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Les procédures d’énonciation

B- Le sermon ou prêche

C.2- Image cinématographique

Par définition, une image cinématographique est une image obtenue ou enregistrée par procédée photographique mais dont on obtient une vue animée (en mouvement). L’image télévisuelle par contre se distingue par le procédé qui permet la transmission à distance des images instantanées d’objets fixes ou en mouvement.

La nuance entre l’image cinématographique repose et l’image télévisuelle repose sur les principes d’enregistrement et de projection d’une part et d’autre par sur le fait que le cinéma propose une image « historique » alors que la télévision offre une image actuelle. Ces nuances qui relèvent plutôt de l’ordre de l’analyse se dissolvent au plan purement visuel. Dans un cas comme dans l’autre on a à la fois des images fixes et de images animées.

D’aucuns, partant de cette similitude, n’ont perçu la nuance que sur la dimension de l’écran de projection et l’on a parlé du petit écran pour dire télévision et grand écran pour évoquer le cinéma. Aujourd’hui, l’interférence entre les deux systèmes se prête beaucoup plus à l’assimilation qu’à la nuance. En effet, la télévision dans son fonctionnement, a intégré le cinéma ; les films cinématographiques sont régulièrement « projetés », ou diffusé en télévision. De même, avec le système d’enregistrement numérique de l’image, des films

cinématographiques sont réalisés avec les procédés de la télévision. Certaines productions télévisuelles telles que les documentaires sont en réalité des produits cinématographiques. Partant de ces rapprochements, nous entendrons par image cinématographique par référence à l’étymologie grecque « kinêma » (mouvement) toute image en mouvement qu’elle soit obtenue par procédé cinématographique ou télévisuel. A ce titre nous assimilerons aussi par extension les diapositives qui sont des images figées mais projetées par la méthode cinématographique ou retransmises en télévision.

La thématique du sida a trouvé un terreau fertile en télévision et dans le cinéma au Cameroun. Face au doute qui a caractérisé la réception de la sensibilisation du départ, la télévision a opté pour une argumentation par l’image. Des reportages ont régulièrement accompagné toutes les activités des pouvoirs publics relatives au sida (séminaires, campagnes de dépistage volontaire, équipement des établissements hospitaliers en matériels de test ou de prise en charge, etc.) ; des malades sous anonymat étaient montrés. Ces images étaient souvent soutenues par des interviews des médecins et parfois des malades. Avec le temps, les témoins ont commencé à être présentés à visage découvert.

Parallèlement aux images télévisuelles, le cinéma camerounais a, lui aussi, proposé des images sur le sida. Certes, la production cinématographique camerounaise est faible mais les images cinématographiques abordant le thème du sida ne sont pas absentes. L’artiste Dave K.

MOKTOÏ est l’un des réalisateurs qui ont porté le thème sida sur l’Ecran à travers son film Sugar Dady réalisé en support vidéo.

En nous référant à Martine JOLY (op.cit) il nous apparaît que bien plus que l’image fixe, l’image en mouvement, parce qu’elle ajoute l’effet du mouvement est beaucoup plus persuasive encore. Par ailleurs, elle réduit la polysémie de l’image fixe par adjonction du mouvement qui est lui aussi un langage. Bien plus, les commentaires des journalistes et les interviews d’appui des malades ou médecins, constituent autant d’amplificateurs de l’influence de l’image cinématographique.

Au-delà des films centrés sur la thématique du sida, beaucoup d’autres productions télévisuelles ou cinématographiques au Cameroun abordent, de manière partielle, le problème du sida. Toutes ces productions s’appuient sur la logique dominante. La plupart de ces réalisations ont bénéficié des appuis des institutions de la logique dominante, soit en termes d’aide à la production, soit comme récompense à une compétition pour laquelle elles ont souvent été produites. Sugar Dady de Dave K. MOKTOÏ est dans ce sens une œuvre primée.

Sur la pochette de la cassette de son film on peut lire : « …Dave K. MOCTOÏ, lauréat d’un

prestigieux Award au Remember Africa Cultural Festival of New York 2001 … »

D- La gestuelle

Par gestuelle, nous voulons entendre : l’ensemble des gestes expressifs utilisés dans la communication. A ce titre, les gestes prennent la valeur de signe. Car ils sont porteurs de signification. Les gestes, en tant que signes, sont des conventions au même titre que les mots. Il s’agit des codes qui doivent être maîtrisés autant par l’émetteur que par le récepteur. Certains de ces gestes ont une portée universelle tandis que d’autres sont plus limités a des cultures restreintes. Ainsi le geste du bras tendu avec les doigts qui se referment une ou plusieurs fois sur la paume de la main signifie « viens » dans presque toutes les cultures du monde. Cependant, le hochement de tête peut avoir une signification contraire quand on passe de la culture Boschiman à celles des Bantous voisins en Afrique Australe. Ce cas est assez bien montré dans le film intitulé les dieux sont tombés sur la tête. A la question du juge « reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? » le héros du film un Boschiman qui ne parle et ne comprend pas l’anglais répond après traduction par un hochement de tête de haut en bas pour dire « non » mais le juge interprète ce geste par « oui ».

