées, qui sont prouvables. Mais il faut pas commencer à donner un avis personnel. Parce que c’est dangereux (TDP62).

1.1.2.3. Dans la question de l’orientation de l’élève

Nous avons premièrement demandé aux enseignants la place qu’occupe le jugement

VI. RESULTATS : QUESTION DE RECHERCHE 3

savoir si, selon eux, l’orientation des élèves au cycle et la connaissance qu’ils ont du fonctionnement de ce dernier ont, ou non, une influence sur leur jugement professionnel. Nous avons ainsi pu récolter les propos de 7 enseignants sur 10.

En ce qui concerne notre première interrogation, les propos de 5 des 7 enseignants semblent mettre en évidence le fait que la connaissance qu’ils ont de l’élève, au delà de la note, a une influence sur les recommandations qu’ils font au cycle. En effet, nous pouvons relever, à de nombreuses reprises, que l’élément essentiellement pointé ici est leur connaissance des élèves du point de vue, entre autres, de l’attitude en classe, l’attitude au travail, l’effort fourni par ces derniers, leur degré d’investissement, de maturité, d’autonomie, etc. Il s’agit d’autant d’informations susceptibles de les amener à pouvoir, au fil de l’année, envisager une orientation dans tel ou tel regroupement, ou encore un redoublement ; ce en visant toujours l’intérêt et le bien de l’élève.

En ce qui concerne notre deuxième question, l’expérience des enseignants en matière d’orientation des élèves, entre autres, ainsi que leur connaissance du fonctionnement du cycle et des caractéristiques spécifiques à chaque élève, les influence dans leur jugement:

Cet élève il sera mieux en B parce que…il est pas organisé, il a pas la rapidité de travail.

[…] on sait vraiment qu’en A ils doivent plus travailler, enfin vite, ils doivent être mieux organisés, etc.[…]on se dit que c’est mieux qu’ils aillent en B […]J’ai eu des élèves qui sont revenus et qui étaient en B et qui m’ont dit « ah, mais c’est super j’ai que des 5,5 » donc moi je préfère ça plutôt que…si on l’avait mis en A, cet élève il se serait complètement planté et il serait complètement démotivé (BE3,TDP196) ;

C'est pas seulement les connaissances, mais au cycle […] quand il est pas mûr, ça sert à rien de l'envoyer parce que il va se ramasser […]. D'un autre côté, celui qui est mûr, lui faire refaire sa 6P, lui, il fait vivre un enfer à tout le reste d'une classe. Parce qu'il est déjà adolescent et qu'il n'a plus rien à faire dans une école primaire. Y a les deux aspects à juger (AE4,TDP124).

C’est en se basant sur leur jugement professionnel et la connaissance qu’ils ont de l’élève, que les enseignants peuvent parfois être amenés à utiliser une certaine marge de manœuvre dont ils disposent. Cela peut consister à remonter la note d’un élève, ce, afin de permettre à ce dernier de rejoindre un certain regroupement dans lequel l’enseignant le juge capable de pouvoir évoluer et

VI. RESULTATS : QUESTION DE RECHERCHE 3

que nous confie l’un des enseignants, sous couvert de l’anonymat :

Cet élève que l’on avait qui était juste limite et où il lui manquait 2 petits dixièmes […] en français II…pour aller en A. […] On en a discuté avec elle, […] avec les parents, on lui a dit […] on a la possibilité de t’aider mais il faut que tu montres que tu bosses, que tu donnes le tout de toi-même, que ce ne soit pas je me laisse aller parce que l’on va m’aider. Elle nous a montré qu’elle en voulait…et puis on l’a remontée (BE3, TDP194).

Encore une fois, il s’agit d’une décision qui se construit au travers de discussions et qui semble reposer sur une certaine confiance réciproque entre les différents acteurs. L’aveu de cet enseignant nous laisse entrevoir en quelque sorte la prise de risques que peut être amené à prendre un enseignant. Cela traduit également un certain degré de confiance qu’il accorde à son jugement professionnel et donc à l’expertise qu’il a de cette situation et dans ce contexte particulier. En effet, l’enseignant nous explique que cela n’est pas une pratique qui peut s’appliquer à tous les élèves.

