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L’autorité religieuse intervient en deuxième ressort dans la désignation, la nomination et l’instauration du sida comme objet. En effet, comme nous venons de le voir, ce sont les sciences médicales qui ont assemblé en première instance : les symptômes, certaines caractéristiques sociales et les données immunologiques des patients, pour constituer l’objet sida. Toutefois, l’action des sciences médicales s’est retrouvée encadrée par la morale religieuse. Entre multiples caractéristiques de la vie humaine, l’attention des médecins s’est focalisée sur celles qui sont condamnées par la morale religieuse. En effet, l’homosexualité, la toxicomanie et la prostitution qui sont les critères explicatifs de la nouvelle maladie, sont présentées par les principales religions monothéistes comme des péchés, c’est-à-dire les infractions à la volonté divine.

L’homosexualité est le principal péché reproché aux habitants de Sodome et Gomorrhe dans la Bible (Genèse 19 : 4-5). Le même péché se retrouve à Guibéa, une ville Benjamite (Juges 19 : 22). Dans un cas comme dans l’autre, ce péché a entraîné une destruction massive du peuple. Ce fut la destruction des deux villes jumelles par le feu et le souffre descendus du ciel, alors que dans le cas de Guibéa les Benjamites furent presqu’exterminés par le reste de leurs frères israélites. L’acte par lequel un homme s’accouple avec un autre homme ou avec une femme par la voie anale porte désormais le nom de sodomie par référence à Sodome. Au total, il reste attaché à la sodomie ou à l’homosexualité, la peur de la destruction massive. L’Islam aussi considère l’homosexualité comme une abomination.

Avec la convocation de l’homosexualité dans l’explication de ce qui n’est encore qu’une nouvelle maladie, juste caractérisée scientifiquement par l’immunodéficience, le sida bascule dans le domaine de la morale fortement influencé par l’autorité religieuse. Ce basculement dans la morale va s’accentuer à mesure que les explications scientifiques vont convoquer d’autres critères tels que la prostitution et la drogue. L’action de l’autorité religieuse va se déployer à deux niveaux : au plan scientifique elle entraîne les explications vers un registre moral. Au niveau populaire, la nouvelle maladie est perçue comme une affection spirituelle résultant comme le feu et le souffre de Sodome et Gomorrhe, de la colère divine. Ces deux niveaux participent de deux ordres de construction de la réalité sur lesquels nous reviendrons en détail. Toutefois, la double perspective de l’intervention de l’autorité religieuse situe le sida à la fois dans le champ scientifique et dans le champ spirituel. Dans le premier cas il résulte de la mutation d’un virus du fait d’une sexualité anormale ou contre nature. Par rapport à la deuxième perspective, le sida est une maladie spirituelle qui peut se guérir, par des prières ou par des rites d’expiration. L’analyse de l’influence de l’autorité religieuse dans la manière de désigner, de nommer, de partager ce qui entre en compte ou ce qui est rejeté dans la construction du sida comme objet, laisse apparaître d’autres instances non scientifiques en plus de l’autorité religieuse. Il en est ainsi du droit.

A.2.3- Le droit

L’objet sida ne s’est pas constitué une fois pour toutes. Il s’agit d’un processus évolutif qui loin d’être à son terme. Dans ce cheminement, ce sont les sciences médicales qui ont constitué le sida comme objet. En cela les sciences médicales se fondent sur la compétence que leur reconnaissent les autres disciplines et tous les acteurs de la communication sur le sida. Mais les sciences médicales elles-mêmes se caractérisent, comme l’affirme Michel

FOUCAULT par la polémique, la perméabilité à des options philosophiques et par une

certaine malléabilité par des politiques. Ce caractère polémiste et cette perméabilité aux influences extérieures, amène les sciences médicales ou biologiques à recourir à l’arbitrage du droit. La découverte du virus du sida a été revendiquée à la fois par le Français Luc

MONTAGNIER et l’Américain Robert GALLO.

L’arbitrage de la polémique autour de la paternité de la découverte du virus du sida va influencer d’une certaine manière, la manière de nommer. L’activité de recherche s’accompagne toujours d’un principe juridique de protection de la découverte. Il ne s’agit pas exclusivement de la protection des principes scientifiques mais aussi, de la protection des noms donnés aux découvertes réalisées. Dans la fin des années 80, le Comité d’intégrité scientifique du National Institute of Health déclare le Dr Robert GALLO coupable de fraude scientifique5 accusation qui sera lavée selon les mêmes sources grâce à un bureau d’avocats. Il apparaît, à travers ce cas, que la manière de désigner, de nommer ou d’instaurer le sida comme objet a fortement été influencé par le droit.

Les instances de validation scientifiques apparaissent d’ailleurs comme de véritables institutions juridiques, dotées du pouvoir de censure. En effet, ni le nom de LAV proposé par le professeur Luc MONTAGNIER, ni celui de HLTV3 suggéré par son homologue et rival

Robert GALLO n’ont été adoptés pour désigner le virus présenté comme cause du sida.

C’est plutôt celui de VIH imposé par le Comité international de taxonomie des virus qui a été adopté. Il ne s’agit pas d’une intervention accidentelle mais d’une compétence institutionnelle qui révèle la permanence d’une telle action.

L’action juridique va au-delà du règlement des conflits entre homme de science et de la désignation ou de la protection des découvertes scientifiques. Les politiques, au niveau des Etats ont recours au droit pour tenter de contenir la propagation du sida. Au Cameroun, le test dit de sida est prescrit de manière systématique et quasiment obligatoire dans les examens prénataux et préopératoires. Ce test a été institué par certains Etats comme condition d’obtention d’un visa d’entrée.

Certains articles de Cameroon Tribune révèlent cette forte intervention du droit dans les discours sur le sida. Dans l’édition du 05 septembre 1985 nous pouvons lire sous le titre Le

rôle de l’information est essentiel selon l’OMS la phrase suivante :

5 John GREWDSON, Chicago Tribune, 19 novembre 1989 in La plus grande escroquerie