Cet exemple soulève le problème de la polysémie des gestes malgré les conventions. Il en est de même des gestes non intentionnels mais qui sont décodés par les récepteurs comme porteurs de messages. Lors de l’une de ses allocutions télévisée le président Paul BIYA, faisant allusion aux sacrifices consentis par les fonctionnaires et autres agents de l’Etat après les mesures imposées par le plan l’ajustement structurel, a dit :

« Voici le moment est venu de récolter les fruits ».

Le disant, il accompagnait sa parole d’un mouvement de mains réunies qu’il a ouvertes par la suite. Ce geste dans certaines cultures camerounaises (si non toutes) signifie « il n’y a rien ». Ainsi, on s’est retrouvé dans une situation où oralement le Président disait une chose alors que le geste disait le contraire. Ce cas de figure est régulier dans nombre de situations de communication. A cet effet, Daniel BOUGNOUX estime que les messages : « Sont

polyphoniques, envoyés sur plusieurs canaux ou selon plusieurs codes à la fois, ce qui les garantit contre le bruit, l’entropie ou la perte d’information durant le voyage » (2001, 25).

Une concordance symbolique est nécessaire entre ces différents canaux et ses différents codes pour que le message soit protégé contre le bruit. En effet, une contradiction symbolique peut être génératrice de bruits. Plus loin, il poursuit :

« Normalement, ces signaux analogiques, c’est-à-dire moins codés que ceux de la langue (…), sont redondants par rapport au message verbal : la relation corporelle ou visuelle de nos gestes prépare, soutient et achemine le contenu verbal du message ; la marge (du comportement analogique) cadre le texte (de l’énoncé digital) et le confirme. Mais ce qui converge dans une transmission saine peut toujours se mettre à diverger» (2001, 25)

La gestuelle est abondamment utilisée dans le cadre de la communication sur le sida au Cameroun. Elle ne constitue pas une procédure spécifique d’énonciation mais elle se retrouve dans toutes les procédures à la fois. En effet, la gestuelle se retrouve dans des procédures orales telles que l’allocution, le dialogue, le prêche ou sermon. De même, la gestuelle se retrouve dans le théâtre, et le cinéma. Elle y intervient comme un additif aux codes oral et visuel. Certains orateurs auraient de la peine à exprimer leurs idées s’il leur était interdit de faire des gestes dans leur expression. La seule expression du visage exprime assez explicitement le sentiment d’une personne.

La sensibilisation sur l’usage du préservatif comme méthode de prévention du sida à connu beaucoup d’obstacles selon les communicateurs engagés dans cette opération parce qu’une certaine partie du public ne comprenait pas comment des préservatifs qu’on leur donnait sous forme de pastilles pourraient prévenir le sida. Il a fallu passer par la démonstration de l’usage du préservatif, la démonstration permettait de rompre plus facilement les tabous que ne l’aurait permis les mots. Il était plus aisé aux vulgarisateurs d’utiliser un phallus artificiel que d’en parler de manière descriptive. Dans le vieux nègre et la médaille, Ferdinand Léopold

OYONO montre les limites de la communication verbale souvent censurée par une certaine

pudeur que seule la gestuelle parvient à contourner aisément. Le catéchiste, pour faire la cour à une femme, évite de décrire ce qu’il veut, parce que, prétend-t-il, sa bouche est sacrée. Pour contourner la difficulté et éviter que sa bouche sacrée ne prononce de mots obscènes, il dit :

« celui-ci veut celle-là ». En le disant il accompagnait la parole d’un geste du doigt montrant

les emplacements des objets ou mieux des parties de l’anatomie ainsi désignées.

En somme, dans un contexte comme celui de la culture camerounaise où la pudeur est assez forte et le vocabulaire pauvre, la gestuelle apparaît comme une procédure énonciative importante.

E- La musique

La musique est intervenue assez tôt dans la communication sur le sida en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Hilarion NGUEMA le Gabonais et Alpha BLONDY l’Ivoirien sont les deux artistes africains qui vont marquer d’un sceau rouge le milieu des années 80. Il s’agit des deux compositions musicales les plus diffusées et les plus appréciées par le public camerounais. Les artistes camerounais prendront le relais avec un succès moins éclatant. Certaines de ces compositions évoquent clairement le thème du sida d’autres n’abordent que certains aspect de ce thème.

