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Une grande partie des structures subversives restent à l’écart des dynamiques de changement d’échelle

Chapitre 2 : De la IIIe République à 1973 : une ESS partagée entre lutte sociale et institutionnalisation

2. Vers une instrumentalisation de la solidarité ?

2.2. Résister à l’isomorphisme : vers des techniques de management et de développement sociales et solidaires ?

2.2.3. Une grande partie des structures subversives restent à l’écart des dynamiques de changement d’échelle

Malgré la volonté d’une partie du monde politique et de nombreux acteurs de l’ESS de développer des formes de management sociales, solidaires et proximistes, certaines structures restent aujourd’hui dans une situation de défiance, voire de repli vis-à-vis des dynamiques de convergence avec le reste de l’économie. Il s’agit majoritairement de structures associatives appartenant à la NES ou de collectifs non déclarés. Les causes qu’ils défendent les mettent souvent dans une position d’opposition directe avec les politiques publiques et parfois même dans une situation d’illégalité. Cela a abouti à une forte répression et à quelques procès qui ont été déterminants dans leur rapport à toute forme de convergence avec des organisations du reste de l’économie.

Ce propos peut être illustré par un exemple ; celui des SEL, qui est une structure appartenant aux monnaies communautaires locales. Ces structures profitent aujourd’hui d’un « vide juridique » pour créer un marché parallèle de biens et de services qui ne se conforme pas à

de mettre en location leur propre logement ou leurs propriétés immobilières et a grandement déstabilisé le marché de l’hôtellerie ainsi que le marché immobilier dans les grandes villes.

181 De nombreuses entreprises utilisent des arguments écologiques ou liés au développement durable dans leurs stratégies

marketing. « L’utilisation de ce type d’arguments est appelée greenwashing ou écoblanchiment ou bien encore blanchiment écologique d’image » (Breduillieard, 2013, p.115). Des procédés très similaires, utilisant cette fois des arguments sociaux, sont également appliqués et peuvent être qualifiés de socialwashing.

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l’image d’association d’aide aux publics défavorisés qu’on leur attribue parfois182. Ayant une « revendication libertaire », ils n’ont pas de « place légale bien définie mais jouent justement avec les failles » du système légal (Mandin, 2009, p.35). Cependant, leur activité a soulevé une forte suspicion de la part des autorités, qui assimilaient leur activité à du travail clandestin. En 1996, un procès ayant fait depuis jurisprudence a éclaté dans l’Ariège concernant un SEL pyrénéen pour ce type d’accusation. Le jugement prononcé le « 6 janvier 1998, donna raison aux accusateurs » (Ibid., p.38) mais une procédure en appel a permis l’annulation des charges au motif du caractère occasionnel de l’activité. Cela veut dire que l’activité des SEL est tout au plus tolérée et soumise à certains critères : les services rendus doivent y être occasionnels, non-professionnels, limités en termes d’heures et ne pas concerner des activités très encadrées légalement183. Cela entrave grandement la possibilité pour les structures d’offrir à leurs adhérents une réelle alternative au système marchand où de compenser les besoins en biens et services qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir (même si ce n’est pas la seule raison qui motive l’adhésion au sein des SEL).

Un autre exemple concerne certaines structures ayant entrepris depuis les années 1980 et 1990 à venir en aide aux sans-abris en organisant des opérations à la limite de la légalité comme de la récupération alimentaire dans des poubelles de supermarchés ou l’occupation des squats, comme celui investi par la fondation Abbé Pierre en 1994, rue du Dragon à Paris184. Ces activités remettent en question la notion de propriété et ont donné lieu à des plaintes et, encore aujourd’hui, à des expulsions musclées. Même si certains cadres étatiques ont depuis été assouplis185, d’autres conflits se sont au contraire durcis et engagent aujourd’hui une partie militante du secteur solidaire dans des batailles juridiques très dures, notamment sur la question des sans-papiers.