Le jugement professionnel des enseignants a également de l’influence et joue un rôle lors des rencontres avec les doyens. Nous pouvons ainsi mettre en évidence un double usage de toutes les connaissances de l’élève et les informations récoltées à son sujet par l’enseignant. En effet, si dans un premier temps, celles-ci permettent à l’enseignant de pouvoir se prononcer quant à un préavis d’orientation pour l’élève, ces informations doivent également l’amener à pouvoir argumenter ses propos lors des rencontres avec les doyens. Cela peut s’illustrer par les propos de l’enseignant AE3, qui explique :

Je me dis, bon celui-ci, il a peut-être les notes d’aller en A. Il est viable, il pourrait aller en A. Il a les compétences. Donc, s’il a les compétences, je vais l’indiquer et puis je vais pousser pour que ça passe de ce côté-là (AE3TDP46).

Nous pouvons ici interpréter le « je vais pousser pour que ça passe de ce côté-là » comme une manière pour l’enseignant d’expliquer au doyen la situation de l’élève afin qu’il prenne en compte ses remarques. Il ne s’agit donc pas pour l’enseignant de reconnaître uniquement les compétences de ses élèves et de formuler un préavis d’orientation, mais il y a une rencontre au cours de laquelle l’enseignant va faire le portrait de l’élève au doyen et essayer de le convaincre.

Cela peut se traduire parfois par une discussion autour de ce qui serait bien de mettre en place en

VI. RESULTATS : QUESTION DE RECHERCHE 3

autour de la situation familiale et du contexte dans lequel vit l’enfant. Dans cette situation, la parole de l’enseignant est importante à prendre en considération parce qu’il connaît l’élève bien mieux que le doyen. Deux enseignants s’expriment dans ce sens :

A ce moment-là, on fournit des informations plus subjectives […] J’avais des élèves qui étaient d’une faiblesse absolument atroce, mais qui étaient des élèves qui avaient une volonté et qui ont travaillé comme des dingues pour essayer d’arriver à passer au moins en B…et là, j’ai pu les recommander auprès du doyen et du directeur pour qu’ils soient d’emblée pris sous l’aile de quelqu’un une fois au cycle (AE2,TDP68) ;

Si y a quelque chose de particulier, même si c'est un brillant élève, on va le signaler, si il vit une situation pas facile familiale ou autre, enfin dans le but de... qu'on comprenne...ce qui peut l'aider […] donc c'est vrai que c'est des choses qu'on va signaler (AE4,TDP54).

Par ailleurs, un autre enseignant avoue que son jugement professionnel en matière d’orientation de l’élève semble avoir, toutefois, certaines limites. En effet, cet interviewé dit ressentir quelque fois des difficultés à pouvoir se positionner clairement concernant le préavis d’orientation de l’élève. Il parvient tout de même à proposer une interprétation basée sur les informations qu’il a pu récolter et qui lui permettent de se faire une certaine idée quant au choix possible d’orientation. Cependant, il explique clairement qu’il lui est difficile de pouvoir se prononcer sur la réussite ou non d’un élève dans tel ou tel regroupement et ce, par le fait qu’il ne considère pas pouvoir connaître parfaitement l’élève au bout d’une année : « Moi, j'ai de la peine à le dire, donc moi souvent, je dis ça aux parents en disant, vous vous connaissez mieux votre enfant que moi, ce qui est vrai....donc voilà » (AE1,TDP250). C’est la raison pour laquelle, il attache de l’importance aux considérations des parents de l’élève, qui ont une connaissance plus précise de leur enfant. Il s’en remet donc, pour une partie non négligeable, à l’avis des parents, en leur reconnaissant un statut particulier.

Mais la plupart du temps, je leur dis, mais vous, vous connaissez aussi votre fils, vous savez si le fait qu'il soit en B, et ben ça va plutôt l'aider ou à l'inverse, vous savez que c'est mieux qu'il aille en A parce que si c'est entre guillemets, trop facile, il va complètement se laisser aller et il va rien faire. […] Je pense qu'en ayant un élève une année […] c'est difficile de dire, si il va se laisser aller en B ou à l'inverse s'il va se motiver parce que le prof va plus

VI. RESULTATS : QUESTION DE RECHERCHE 3

En considérant les parents en tant qu’« acteurs » et « partenaires » du système éducatif, l’enseignant parvient non seulement à dépasser une des limites concernant son jugement