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Nous avons relevé au chapitre précédent que de manière générale, les discours des masses considèrent le sida comme une affection liée à une sexualité a-morale. En effet, et c’est l’occasion de souligner qu’il ne s’agit pas, comme dans le cas des discours dominants, de partenaires sexuels multiples mais de « vagabondage » et de « mauvaise conduite ». Il faut remarquer ici que la polygamie n’est nullement mise en cause dans ces messages. De cette perspective générale, il résulte que les principaux groupes à risque sont les prostitués (vagabonds sexuels) et les homosexuels. Le problème n’est pas perçu dans une logique mécanique comme tenteraient de l’expliquer les discours dominants, c’est-à-dire que les virus du sujet infecté sont transmis au sujet sain à travers les sécrétions sexuelles pendant la

copulation. Tout se passe comme si la contraction est plutôt due à une action mystique indépendamment de l’état de santé des partenaires. Le message qui dit : « le sida est une

maladie créée par Dieu pour punir les vagabonds sexuels », autant que celui qui dit : « c’est une maladie due au péché (adultère et fornication). Toutes les méthodes de contraception de cette maladie ne valent pas les conseils que donne la Bible », sont sous tendus par la même

logique. Il ne s’agit pas de contamination c’est-à-dire de passage d’agents pathogènes (le vih) d’un sujet à un autre. Tout se passe plutôt comme si l’acte sexuel vagabond (adultère ou fornication) génère en lui-même la maladie qui, dès lors, affecte les deux partenaires « pécheurs ».

Le sida étant également perçu comme provenant de l’Occident, les discours des masses considèrent par conséquent comme groupe à risque, les personnes qui ont des rapports sexuels avec les Blancs. Là aussi le facteur racial semble s’inscrire dans le même registre moral, les Blancs étant perçus comme ceux qui entretiennent des pratiques sexuelles perverses (homosexualité, zoophilie, sodomie, etc.). En nous référant aux messages qui disent que les condoms et les instruments de prélèvement du sang viennent déjà infectés, il apparaît que les personnes qui utilisent les condoms et celles qui se font souvent prélever le sang sont autant de groupes à risque. La logique à la base de ces messages est construite sur l’idée que l’Occident nourrit des projets géopolitiques visant à maintenir l’Afrique dans le sous- peuplement et le sous-développement. La contamination des condoms et des aiguilles de prélèvement du sang viserait, dans ce cas, à réduire la population africaine.

Il est également à souligner qu’au-delà de l’homosexualité proprement dite, certains des documents tirés sur Internet expliquent que le rapport sexuel anal est un facteur de risque. Ces documents qui considèrent le sida comme une maladie non infectieuse, avancent comme argument que, le rapport sexuel anal (la sodomie) qu’il soit pratiqué dans une relation homo ou hétérosexuelle, perturbe le fonctionnement du tube digestif. Cette perturbation a pour conséquence la mauvaise assimilation des aliments et l’organisme affecté se retrouve dans une situation de sous alimentation. Par rapport à cette approche, les malnutris, les personnes régulièrement infectées et non ou mal soignées, les personnes régulièrement sodomisées, les droguées, les stressées, les personnes qui prennent les antibiotiques de manière chronique, celles qui se font régulièrement transfuser le sang constituent autant de groupes à risque. Cette dernière perspective fait du sida une maladie de la pauvreté, une maladie du mal être. Nous avons par ailleurs relevé que certains discours des masses considèrent que le sida est une affection qui relève de Dieu ou des sorciers. Dans ce sens, sa propagation ne dépend pas

d’un certain nombre de comportements sociaux à risque, à moins de considérer que le fait d’avoir des ennemis sorciers en est un.

En général, les discours des masses apparaissent prolixes par rapport à l’épidémiologie du sida. Ils laissent percevoir le sida tantôt comme une maladie d’origine anthropique et servant des causes géopolitiques, tantôt comme une maladie surnaturelle destinée soit à punir les pervers sexuels soit à régler des comptes aux ennemis des sorciers, tantôt enfin comme le résultat du stress, de la malnutrition, des transfusions sanguines répétées, ou de la prise chronique des antibiotiques. Il ne s’agit pas d’une évolution chronologique de la perception du sida par les publics mais plutôt d’une perception plurielle de cette affection par un public hétérogène.

D- Par rapport a la lutte

Si les discours relatifs à la définition, à l’origine et à l’épidémiologie varient d’une période à une autre, il va de soi que les messages portant sur la lutte et particulièrement sur la prévention changent en conséquence. Il nous est apparu que la perception n’est pas toujours la même entre les discours dominants et les discours dominés par rapport à ces trois premiers thèmes. En serait-il autrement pour le cas de la prévention.

D.1- Les discours dominants : de la prévention à la prise en

charge

Les discours de prévention dépendent de la perception des causes et de l’épidémiologie de l’affection. Or les discours dominants au départ considèrent le sida comme une affection incurable et terriblement mortelle. Par la suite, avec la découverte de l’agent pathogène, le vih, la logique d’une prise en charge voit le jour et de plus en plus, il est affirmé qu’on ne devrait plus mourir de sida si on découvre tôt sa contamination et si on accepte de prendre les médicaments. De ces différentes perceptions, découlent logiquement des perspectives différentes de prévention.