Le droit de propriété est aussi remis en question dans le domaine de l’agriculture. D’une part, par le mouvement des ZAD, qui a déjà été évoqué plus tôt, et dans certains cas d’expérimentations d’agriculture urbaine. En effet, les militants de ce type de structures s’approprient des terrains non utilisés pour en faire des fermes ou des jardins collectifs, protégeant par le même fait l’environnement, mettant en avant des problématiques

182 Les SEL sont parfois présentés par les médias de la façon suivante : « face à la recrudescence du chômage, à la précarité

des emplois et à la pauvreté de plusieurs millions de personnes jeunes et moins jeunes, le système d'échange local se veut un e alternative au système monétaire actuel » (extrait de « Système d'échange local (SEL): du troc pour échapper à la crise », émission télévisuelle du 20/04/2009 disponible sur https://www.ina.fr/video/VDD09011099)

183 Par exemple toutes les activités qui nécessitent d’être assurées, celles liées au milieu médical, etc.

184 Comme en témoigne l’émission du JT de 13h de F2 du 19 décembre 1994, « L'Abbé Pierre réquisitionne un squat rue du

Dragon à Paris », disponible à l’adresse Internet https://www.ina.fr/video/CAB94112705.

185 Le 3 février 2016, l’Assemblée nationale a adopté des mesures pour lutter contre le gaspillage alimentaire qui ont été

ratifiées à l’unanimité par le Sénat. Ces mesures concernent en particulier les grandes surfaces qui ne peuvent plus empêcher des associations de récupérer les invendus jetés.

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alimentaires, ainsi que de nombreuses autres revendications. Récemment, certaines de ces structures ont été impliquées dans la prise en charge et l’hébergement de sans-papiers. La réaction des pouvoirs publics est généralement d’entamer des procédures d’expulsions, comme à Notre-Dame des Landes en 2018, où des affrontements extrêmement violents ont opposé les forces de l’ordre et les zadistes.

En résumé, des mouvements importants se sont développés dans les dernières décennies pour offrir une réponse aux pressions isomorphiques du paradigme dominant et affirmer les spécificités des branches militantes et alternatives de l’ESS. Cependant une très grande partie des initiatives subversives du secteur restent exclues des dynamiques de changement d’échelle et de coopération avec les autres acteurs de l’économie. Leurs rapports avec ces derniers restent très conflictuels. Il semblerait que depuis les années 1980 on recycle « la vieille haine de l’utopie » (Abensour, 2010, p.34) pour justifier la mise à l’écart toutes les structures souhaitant échapper à la banalisation ou à l’instrumentalisation. Certaines d’entre elles sont même réprimées durement, car elles développent des stratégies de résistance allant à l’encontre des institutions en place et parfois même du cadre légal. Elles cherchent donc souvent à s’autonomiser le plus possible vis-à-vis du reste de l’économie, jusqu’à parfois se mettre en situation de repli, ce qui les empêche souvent de se développer rapidement. Aussi, « elles ne parviennent pas à construire une parole commune dans l’espace public » (Dacheux, 2013, p.111) et présentent une apparence de grand éclatement lié au fait que plusieurs structures similaires cohabitent sur les territoires sans nécessairement coopérer.

Pour résoudre les problèmes qui leur sont inhérents, comme la volatilité du bénévolat, la rareté des compétences en leur sein ou le manque de moyens matériels et financiers, elles mettent cependant en œuvre des stratégies de proximité, souvent très flexibles, au moins aussi intéressantes à étudier que celle des PTCE. C’est pourquoi elles sont au cœur des observations faites au sein de ce travail de recherche.

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Conclusion de la partie 1

La rétrospective historique a mis en lumière le fait que certaines périodes de grande transformation avaient permis à des structures de l’ESS s’opposant frontalement au modèle socio-économique dominant de germer. Chacune de ces périodes correspond à une mutation du capitalisme libéral (Boltanski, Chiapello, 1999) ayant provoqué une réaction contestataire au sein du tiers secteur et de la société civile dans son ensemble. Cependant, l’étude des trajectoires des différentes organisations ainsi créées montre que leur quête de développement et de légitimation à généralement mené à une normalisation de leur fonctionnement si ce n’est des valeurs qu’elles affichent.

