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Les messages dominants sont élaborés de manière systématique sous la coordination d’une structure spécialisée commise à cet effet (le CNLS). Dans ce sens, les messages du CNLS sont pensés, émis puis évalués. Ce principe permet d’envisager les changements relevés précédemment. Les messages des masses par contre ne sont pas conçus dans un cadre structuré. Ils sont émis de manière isolée par chacun des émetteurs sans souci affiché d’évaluation ou de réajustement volontaire. Toutefois, comme nous l’avons relevé plus haut, le caractère polémiste des messages dominés les amène, d’une certaine manière, à s’arrimer aux messages dominants. Dans ce sens, les messages dominés sont amenés à emprunter les concepts créés et servis dans l’espace de communication par les messages dominants. Ainsi,

nous pouvons remarquer que c’est le vocable sida qui est utilisé dans le message qui dit : « le

préservatif n’est pas un moyen pour éviter le sida… », alors que c’est le terme virus du sida

qui est utilisé dans un autre, presque similaire : « La protection du condom n’est pas

suffisante : le condom a des pores à travers lesquels les virus du sida peuvent passer ».

Mieux, dans un troisième, c’est le nom vih qui est convoqué ; c’est celui qui dit : « le rapport

sexuel doit être préparé pour éviter les lésions par lesquelles le vih passe ». Il y a là toute la

progression sémantique observée par rapport au discours dominant.

Il reste cependant constant que, malgré la variation des termes référés pour parler du sida, la conception que les émetteurs ont de cette affection reste celle relevée dans le premier chapitre à savoir : une invention, une maladie « comme une autre » ou une maladie mystique. Il ne s’agit pas, contrairement aux messages officiels, des étapes conceptuelles mais plutôt des catégories de conception dans un même temps et dans le même espace. En effet il n’y a pas eu une période au cours de laquelle les messages des masses considèrent le sida comme une invention, et d’autres périodes où ces messages conçoivent cette affection comme une maladie ordinaire ou comme une maladie mystique. Toutes ces idées sont émises au même moment par des acteurs différents. Toute fois, le sondage réalisé en Juin 2007 laisse apparaître de plus en plus de doutes et d’interrogations par rapport à la définition du sida. A la question : « pour vous, qu’est-ce que le sida ? » Un sondé répond : « Tout porte à croire que

comme le stipule l’opinion publique, c’est une maladie comparable à une machine à sous où les acteurs ne veulent pas couper le robinet ».

Cette réponse présente un double intérêt : d’une part, elle donne l’opinion du répondant et d’autre part, elle montre que cette opinion est partagée par la catégorie que ce dernier appelle « opinion publique ». En effet, ce répondant démontre par là qu’il a déjà entendu d’autres personnes dire la même chose. Certes, il y a là la même idée d’invention ou d’affabulation, mais cette idée se complète avec la précision apportée sur la motivation de ceux qui inventent cette affection. (« les acteurs »). Par rapport à la même question, un autre répondant dit : « c’est une pandémie qui mérite d’être clarifiée. C’est une grosse machine à sous ». La référence à une machine à sous traduit l’idée selon laquelle, les personnes en charge de la lutte contre le sida gagnent beaucoup d’argent.

A la suspicion exprimée déjà dans la réponse précédente, ce répondant ajoute le doute et l’insatisfaction. En déclarant : « c’est une pandémie qui mérite d’être clarifiée… », il laisse entendre que le discours actuel sur le sida n’est pas clair pour lui. Cette insatisfaction apparaît de manière un peu plus claire sur un autre message relatif, celui-là, à l’épidémiologie et qui

dit : « Pourquoi les piqûres des moustiques ne transmettent-elles pas le sida ? » Nous y reviendrons dans la section consacrée à l’épidémiologie.

Un autre répondant bien plus énigmatique dit : « une maladie idéologique que chacun peut

éviter ou attraper. Elle est incontrôlable » Nous serions passés sur ce message si nous ne

prêtions pas attention au niveau intellectuel du répondant. Il s’agit d’un étudiant de 29 ans qui, à la question « que pensez-vous du sida ? », dit : « C’est une maladie expressément

conçue en laboratoire pour créer des entreprises ». Il apparaît que ce répondant appartient à

la catégorie de ceux qui pensent que le sida est une invention. Invention ici est entendue à la fois comme imagination et comme fabrication en laboratoire. En d’autres termes, l’idée finalement émise est une synthèse de positions fondamentalement contradictoires. En effet, si le sida est une imagination, il est immatériel et inexistant physiquement. Par contre s’il est « expressément conçu en laboratoire » c’est qu’il a une existence physique d’où l’idée de création des entreprises. Il s’agit ici pensons-nous des entreprises de production et de distribution des tests, des condoms et des médicaments (trithérapie). Une telle synthèse ne peut traduire que la confusion qui continue de caractériser la communication sur le sida. Signalons enfin cet autre répondant qui dit : « c’est une maladie qui résulte de l’assemblage

de plusieurs IST ». Il s’agit en réalité d’une conception nouvelle, celle qui admet que le sida

n’est pas une entité en soi mais l’effet cumulé ou additionnel de différentes infections sexuellement transmissibles.

En somme, la variation des messages dominés relatifs à la définition du sida, loin de traduire des changements conceptuels, caractérise plutôt des types particuliers de conception du sida. Ces types de conception ne semblent pas beaucoup varier malgré l’adoption des noms qui traduisent une dynamique conceptuelle des messages dominants.

B- Par rapport aux origines du sida

La controverse observée précédemment sur l’origine du sida est révélatrice du caractère dynamique de la communication sur cette affection. Cependant, contrairement aux messages portant sur la définition qui, eux, expriment clairement cette dynamique, l’autocensure des messages dominants donne l’impression que la pensée est restée constante par rapport à ce thème.

B.1- Dynamique sournoise des discours dominants

Les discours dominants semblent s’être volontairement soustraits des débats portant sur l’origine du sida. Malgré le mutisme ainsi affiché, nous ne pouvons ne pas relever que certains acteurs de la controverse sur l’origine du sida font partie de la logique dominante. Le Pr. Guy-Paul GARRIQUE, le directeur du Centre Pasteur de Yaoundé, Simon WAIN

HOBSON et Béatrice HANN en sont des exemples.