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La mesure de la proximité géographique

Chapitre 6 : La proximité dans les relations géographiques, institutionnelles et organisationnelles

1. La proximité géographique : « boite noire » du territoire

1.2. La mesure de la proximité géographique

La proximité géographique est celle qui se prête le plus à une évaluation quantitative. Plusieurs approches existent pour mesurer « le positionnement relatif des agents » dans l’espace (Bouba-Olga, Zimmermann, in Pecqueur, Zimmermann, 2004, p.95). Deux notions, proximité géographique de localisation et de configuration ont été développées dans un article de Moquay et al. (2005, p.207) et ont été retenues dans cette thèse :

- L’étude de la localisation des acteurs permet d’inventorier ce à quoi ils ont accès, ce qui se reflète directement sur leur capacité d’action et de décision ;

- L’étude de la configuration spatiale permet de faire des extrapolations du comportement des acteurs se trouvant dans des agencements spatiaux similaires, notamment par l’utilisation de donnée socio-démographiques.

Comme cela a été dit plus tôt, en ce qui concerne la localisation, l’approche principale est la mesure des distances entre différents acteurs et/ou objets, auxquels on attribue des caractéristiques de situation. Pour cela il faut polariser l’espace en caractérisant deux lieux ou plus comme des points de départ ou d’arrivée dans les trajectoires des acteurs et mesurer les distances qui les séparent. Si Bouba-Olga et Zimmermann évoquent une distinction entre la « notion de distance [qui] définit ce qui sépare alors que la notion de proximité entend rendre compte de ce qui rapproche plusieurs individus entre eux » (in Pecqueur, Zimmermann, 2004, p.97), sur un plan mathématique les deux notions sont symétriques et substituables. C’est l’acceptation la plus simple de la proximité ; le « nombre de mètres ou de kilomètres qui séparent deux entités. » (Torre, 2009, p.65). La distance peut, par exemple, être mesurée par le modèle Hotelling, que nous avons évoqué précédemment et qui prend en compte le coût des transports augmentant linéairement avec la distance à parcourir entre plusieurs points auxquels on aura préalablement attribué des critères de situation. A ce stade, l’utilisation de données de répartition géographique de groupes socio-économiques, comme celles proposées par l’INSEE, est également utile, car les catégories socioprofessionnelles, l’âge ou la richesse peuvent avoir un impact important sur la capacité de circulation de certains groupes d’acteurs. Dans les situations ou ces données sont mobilisées, la pertinence du lien entre ces données et l’observation de la proximité géographique sera mise en lumière au cas par cas.

Cependant, la notion de distance est à utiliser avec précaution lorsqu’il s’agit de mesurer la proximité géographique. En effet, comme cela a été dit plus tôt, il y a une différence entre les distances réelles et les distances perçues. Toute mesure trop abstraite des distances peut poser problème. Torre identifie trois éléments qui la relativisent (2009, p.65) :

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- Une relativité liée aux « caractéristiques morphologiques des espaces au sein desquels se déroulent les activités », la distance kilométrique n’ayant pas la même signification pour les acteurs selon le relief de leur territoire qui peut faciliter ou restreindre leurs déplacements ;

- Une relativité liée à la « disponibilité d’infrastructures de transport » physique (Torre, 2009, p.68) ou de communication, particulièrement centrale dans les débats sur la mobilité ou sur l’ubiquité278 permise par les NTIC ;

- Une relativité liée aux « conditions financières des individus qui utilisent ces infrastructures de transport » et qui soulève alors la question de l’accessibilité.

Il faut également ajouter que la simple proximité géographique n’est pas automatiquement garante d’interactions entre les différents acteurs ; « deux entreprises peuvent se trouver en situation de Proximité Géographique sans pour autant entrer en interaction » (Ibid., p.66). Pour que les acteurs rentrent en contact, la proximité géographique nécessite donc une activation.

Certaines approches mathématiques ont été proposées pour modéliser la proximité géographique. C’est par exemple le cas de l’approche par la théorie des graphes qui permet de constituer une grille d’interaction entre « une ou plusieurs formes élémentaires de l’espace » (Barthes, Planque, 2002, p.3). Elle donne l’opportunité de rendre compte de réalités territoriales complexes ou se chevauchant. Angela Barthes et Geraldine Planque donnent l’explication suivante quant à la transposition de cette méthode au domaine de la géographie : « Deux idées simples sous-tendent cette méthode : (1) les points d’un espace sont en relation les uns avec les autres, dans le sens où la présence de tel point influence la localisation de tel autre (2) [et] les relations qui unissent ces points sont caractérisables. D’où la démarche suivante : dans une portion d’espace donnée, on choisit un ensemble de points de même nature (les villes d’un pays, les équipements sportifs ou culturels d’une région, les boulangeries d’une ville...), puis on tente de caractériser les relations morphométriques qui unissent les points sélectionnés » (p.2). La caractérisation permet non seulement la représentation des connexions sociales entre différents acteurs territoriaux, mais peut également rendre compte des distances réelles entre eux en faisant correspondre chaque nœud du nuage de point du graphe à une coordonnée géographique. Elle intègre une notion de chemin qui induit que « deux individus sont ou bien en interrelation directe ou bien reliés à

278 Cela signifie « être à la fois simultanément présent ici et ailleurs et donc de développer un registre d’action qui déborde la

localisation ou la mobilité. Tout agent est non seulement localisé ou mobile, mais encore capable d’agir en temps réel dans des lieux différents » (Torre, 2009, p.68).

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travers un certain nombre de pôles et de liens intermédiaires ou encore ne sont reliés par aucun chemin » (Bouba-Olga, Zimmermann, in Pecqueur, Zimmermann, 2004, p.100).

Cette approche qui permet de passer d’un espace purement métrique à un espace topologique, c’est-à-dire une « étude des lieux »279 et de leur structure n’a cependant été qu’une inspiration pour la modélisation géographique des réseaux étudiés dans cette thèse. En effet, dans la mesure où l’étude se fait à l’échelle des structures, et non pas des agents individuels, une représentation mathématique par les graphes aurait été assez pauvre (interactions trop ponctuelles, informelles et entre trop peu d’organisations). En revanche d’autres facteurs ont été gardés. Par exemple, la construction de réseaux sociaux, la mesure des effets des choix des acteurs dans une optique d’« interactionnisme structural »280 (Bouba-Olga, Zimmermann, in Pecqueur, Zimmermann, 2004, p.103). La question du temps de circulation a également été centrale, ainsi que celle de l’information. En effet, l’information, tout comme les matières premières, peut constituer une ressource locale ; « en situation de coopération, le partage de l'information améliore la qualité des décisions par rapport à des procédures individuelles de choix. » (Angeon, Caron, Lardon, 2006, p.4). Déjà, il s’agit là d’un pas vers la proximité organisée, puisque l’établissement de lignes de communication n’est pas qu’une question d’infrastructure, mais également de choix pour les acteurs et dépend donc de leur proximité institutionnelle et/ou organisationnelle.

La proximité sort d’une mesure purement statique des distances et de « la dimension sociale des mécanismes économiques, ou ce que l'on appelle parfois la distance fonctionnelle » (Gilly, Torre, 2000, p.13) qui correspond à une vision de l’« espace géonomique » de Perroux (1964). On élargit alors l’analyse aux questions de gouvernance, comme le choix de l’implantation des unités productives et la localisation des acteurs, traitées par l’économie régionale et l’économie politique.

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