Tout d’abord, l’étude du contexte révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle a démontré qu’il s’agissait d’une période propice au développement de projets économiques et sociaux très alternatifs en raison d’une remise en cause transversale des institutions. Les idées alors développées ont durablement impacté l’ESS alors naissante, au point de subsister en filigrane jusqu’à aujourd’hui. Mais de nombreux prérequis n’étaient pas encore en place pour contrebalancer l’équilibre des pouvoirs qui, via la Révolution Industrielle, installa le capitalisme libéral dans une position dominante. La voie qui a tout d’abord été choisie par les mouvements sociaux et solidaires héritiers de la Révolution a été celle de l’acquisition progressive de libertés civiles. Cela a conduit tout un pan de ce mouvement à s’intégrer dans les institutions politiques existantes et à adopter une attitude plus réformiste que révolutionnaire. Le pari a été que les progrès graduels permettraient à une partie de plus en plus grande de la société de s’émanciper de la dialectique dominants/dominés et d’accéder à un plus grand pouvoir de détermination sur l’organisation économique et sociale. Cette voie a permis d’obtenir un grand nombre de progrès en termes de droits civils et sociaux depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, et la transformation de la société a été indéniable. Cependant, les logiques systémiques préexistantes n’ont jamais réellement été remises en cause186.

Ces progrès pouvaient-ils permettre sans heurts et sans révolution de réaliser les objectifs qui paraissaient utopiques une centaine d’années plus tôt ? L’efficacité pour les structures subversives se trouvait-elle dans l’institutionnalisation ? Durant les Trente Glorieuses, l’émancipation a semblé en bonne voie grâce à la mise en place de l’Etat Providence, censé

186 Hormis, bien entendu, dans les pays qui se sont tournés vers des révolutions communistes. Cependant, l’analyse historique

a montré que même l’Union Soviétique se soumettait à de nombreuses conventions appartenant aux mondes marchands et industriels (Boltanski, Thévenot, 1991).

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garantir l’ascenseur social sur un principe méritocratique et soutenu par une très grande partie de l’ESS. Cette période voit les structures de l’ESS se normaliser et leur fonctionnement se banaliser, se rapprocher du modèle dominant, perdre leur portée subversive. Aussi, quand cette période se termine dans les années 1970, la partie la plus militante du secteur est obligée de se réinventer face à un durcissement des conditions économiques et sociales et à la multiplication des politiques néolibérales.

La période contemporaine voit le renouveau d’un contexte de remise en cause des institutions en raison de défaillances du système néolibéral et de son manque de soutenabilité. Mais la période révèle aussi les difficultés, dans un contexte mondialisé où les cadres supranationaux de la finance et du commerce dominent la décision politique et économique, à construire des institutions spécifiques aux modèles alternatifs. Certains courants, comme celui des PTCE, font pourtant le pari de la proximité pour changer d’échelle sans compromettre leurs valeurs. D’autres, comme la Nef, proposent des formes de management sociales et solidaires. Mais une grande partie du secteur militant reste soit englué dans des dynamiques isomorphiques, soit adopte une stratégie de repli et peine à se développer, en dépit du fait qu’il ait une portée politique réelle.

En effet, les alternatives qu’elles proposent offrent un choix aux acteurs qui souhaiteraient s’inscrire dans des pratiques économiques en rupture avec le paradigme dominant, correspondant à des valeurs sociales et solidaires et ainsi maximiser leurs libertés effectives (Sen, 2000). De plus, ces structures pourraient être de formidables facteurs de résilience pour la société dans son ensemble si le modèle dominant actuel venait à s’effondrer, comme cela a été prédit par de nombreux économistes (Meadows, Meadows, Randers, 1972 et 2004). Pourtant, malgré le poids total conséquent que l’ESS a dans l’économie, les structures de la NES et particulièrement les structures militantes restent de petite taille et dispersées. En effet, « les trois quarts des établissements de l’ESS comptent moins de 10 salariés, ce qui peut donner l’image d’une économie exclusivement constituée de petites structures de proximité »187.

