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Le « marché national » face au « marché mondial ».

Chapitre II : La formation de la relation concentrative.

Section 2 : Le marché géographique.

I. Le « marché national » face au « marché mondial ».

404.- La notion de marché mondial est une notion relativement récente en droit de la concurrence, et n’est réellement intervenue que lorsque l’économie mondiale s’est effectivement globalisée. C’est d’autant plus le cas avec le contrôle des concentrations, où il a fallu attendre de grandes affaires de fusions transnationales aux implications mondiales, comme par exemple l’affaire Boeing/McDonnell 349

Douglas en 1997, et plus tard

l’approvisionnement direct aux grands constructeurs et la fourniture aux distributeurs (eux-mêmes fournissant les constructeurs de périphériques pour ordinateurs), JFTC, ソニー株式会社と日本電気株式 会 社 に よ る 光 デ ィ ス ク ド ラ イ ブ 事 業 に 係 る 合 弁 会 社 の 設 立 (établissement d’une entreprise commune fusionnant les activités de production de lecteurs de disques durs des sociétés Sony et Nihon Denki)、平成17年度主要事例7.On notera cependant que, dans la deuxième affaire, bien que le marché pris en compte soit le marché national japonais, la JFTC a toutefois pris en considération dans son analyse que les prix pour la vente aux grands constructeurs subissent l’influence de la concurrence mondiale.

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G.E/Honeywell350 en 2002, pour que cette notion s’impose. La possibilité théorique d’étendre le marché géographique à ce point au-delà des frontières, confrontée à la réalité jurisprudentielle, consacrant la plupart du temps un marché géographique national, suscite de nombreuses questions. Tout d’abord, le marché national ne serait-il pas un marché par défaut (A)? Au-delà, il convient de s’interroger sur les difficultés liées à une définition aussi large du marché (B).

A. Le marché national, marché « par défaut » ?

405.- Lorsque les produits ou services constituant le marché pertinent n’ont pas les « caractéristiques spécifiques » énoncées précédemment, ce qui est le cas pour la majorité des biens de consommation courants, le marché géographique choisi est en général le marché national pour les décisions françaises et japonaises, et toute ou partie du marché européen pour les décisions de la Commission européenne (en effet, de nombreuses opérations de concentration entre grandes entreprises européennes n’ont d’influence que sur une région donnée) bien que pour ce . Il ne s’agit pas d’une volonté explicitement présente dans les textes, mais plutôt d’habitudes de la pratique décisionnelle. Selon les lignes directrices françaises, le marché géographique peut toutefois être étendu au marché européen, voire mondial351, et les lignes directrices japonaises reconnaissent également que dans une situation où, pour un produit donné, les prix de l’offre japonaise augmentent, et qu’il est possible pour la demande de se réorienter vers une offre étrangère, alors le marché géographique pour ce produit dépassera les frontières japonaises352. Si le principe est donc le même pour les lignes directrices françaises et japonaises, on constate toutefois que la formulation des lignes directrices françaises laisse à penser qu’il n y a pas à proprement parler de dimension géographique « par défaut », tandis que la formulation japonaise sur le même point montre qu’en général le marché géographique est le marché japonais, et que dans certaines conditions seulement celui peut s’étendre au-delà des frontières nippones.

406.- Cette différence de conception s’explique par deux raisons principales. Tout d’abord, alors que la France est située en plein cœur de l’Europe occidentale et partage des frontières avec de nombreux pays, le caractère insulaire du Japon rend les exportations vers ce

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COMP/M.2220 General Electric/Honeywell, 3 Juillet 2001.

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Lignes directrices de l’ADLC, point 338.

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dernier moins pratiques et plus onéreuses, les transports routiers et ferroviaires étant de facto inutilisables pour assurer la liaison entre le Japon et le reste du continent asiatique. Comme il a été constaté précédemment, les difficultés de transport étant un critère de limitation du marché, il n’est alors pas surprenant que le marché japonais soit plus facilement isolé comme étant le seul marché géographique. De surcroît, tandis que la France bénéficie des avantages de la libre circulation des biens et des marchandises à l’échelle européenne et d’accords de libre-échange avec de nombreux pays, le Japon ne dispose encore que de très peu d’accords de ce type, situation qui devrait cependant évoluer vers plus d’ouverture si les négociations menées par les autorités japonaises pour devenir membre du Trans Pacific Partnership (TPP), accord de libre-échange entre divers pays d’Asie orientale, d’Océanie et du continent américain, aboutissent353.

