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La construction des libertés civiles et des courants politiques socialistes

Chapitre 2 : De la IIIe République à 1973 : une ESS partagée entre lutte sociale et institutionnalisation

1.1. La construction des libertés civiles et des courants politiques socialistes

Après les évènements des Communes, beaucoup de militants socialistes sont emprisonnés ou exilés. Pour faire subsister les idées socialistes, il est nécessaire de les légitimer au sein de canaux institutionnalisés de lutte politique. Aussi, les mouvements se structurent pour prendre part aux élections et aux organismes d’État. Sous l’ordre républicain, et une fois le suffrage universel masculin instauré, l’apaisement des velléités révolutionnaires passe par le fait de lier la notion de République et celle d’expression de la volonté de tous les citoyens. Pour développer une société civile en dehors de rapports de force violents, un certain nombre de libertés politiques doivent être conquises. La liberté de réunion et de manifestation est donnée par la loi du 30 juin 1881 statuant que « Les réunions publiques sont libres. Elles peuvent avoir lieu sans autorisation préalable » (art.1)93. La même année est votée une loi sur la liberté de la presse qui rend effective la liberté d’opinion proclamée par la DDHC en 1789. Cette loi du 29 juillet 1881 statue notamment que « l'imprimerie et la librairie sont libres » (art.1), que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public » (art. 2) et que « tout journal ou écrit périodique peut être publié sans déclaration ni autorisation préalable, ni dépôt de cautionnement » (art.5)94. Une autre loi importante viendra plus tard concernant la liberté d’association ; il s’agit de la loi Waldeck- Rousseau de 1901, qui sera détaillée plus bas, car elle concerne la branche de l’ESS sur laquelle cette étude de thèse se focalise.

93Source :https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=52F781E3E47D993AB81953D026F3B8CC.tpdjo11v_1?c

idTexte=LEGITEXT000006070164&dateTexte=20090515

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Ce processus de verticalisation des revendications politiques, c’est-à-dire de leur inscription dans les institutions politiques à hiérarchie pyramidale de l’État, s’applique aux républicains, aux socialistes et aux communistes. Grâce à l’acquisition de libertés civiques, des partis politiques socialistes vont pouvoir se créer. En 1878, la Fédération du Parti des Travailleurs Socialistes de France rassemble plusieurs courants. Pour n’en citer que quelques-uns, le courant collectiviste et marxiste crée le Parti Ouvrier français en 188295 avec à sa tête Jules Guesde et Paul Lafargue96. Ce courant est opposé à toute compromission avec la bourgeoisie. Le courant blanquiste, du nom d’Auguste Blanqui, révolutionnaire enfermé après les évènements de la Commune de Paris, crée en 1898 le Comité Révolutionnaire Central en 1881 qui deviendra le Parti Socialiste Révolutionnaire dirigé par Édouard Vaillant. Le courant des socialistes indépendants regroupe de grands noms comme Léon Blum, Jean Jaurès et Alexandre Millerand, qui s’intégreront très vite dans la vie parlementaire en tant que députés. En 1898, se crée la Confédération des Socialistes Indépendants qui deviendra le Parti Socialiste Français en 1902. Le mouvement socialiste est divisé entre un courant révolutionnaire, mené par des figures comme Vaillant ou Guesde et un courant plus réformiste, formé par les socialistes indépendants avec à leur tête Jaurès. Ces différents courants s’unissent en 1905, au congrès du Globe à Paris pour former la Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), qui est un parti peu centralisé laissant une grande autonomie à ses élus locaux. Malgré tout, les divergences ne disparaitront pas et en 1920 au Congrès de Tours, le mouvement communiste se détachera de ce parti sous le nom de SFIC. Cette organisation deviendra plus tard le Parti Communiste. Cette dissension politique concerne la question révolutionnaire et entraine également une scission dans le syndicat principal existant alors ; la Confédération Générale du Travail (CGT), qui se scinde pour créer la Confédération Générale du Travail Unitaire.

Quel est l’impact politique de ces mouvements ? La première décennie de la Troisième République est marquée par le conservatisme des républicains modérés. Le pays est tenu d’une main de fer grâce aux Réformes Thiers, du nom du premier président de la Troisième République97, qui permettent de relayer le pouvoir exécutif sur les territoires français grâce aux préfets et aux maires. Adolphe Thiers n’est pas ouvert aux idées socialistes. Il écrit en 1848 ; « ou utopistes, ou factieux, voilà comment je définis les philosophes qui, pour ne pas

95 Des informations sur la création du parti et ces premiers programmes sont disponibles sur le site Internet de Gallica à

l’adresse suivante : https://gallica.bnf.fr/conseils/content/parti-ouvrier-fran%C3%A7ais

96 Paul Lafargue est le gendre de Karl Marx, ayant épousé sa fille Laura Marx (source :

http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb124832362.public )

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s’appeler communistes, ont imaginé de s’appeler socialistes » dans De la Propriété (Bremand, 2014, p.14). A sa succession, c’est un retour à l’ordre moral qui s’engage sous la présidence du Général Mac Mahon à partir de 1873. Celui-ci n’hésite pas à encourager les valeurs religieuses et à exercer la censure dans la presse. Le pouvoir en place souhaite établir une paix sociale en alliant le vote de la petite bourgeoisie urbaine et celui des ouvriers agricoles en jouant sur les « grandes peurs que suscite la classe ouvrière montante, essentiellement urbaine » (Pluvinage, Mayaud, 2007, p.406). La scène politique sera dominée par ce courant, avec des figures comme Jules Ferry ou Léon Gambetta, jusque dans les années 1890. Tandis que les partis les plus conservateurs cherchent à s’emparer du vote des ouvriers agricoles, les ouvriers du monde industriel voient leurs intérêts défendus par le parti communiste et les socialistes. Les radicaux-socialistes font leur entrée parlementaire officielle aux élections législatives de 188998. Ils garderont une présence proche de 10% des suffrages aux législatives jusqu’en 1902, où un bloc des gauches se présente et emporte 50,47% des suffrages, mettant à la tête du gouvernement le radical-socialiste Émile Combes. En 1906, la SFIO présente une liste et obtient près de 10% des sièges à l’Assemblée nationale, 13,20% en 1910, 16,76% en 1914, 21,22% en 1919. En 1924, les élections portent au pouvoir la formation appelée le Cartel des Gauches. Celle-ci est formée des radicaux indépendants, des radicaux-socialistes, du Parti républicain-socialiste et de la SFIO. En revanche, les communistes se présentent séparément, car une alliance avec les autres partis leur semble être une compromission avec la bourgeoisie ; ils obtiennent 9,82% des voix. En 1928, la droite alliée au centre droit emporte la majorité des sièges, mais la SFIO fait tout de même 18,5% et le PCF, 11,26%. En 1932, un cartel des gauches remporte de justesse la majorité, le PCF se maintient à 8,32%. Mais c’est surtout le Front populaire de 1936, mené par Léon Blum, qui symbolise le plus la montée socialiste puisque, face à la crise économique qui a atteint le pays, les communistes acceptent de rejoindre la coalition et lui permettent d’obtenir 57,17% des suffrages. Cette constante progression des partis de gauche dans l’échiquier politique jusqu’à cette date s’explique par le fait que les revendications demeurent modérées par la mouvance centre-gauche et gauche réformiste.

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