Pourtant, pour les acteurs de l’ESS militante, un changement d’échelle semble souhaitable pour atteindre les objectifs politiques subversifs qu’ils se sont fixés. Ils perçoivent l’isomorphisme comme un risque et souhaitent aujourd’hui trouver des voies de développement qui ne compromettent pas leurs valeurs ou leur message politique, dans un

187 Source : CNRES Rapport 2015. Il faut cependant remarquer que ce sont plutôt les grands groupes de l’ESS qui pèse dans

la gouvernance, puisqu’ils répondent davantage aux critères classiques de développement ayant cours dans les autres secteurs de l’économie. Pour citer à nouveau le CNCRES « ce sont les établissements de plus de 10 salariés qui concentrent près de 85 % des emplois ».

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contexte de crise économique et environnementale. Pour le moment, les organisations se cantonnent à une stratégie d’occupation de « niches » de besoins spécifiques dans lesquelles elles font preuve d’une forte efficacité sociale « étrangère à l’efficience économique » (Latouche, 2003, p.117). Cependant, ces niches manquent de profondeur et surtout de cohérence et d’articulation pour leur permettre d’avoir une vraie portée transformative. Pourtant, la myriade de propositions alternatives que ce chapitre a permis de présenter est unie par un riche héritage historique de convictions philosophiques. Ces valeurs et ces habitudes organisationnelles héritées de deux siècles de militantisme peuvent-elles constituer une base suffisamment solide pour atteindre des situations de coordination et d’accord entre les différentes structures (Boltanski, Thévenot, 1991, p.85) respectueuses de leurs particularités ? Bien que l’action des organisations de l’ESS ait des effets à long terme sur les valeurs portées au sein de la société et sur l’innovation tant économique que sociale, les formes de développement et de coordination classiques semblent inéluctablement mener à la normalisation, la récupération par le paradigme dominant et à l’émoussement de leur portée subversive. Aussi, semble-t-il nécessaire d’explorer des registres conventionnels alternatifs qui pourraient permettre la création d’institution et les rapprochements organisationnels. Une grande partie des discordes entre l’ESS militante et les autres secteurs de l’économie provient d’une mauvaise compréhension des dynamiques spécifiques qui y sont à l’œuvre. Cela est notamment dû au fait que les outils théoriques utilisés pour les étudier sont à l’origine créés pour le secteur lucratif et ne sont pas adaptés à la très forte hétérogénéité de motivations qui inspirent l’action au sein de la NES. Aussi, est-il nécessaire de choisir, parmi les différents courants d’analyse économique, des outils pertinents pour l’étude des dynamiques alternatives de proximité au sein de l’ESS et même de les adapter, si cela s’avère nécessaire. La partie 2 de ce travail de recherche permet de présenter ces outils théoriques appartenant aux courants hétérodoxes de l’économie et plus particulièrement à l’économie de la proximité, complétée par des incursions dans l’économie des conventions.

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Partie 2 : L’ESS vue par le prisme théorique de l’économie de la

proximité

La première partie de ce travail de thèse a révélé que l’ESS avait été, à travers l’histoire, très souvent banalisée, voire instrumentalisée, lorsqu’elle devait coopérer avec les autres secteurs économiques dans le but de se développer. Les structures les plus militantes, particulièrement celles faisant partie de la NES, ont subi ainsi le risque de devenir des outils de procédés de

greenwashing ou de socialwashing de la part d’entreprises lucratives ou de personnalités

politiques peu scrupuleuses et ne partageant pas réellement leurs convictions, ce qui a pu grandement compromettre la portée de leur action. Aujourd’hui, une autre caractéristique de l’ESS prête le flanc à des types d’exploitation similaires ; l’ancrage territorial des structures, et particulièrement des organisations alternatives. En effet, les structures publiques et privées s’orientent de plus en plus vers des logiques territorialisées (Raffestin, 1997, p.165), se voulant inclusives et respectueuses des particularités locales. Le vocabulaire usité est particulièrement révélateur, puisque les concepts de « proximité », de « développement local », de « décentralisation », de « projet », de « démocratie », de « contrat », etc. sont fréquemment mobilisés. Cette tendance amène à intégrer de plus en plus d’acteurs de la société civile, via des structures de l’ESS, dans les institutions de gouvernance économique locales, leur donnant ainsi une chance de peser sur les logiques de développement. Cependant, il semblerait que seules les organisations de l’ESS capables de s’adapter aux institutions préexistantes arrivent à se faire entendre ; une grande partie du secteur militant reste encore méconnu et les revendications qu’il porte n’ont encore qu’une portée de diffusion limitée.

