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Contrairement aux messages dominants et ceux des chercheurs dissidents qui ont des sources identifiées, les messages des masses sont émis par une multitude de sources anonymes. Il en

est de même de leurs destinataires. Schématiquement, il s’agit d’une situation de communication dans un marché africain. Il n’y a ni ordre, ni contrôle autant dans la forme que dans le contenu. A ce stade de l’observation, nous voulons nous limiter à identifier les messages sans référence ni aux sources encore moins aux destinataires.

A la différence des messages dominants, les messages des masses se caractérisent par une propension à définir le sida. Après analyse et recoupement, nous pouvons dégager les définitions suivantes :

• le sida est une invention

• le sida est une affection comme les autres

• le sida est une affection contrôlée par des forces occultes

Dans le premier cas, le terme inventé prend deux significations : inventé peut signifier imaginé, pour dire qu’il n’existe pas. C’est le cas du message qui dit : « le sida c’est le

syndrome inventé pour décourager les amoureux ». Inventé peut aussi vouloir dire : réalisé en

laboratoire, mis au point, conçu, etc. C’est le cas du message qui dit : « le sida est une

invention pour freiner les naissances en Afrique ». Cette dernière logique inscrit le sida dans

un enjeu géopolitique entre l’Occident (les Blancs) et l’Afrique. C’est dans cette logique que nous pouvons comprendre le message en anglais qui dit : « Aids is real, but man made

(laboratory) » (le sida est réel mais créé par l’homme en laboratoire).

Le deuxième type de message admet le sida comme une affection au même titre que les autres. C’est dans ce type que nous pouvons inscrire le message qui dit : « le sida est une

maladie très dangereuse qui tue les défenses de l’organisme. C’est une maladie qui attrape beaucoup plus les jeunes ». Il s’agit d’une reproduction des messages dominants.

Dans la logique du troisième type de messages dominés, le sida est une maladie contrôlée par les forces occultes (Dieu ou les sorciers). Plusieurs cas de figures se présentent ici :

• Une maladie paranormale mais maladie tout de même. Dans ce cas, le traitement n’est pas à rechercher dans les hôpitaux ou même par de simples décoctions de feuilles et autres infusions que savent concocter les tradipraticiens. Il faut recourir à des rites ou à des prières. C’est le cas du message qui dit : « Le sida est une maladie créée par

Dieu pour punir les vagabonds sexuels ».

• Une maladie mystique. Au Cameroun, il est généralement admis par une certaine opinion qu’on peut être affectée par certaines maladies qui résultent de l’action maléfique des sorciers. Ce type de maladie ne serait pas décelable par les examens de

laboratoire. C’est ainsi qu’on entend régulièrement des gens affirmer que telle maladie n’est pas "traitable à l’hôpital" mais exclusivement en médecine traditionnelle. L’on veut alors pour preuve d’une telle affirmation, le fait que les examens de laboratoire sont négatifs.

C- Messages sur l’origine du sida

La question de l’origine, a alimenté la communication sur le sida au milieu des années 80. Cependant l’examen des messages de notre corpus révèle une prise en charge déséquilibrée de ce thème entre les messages dominants et les messages dominés.

Les messages émis sur l’origine du sida font partie de ceux qui soulèvent le plus la controverse sur le thème de sida. De ce fait, ils sont révélateurs de la diversité d’opinions sur ce thème. Si les acteurs officiels semblent y avoir renoncé, les acteurs non officiels continuent à en émettre car l’origine apparaît comme un élément important dans la compréhension du phénomène sida. En effet, admettre par exemple que le sida est une ancienne affection qui n’a été découverte que tardivement atténue la gravité du risque. Cette perspective laisse croire que l’humanité pourrait continuer à vivre avec cette affection comme elle est supposée l’avoir toujours fait.

Par contre considérer que le sida est une affection nouvelle résultant de la mutation ou même de la « fabrication » d’un virus, signifie que l’humanité se trouve face à une menace nouvelle à laquelle elle n’est pas accoutumée. La peur de l’inconnu pourrait dans ce cas, accentuer la gravité du problème. La question de l’origine africaine du sida a soulevé des réactions affectives en Afrique, les Africains se sentant stigmatisés.

C.1- Incertitude des messages dominants

L’examen des messages du CNLS laisse apparaître une indifférence totale par rapport à l’origine du sida. En effet, aucun des quarante sept messages sélectionnés sur ceux listés par le professeur Jacques-Philippe TSALA TSALA n’aborde la question de l’origine de cette pandémie. On pourrait penser qu’il s’agit là d’un oubli ou d’une lacune involontaire mais le fait que le Comité National de Lutte contre le Sida ne voie le jour que deux décennies après la découverte du Sida, pourrait laisser penser qu’il s’agit plutôt d’un choix stratégique. Dans ce cas, les articles de Cameroon Tribune, le journal gouvernemental apparaissent comme une sorte de chronique qui laisse apparaître la traçabilité de la communication officielle sur le

sida. Toutefois, il faut signaler que Cameroon Tribune n’exprime pas uniquement que la voie officielle ou dominante. Certains de ses articles notamment les billets, expriment la position particulière de leurs rédacteurs. De même, les commentaires sur certains comptes-rendus sortent souvent de la logique dominante pour rentrer dans la contestation et épouser ainsi la logique dominée. Dans le même sens, certains articles des rédacteurs extérieurs sont régulièrement publiés, autant que les sondages du public sont effectués par la rédaction. En effet, dans l’édition du 3 janvier 1986, nous trouvons un article intitulé : La psychose du sida. Sous l’intertitre Errements nous lisons :

« Grâce à une manipulation flagrante et déplorable de l’opinion par l’information, le sida est présenté ici ou là comme provenant de l’Afrique. Les Occidentaux le localisent en Afrique centrale

notamment ».

