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Le constat fait sur les postures d’énonciation nous pousse à observer à la fois les sources c’est-à-dire les énonciateurs de discours et les destinataires présumés de ces discours. Présumés, parce que les messages recensés dans notre corpus n’ont pas été, du moins en ce qui concerne les messages dominants, prélevés dans une interaction discursive directe. Il n’y a eu que quelques rares cas de face à face, recensés dans des situations de dialogue. Ces dialogues rentrent cependant dans le cadre de la logique dominée. Toutefois, dans le cas spécifique de la logique dominante, la diversité des sources ne nous permet pas d’effectuer une analyse pertinente, ces différentes sources partageant les mêmes vues. D’ailleurs l’existence d’une structure d’harmonisation des messages de cette logique (le CNLS) le

confirme. Ceci étant, nous n’observerons, à ce stade, que les destinataires présumés des messages dominants.

A l’examen des deux cent vingt cinq messages du CNLS compilés par le professeur Jacques-

Philippe TSALA TSALA, aucun ne définit de manière claire ce qu’est le sida. Il s’agit

pourtant des messages officiels c’est-à-dire, ceux émis par des acteurs qui revendiquent la légitimité et même la compétence exclusives sur le sida. De ce fait, ces messages rentrent dans la catégorie des messages dominants. Trois de ces deux cent vingt cinq messages tentent de définir le sida dans une approche métonymique, une approche qui caractérise d’ailleurs une bonne partie des messages du CNLS. Ces trois messages présentent le sida tantôt, dans une perspective conflictuelle, comme un ennemi ; tantôt, dans une perspective dynamique, comme une destination. Ces trois messages sont les suivants :

1. Le sida est une destination pour laquelle on ne délivre que des billets Aller simple. Faisons un autre choix.

2. Un ennemi est dans notre communauté : le sida, combattons-le pour vaincre. 3. Vih/sida, ennemi n°1 de la jeunesse.

Il apparaît cependant que certains autres messages du Comité National de Lutte contre le Sida procèdent par l’absurde et préfèrent dire ce que le sida n’est pas. Nous en avons également identifié trois :

1. Le sida n’est ni la sorcellerie, ni la magie, mais l’ennemi à combattre. 2. Le sida n’est pas un kongossa, le sida est parmi nous, évitons-le. 3. Le sida n’est pas une fatalité, tendons les bras aux malades.

Ces messages dévoilent une contradiction à d’autres messages dont il faut forcément rechercher la source vers les messages dominés. En effet, le message qui dit : « le sida n’est

ni la sorcellerie, ni la magie » laisse déjà entrevoir que quelque part il est affirmé que le sida

est la sorcellerie ou la magie. De même, celui qui dit : « le sida n’est pas un kongossa… », laisse apparaître qu’en amont il y a un message qui affirme que le sida est un cancan, le camerounisme kongossa signifiant cancan, invention bref, une histoire sans fondement. Enfin, le troisième message, en annonçant que le sida n’est pas une fatalité laisse percevoir qu’à l’opposé, un autre type de message affirme que le sida est une fatalité. De toute évidence, les messages du CNLS ne permettent pas de dire avec précision ce qu’est le sida. Cette lacune nous amène à examiner d’autres messages officiels, ceux-là repérés dans Cameroon Tribune, le journal gouvernemental. Il s’agit des comptes-rendus des réunions de sensibilisations tenues par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au milieu des années 80 en Afrique.

Les articles parlant du sida dans Cameroon Tribune au cours des années 80 s’inscrivent en général dans la logique des messages du CNLS, à la seule différence qu’ils parviennent au moins à traduire ce qui était encore un sigle. Ainsi, dans Cameroon Tribune SIDA s’accompagne toujours de l’explication « syndrome immunodéficitaire acquis ». Tout au plus, certains autres l’associent à un virus ; dans ce cas on parle de virus du sida. Le plus explicite est celui paru dans l’édition du 17 novembre 1986 dans la rubrique « société ». Cet article est intitulé : Le directeur régional de l’OMS préside une réunion sur le sida. On peut y lire :

« Il [le professeur Gottlieb Lobe MONEKOSSO] a passé en revue les données de base de la maladie, telles que nous les connaissons actuellement, notamment la transmission horizontale par voies sanguine, sexuelle et sa prolifération parmi les deux groupes à haut risque pour les homosexuels et les toxicomanes ».