Malgré leur volonté de participer à la gouvernance locale, certains courants alternatifs de l’ESS ne parviennent pas à s’imposer. Cela n’est cependant pas dû uniquement à une hostilité des autres secteurs envers leurs projets de transformation de l’économie et de la société. Souvent, il y a une réelle incapacité de ces partenaires potentiels à comprendre la multiplicité des logiques à l’œuvre au sein de l’ESS et à choisir les modalités de convergence qui leur seraient adaptées. Cela est sans doute lié au fait que les outils d’analyse économique à leur disposition ont principalement été créés pour comprendre les mécanismes du paradigme dominant. Les outils théoriques hétérodoxes et spécifiques au tiers secteur demeurent minoritaires, ce qui entrave la mise en place d’une économie réellement plurielle.

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Pour comprendre les dynamiques humaines à l’œuvre dans les organisations de la NES et dans les nouveaux mouvements alternatifs qui se développent en opposition au capitalisme libéral, il faut remettre en question plusieurs concepts théoriques de l’économie orthodoxe et faire un retour sur la place du courant économique hétérodoxe choisi comme cadre de cette étude. Le premier de ces concepts est celui de l’acteur parfaitement rationnel, également appelé homo economicus. En effet, cette figure centrale de la discipline scientifique doit être remise en question dans ce travail pour plusieurs raisons. Premièrement, étant donné le rapport ambivalent que l’ESS a entretenu avec le modèle économique dominant, l’analyse du secteur dans son ensemble requiert davantage une approche théorique hétérodoxe qui intègre la rationalité des acteurs dans les cadres institutionnels dans lesquels ils évoluent. Deuxièmement, les organisations sur lesquelles porte ce travail de recherche sont intrinsèquement ancrées dans un contexte territorial, ou, pour reprendre les mots de Gilly et Lung, dans le contexte d’un « territoire construit socialement » (in Demoustier, 2010, p.91). Certaines d’entre elles semblent former avec leur territoire un « couple allant de soi » (Pecqueur, Itçaina, 2012), tant elles ont été construites par le bas pour refléter certaines spécificités locales. Or, la prise en compte de l’encastrement des acteurs dans leur environnement (ressources disponibles, relations interpersonnelles) et dans les institutions conditionnant leurs arbitrages (règles, normes, valeurs) permet d’envisager la rationalité d’une manière différente. L’adoption d’un cadre théorique envisageant la rationalité comme limitée, ou plutôt située, permet une meilleure compréhension des motivations profondes de la diversité des comportements économiques. La figure de l’homo economicus cède la place à celle qu’Hassan Zaoual a qualifié d’homo situs (2005, p.66), bien plus adaptée aux analyses de la NES (Bidet, 2003, p.173) et des alternatives économiques. En somme, la volonté de ne pas trahir la portée subversive des objets de cette étude a dirigé le choix des outils théoriques vers l’analyse territoriale, hétérodoxe et institutionnaliste. Cette approche est d’autant plus pertinente qu’il avait été décidé de consacrer un volet important à la recherche de terrain, à l’étude empirique et aux analyses qualitatives.

Les courants hétérodoxes se sont d’ailleurs beaucoup développés après le tournant des années 1970. De la même façon que l’ESS subversive qui avait connu un renouvellement à la même époque, certaines branches de l’analyse économique ont rompu avec le mode de pensée néolibéral qui était alors en passe de régner sur la discipline économique autant que sur la décision politique. Incitée par la crise et le constat de l’insoutenabilité du système capitalistique d’accumulation, dénoncé dès 1972 par les travaux scientifiques du Club de

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Rome et le rapport Meadows, l’hétérodoxie a cherché, comme l’ESS, à proposer une vision alternative de l’économie.

Au sein de l’hétérodoxie, certaines branches de l’économie géographique (spatiale ou territoriale) se rencontrent et font état des processus d’uniformisation des valeurs, de

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