Il s’agit d’un billet, c’est-à-dire un article d’opinion et non un compte-rendu qui se veut objectif parce que basé exclusivement sur des faits. Ici, ce billet conteste le discours dominant attribué non pas aux hommes de sciences ou chercheurs, mais aux Occidentaux. Cette typologie permet de réduire la pertinence des points de vue problématiques, en les sortant du registre de la science pour les localiser dans le registre géopolitique (Les occidentaux) ou racial (les Blancs).

Dans un autre article intitulé Première banque d’échange internationale pour les recherches, paru le 21 février 1987, on peut lire sous l’intertitre Le sida et l’Afrique :

« Cependant, le plus surprenant reste bien cette importance que les Occidentaux veulent accorder à l’expansion de la maladie en Afrique. Elle s’y répand et le nombre de victimes ne cesse de grandir pensent-ils. On se souvient que certains sont allés à affirmer que le sida serait né en Afrique. Nul ne sait encore à quel moment le Sida est apparu. Dans les pays industrialisés du Nord. Certains ont pointé du doigt Haïti puis le Zaïre, la République Centrafricaine et même l’Ouganda ».

Le ton de ces deux articles est visiblement à la querelle et n’épouse pas la position des officiels camerounais. Les articles de Cameroon Tribune, bien que rapportant régulièrement les données épidémiologiques des Etats-Unis d’Amérique, ne semblent pas affirmer clairement l’origine américaine de la pandémie, bien que les premiers cas y aient été diagnostiqués. L’article intitulé La psychose du sida évoqué plus haut s’achève par la phrase suivante : « Le Pr. Guy-Paul GARRIQUE, directeur du Centre Pasteur, annonçait la

découverte de 6 cas qui ne sauraient affoler la population. Ce qui lui a fait dire que "l’origine africaine du sida n’est qu’une hypothèse non démontrée" ». Un article de l’Agence France

Presse trouvé sur Internet et intitulé Médecine – SIDA : Origine du Sida, des chercheurs tordent le cou une théorie controversée, on peut lire en page 1 sur 2 :

« L’analyse profonde de ces données dans Nature confirme que le virus était présent de longue date dans cette région d’Afrique Centrale qui serait le berceau de l’épidémie. ».

Il s’agit là, au plan international, d’un discours dominant que les autorités nationales se réservent d’appuyer, laissant ainsi l’ouverture à la libre expression des rédacteurs de

Cameroon Tribune.

Bien que la fréquence des références à l’origine soit quantitativement faible, il n’en demeure pas moins évident que la question de l’origine du sida a soulevé des passions. Dans le dossier réalisé par Cameroon Tribune dans l’édition du 04 février 1988 figure un article intitulé Origine du SIDA : le virus n’est pas africain. Le texte qui suit dit :

« Deux chercheurs américains de l’Ecole de santé publique de Harvard qui avaient prétendu trouver un virus analogue à celui du SIDA sur les singes verts d’Afrique ont reconnu récemment qu’un tel virus n’a jamais existé. Cet aveu confirme que l’Afrique n’est pas le berceau de la terrible maladie ».

Il s’agit d’une information tirée de XINHUA (l’Agence Chine Nouvelle).

A travers cet article, il transparaît une volonté de Cameroon Tribune d’apporter la contradiction à ce qui pourtant au plan international, faisait partie du discours dominant. Dans le sous-titre Le petit lexique du sida de l’édition du 27 octobre 1989 on peut lire :

« Quelle est l’origine du sida ? L’origine du sida n’est pas connue. Au point de vue historique, les premiers cas de cette maladie ont été identifiés en juin 1981 aux Etats-Unis d’Amérique. Mais la maladie existait certainement plusieurs années avant qu’elle ne soit connue. Cependant, actuellement personne ne peut dire quand ni où la maladie a réellement commencé. »

Cette citation s’achève par une abstention qui caractérise le discours dominant au plan national par rapport à l’origine du sida.

Au total, les messages dominants relatifs à l’origine laissent apparaître un discours fluctuant. Au début des années 80 le sida est présenté comme une épidémie d’origine américaine ; par la suite, à la faveur de la découverte du virus présenté comme responsable de cette épidémie, l’origine du sida va se délocaliser pour se situer en Afrique. Les débats suscités par la question de l’origine ne permettent pas de trancher cette question et les acteurs de la logique vont opter pour l’abstention. Malgré cette abstention, les messages dominants auront laissé constant un discours qui affirme l’origine africaine du sida.

C.2- Polémique des messages dominés

Comme dans le cas de la définition, nous allons distinguer les messages dissidents (adeptes ou opposés à l’hypothèse virale du sida) et ceux des masses.

C.2.1- Les messages des dissidents adeptes de