Cet article à l’avantage de présenter en une seule phrase l’essentiel des éléments définitionnels convoqués de manière parcellaire dans les autres articles. L’on peut ainsi retenir que le sida est le syndrome immunodéficitaire acquis, causé par un virus et transmis par le sang et par le sexe, surtout aux homosexuels et aux toxicomanes. Cet effort d’explication transparaît à nouveau dans un dossier réalisé dans l’édition du 27 octobre 1989. Un article de ce dossier, intitulé « Le petit lexique du sida » explique point par point : la définition, l’origine, les symptômes, l’étiologie, l’épidémiologie et les méthodes de lutte. Concernant la définition on peut y lire :

« Le SIDA est une abréviation qui signifie Syndrome d’Immunodéficience Acquise. Un syndrome est un ensemble des symptômes ou des signes d’une maladie.

Immunodéficitaire signifie : diminution de la capacité de se défendre contre certains microbes. Le SIDA détruit le système de défense de l’organisme. Une fois que ce système est détruit ou affaibli, il apparaît des maladies de tout genre, c’est ce qu’on appelle infections opportunistes (la tuberculose, la candidose…) ».

Cet effort de clarification, peut se justifier au regard du manque de clarté des articles précédents. En effet, dans un article intitulé Informations de base concernant le sida, publié dans l’édition du 04 février 1988, on peut lire : « Le sida est une maladie mortelle dont on ne

peut pas guérir ». Dans cet article, le journal ne met pas un accent particulier sur la définition

du sida.

La majorité des articles parus dans Cameroon Tribune et portant sur le sida mettent surtout l’accent sur l’épidémiologie et la lutte. Tout comme avec les messages du CNLS, nous retrouvons une dominance de la logique de lutte. Les articles de Cameroon Tribune circonscrivent cette lutte dans les milieux homosexuels, toxicomanes et féminins. Les

messages du CNLS par contre inscrivent la lutte dans l’espace communautaire et chez les jeunes. Dans le fond, la logique reste la même, celle de la mobilisation des différentes catégories sociales pour la lutte. Il s’en dégage en substance que le sida est à combattre en dépit de l’imprécision des connaissances disponibles sur ce sujet. Il importe de relever ici que cette logique prend corps au milieu des années 80. C’est du moins ainsi qu’elle nous est apparue dans les articles de Cameroon Tribune. Elle s’étoffe au début des années 2000, le CNLS étant créé le 23 novembre 2001.

Au-delà de la logique de lutte, les messages du CNLS font également appel à la logique du mouvement (voyage). Il s’agit d’une image qui puise dans la pensée africaine. En effet, dans plusieurs cultures africaines la mort est présentée comme un voyage. Chez les Béti (Cameroun), il s’agit du voyage au pays des « bekon » que nous pouvons traduire par fantômes. C’est un voyage de non retour. L’on comprend alors le message qui dit : « le sida

est une destination pour laquelle on ne délivre que les billets ALLER simple ». Par ailleurs,

les messages dominants se structurent aussi par la contradiction à d’autres types de messages non apparents ici.

Il apparaît au total que les messages dominants renoncent à définir de manière précise le sida. Au plan symbolique, ils identifient le sida à un ennemi invisible qu’il faut éviter. Faute des messages qui définissent avec précision le sida, il devient inutile de rechercher les sources et les destinataires. Qu’en est-il des messages dominés c’est-à-dire ceux opposés aux messages dominants ?

B.2- Polyphonie des messages dominés

A la différence des messages dominants qui sont harmonisés et contrôlés, les messages dominés proviennent de différentes sources incontrôlées. Parce qu’ils ne sont pas contrôlés, ces messages vont dans diverses directions. Dans ce cas, il nous semble nécessaire d’identifier les sources et les destinataires éventuels de ces messages. Par rapport aux sources, certains articles retrouvés sur Internet parlent de « chercheurs dissidents ». Nous avons remarqué que ces derniers peuvent se regrouper en deux types : les dissidents adeptes de l’hypothèse virale et ceux qui y sont opposés. Il ne s’agit pas, à proprement parler, des acteurs camerounais. En effet, nous avons relevé (Messanga Obama op.cit) que les discours des acteurs internationaux sont reçus et même repris par les acteurs camerounais. Il serait difficile de comprendre le fonctionnement de la communication sociale sur le sida au Cameroun sans tenir compte de ces types d’acteurs. En plus de ces deux types de sources, nous pouvons

également évoquer les acteurs individuels composant ce que nous appellerons les masses. Nous parlerons de masses parce qu’il arrive que plusieurs acteurs individuels partagent un même point de vue ; étant donné qu’il s’agit des acteurs anonymes, ils ne peuvent s’identifier que par rapport à leur opinion.

B.2.1- Les messages des dissidents adeptes de