Au Cameroun, le milieu des années 80 marque en même temps l’arrivée du sida comme problème de santé ou mieux problème social et une focalisation des artistes musiciens sur la sexualité. A l’exception de quelques uns, la majeure partie des musiciens camerounais évoque le sexe dans leurs chansons. Le professeur Gervais MENDOZE alors directeur général de la CRTV va qualifier cette tendance de « déviances ». Le professeur Hubert MONO

NDZANA, philosophe et enseignant à l’université de Yaoundé I parlera « des chansons de

Sodome et Gomorrhe » en référence aux deux villes bibliques détruites par le feu de Dieu, du fait de leur sexualité excessive et déviante.

Du fait de la tendance à la sexualité, les chansons camerounaises vont aisément évoquer l’usage du condom, d’autres vont se contenter d’évoquer les modes de transmission du sida tels que dictés par les discours dominants. Toutefois, contrairement à l’allocution, au prêche ou sermon, l’image ou au théâtre qui ont épousé presque fidèlement le discours dominant, la musique a relayé à la fois le discours dominant et les discours dominés. En effet, si Alpha

BLONDY en chantant « sida, le sida est là, sida, le sida tue » épouse la logique dominante

de l’époque, le Gabonais Hilarion NGUEMA, après avoir défini le sida comme « le mal du

siècle maladie d’amour, maladie du sexe » « le mal du siècle, maladie d’amour, maladie du sang » poursuit en disant que dans tous les cas, on finit par mourir de quelque chose. Si on ne

meurt pas de sida, on mourra d’accident ou de n’importe quoi. Il y a là, dans la même chanson, un discours contradictoire : la définition du sida donnée en début de la chanson rentre dans la logique dominante alors que la suite de la chanson épouse les discours dominés. Plusieurs chansons camerounaises suivent la même logique libérale.

Au-delà des musiques librement inspirées et composées sans prescription, plusieurs chansons ont été composées à la commande des autorités publiques en charge de la lutte contre le sida. Il s’agit, d’une part des spots : le cas de celui qui, au milieu des années 80 disait. « Le sida ne

pardonne pas » d’autre part, il s’agit des concours de musiques. Dans son édition du 09 juin

1987, Cameroon tribune publie un dossier intitulé : le gala de la meilleure chanson sur le sida. Il ressort de cet article que dix sept candidatures ont été retenues pour ce concours. S’il est vrai que seules trois de ces compositions ont été primées, l’on remarque tout de même que les quatorze autres chansons n’ont pas été interdites, elles ont d’une manière ou d’une autre été diffusées et écoutées. La stratégie des compétitions a permis la composition de plusieurs morceaux de musique sur le sida.

Les primes accordées aux chansons gagnantes des concours ont donné l’impression aux artistes que toute belle chanson sur le thème du sida peut rapporter de l’argent. Cette idée est soutenue par l’opulence affichée par les autorités en charge de la lutte contre le sida et les responsables des ONG œuvrant dans ce secteur. La musique est ainsi apparue comme une des procédures d’énonciation qui ont contribué à rendre les discours sur le sida accessibles aux masses. Toutefois, parce qu’il s’agit en fin de compte de la création des artistes, que cette création soit librement inspirée ou orientée par une commande, la musique comme procédure d’énonciation contribué à véhiculer aussi bien des discours dominants que les discours dominés.

Si les autorités en charge de la lutte contre le sida ont eu recours à la musique, c’est sûrement parce qu’elles considèrent ce mode d’expression comme suffisamment efficace pour véhiculer les messages qu’elles ont pour mission de faire passer dans l’opinion.

En somme, les différentes procédures d’énonciation ci-dessus abordées contribuent, chacune à sa manière, à façonner la perception que les différents publics ont du sida au Cameroun. L’allocution, parce qu’elle rentre dans le rituel du pouvoir fait admettre pour vrai, ce que l’allocuteur a déclaré. Dans une allocution à la nation, le président camerounais Paul BIYA disait: « la vérité vient d’en haut ». Le disant, le président camerounais faisait admettre à ses compatriotes que la vérité est liée au pouvoir (le haut). Le prêche ou sermon (selon la confession religieuse concernée), procède du même principe de pouvoir. Ici c’est le pouvoir sacré, le pouvoir divin qui est évoqué. A ce titre, le prêche ou sermon fait appel à la foi, donc à l’obéissance. L’image, (qu’elle soit fixe ou en mouvement), du fait de l’identification, ou de la vraisemblance, a une force de persuasion que lui contestent peu d’autres procédures d’énonciation. Dans le cas de la lutte contre le sida, le discours officiel, en lui accolant des textes d’accompagnement grâce aux interviews et autres commentaires de journalistes, a renforcé cette capacité de persuasion de l’image. Enfin, le théâtre et la musique permettent la simplification des discours savants pour les rendre accessibles aux masses. Par ailleurs, l’effet

de mémoire, propre à ces arts, favorise la fixation des idées et construit les convictions que les uns et les autres ont sur le sida.

Chapitre II.