407.- Il existe toutefois des exemples concrets d’une étendue du marché géographique au-delà du marché national japonais. Dans l’affaire d’intégration entre les sociétés Shin Nihon Sekiyû et Shin Nikkô Holdings354, sociétés produisant divers produits pétroliers, le marché géographique pour le paraxylène a été étendu à l’ensemble de la région Asie car la JFTC a estimé qu’il était possible pour les industriels japonais demandeurs de paraxylène de se fournir dans des pays autres que le Japon à des prix et pour une qualité de produit similaire à l’offre japonaise. Une fois de plus, la JFTC ne publiant qu’une partie des décisions qu’elle rend en matière de concentration, les exemples de marchés dépassant les frontières nationales japonaises sont rarissimes, bien qu’on constate une très relative augmentation de ces derniers.

B. Les difficultés des autorités face à la notion de marché mondial.

408.- L’ADLC, et avant elle le ministre de l’économie, bien qu’ils n’aient jamais officiellement établi le marché national français comme étant la limite que peut avoir le marché géographique, ont malgré tout eu tendance, notamment entre 1986 et 2001, à faire coïncider les limites du marché géographique avec les frontières nationales. L’explication avancée à ce phénomène est le calcul des seuils sous l’empire de l’ordonnance de 1986, qui se basait sur les parts de marché au niveau national des entreprises parties à l’opération de

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Pour plus d’informations sur le TPP, consulter http://tppdigest.org/

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JFTC, 新日本石油 ㈱ と新 日 鉱 ホ ールデ ィ ングス ㈱ の 経 営統 合、 (Affaire d’intégration de la direction des entreprises Shin Nihon Sekiyu et Shin Nikkô Holdings)平成21年度主要事例2.

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concentration355. Bien que les seuils soient désormais doubles, exprimés en chiffre d’affaires mondial d’une part, et en chiffre d’affaires réalisé sur le territoire français d’autre part356

, on constate que, dans ses décisions, même récentes, l’ADLC se réfère quasi-systématiquement à « la pratique constante » dans le secteur en question, et qui permet le plus souvent de conclure rapidement à un marché national, ou régional selon les cas. Cette tendance à ne pas s’aventurer hors des frontières nationales pourrait s’expliquer en outre par le système de renvoi européen. En effet, les affaires les plus importantes en termes de chiffre d’affaires et de pays impliqués, et où le marché est par conséquent le plus susceptible d’être défini mondialement, tomberont la plupart du temps dans les seuils d’application européens. Ainsi, il n’est pas étonnant de constater que quasiment aucune affaire contrôlée par l’ADLC n’ait inclus un marché géographique mondial.

409.- Même si les lignes directrices japonaises ne mentionnent pas explicitement que le marché peut revêtir un caractère mondial (le terme « mondial » n’apparaissant à aucun instant), et bien que dans la majorité des opérations contrôlées par la JFTC le marché géographique soit limité au marché national, il existe toutefois des opérations où le marché est de dimension mondiale. Par exemple, dans la récente affaire concernant la création d’une entreprise commune entre BHP et Billington357, la JFTC a défini le marché comme étant « le marché du commerce mondial sur mer »358. En effet, l’absence de production de minerai de fer au Japon, couplé au fait que l’ensemble du minerai de fer fourni au Japon est acheminé par voie maritime a amené la JFTC dans cette affaire à définir le marché géographique en fonction de l’offre, et plus particulièrement en fonction des méthodes d’approvisionnement du produit concerné.

410.- Il faut toutefois se garder de penser que l’analyse d’une opération de concentration ayant pour parties des entreprises non-japonaises exerçant au niveau mondial aura systématiquement un marché géographique mondial. Lors de l’acquisition d’actions de Varian Inc. par Agilent Inc.359, deux entreprises américaines de fabrication et de vente

355COT et LA LAURENCIE, op. cit., p.188. 356

Art. L.430-2 du Code de Commerce. 357

JFTC, ビーエイチピー・ビリトン・ピーエルシー及びビーエイチピー・ビリトン・リミテッド 並びにリオ・ティント・ピーエルシー及びリオ・ティント・リミテッドによる鉄鉱石の生産ジョ イントベンチャーの設立 (affaire de création d’une entreprise commune de production de minerai de fer entre les entreprises BHP Billington et Rio Tinto)、平成22年度主要事例1.

358en japonais 世界海上貿易市場. 359

JFTC, アジレント・テクノロジーズ・インクによるバリアン・インクの株式取得 (Prise de participation d’Agilent dans Varian) , 平成22年度主要事例 7.

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d’appareils d’analyse de composition chimique, la JFTC, partant du principe que les deux entreprises commercialisent leurs produits au Japon via leurs succursales japonaises respectives, et que la demande japonaise ne se fournit pas à l’étranger pour des raisons de qualité et de proximité du service après-vente, a restreint le marché géographique au seul territoire japonais. Il est par ailleurs intéressant de constater que la Commission Européenne a retenu une conclusion identique lorsque l’affaire lui a été soumise, et a limité le marché géographique au simple espace économique européen alors que les parties estimaient évoluer sur un marché mondial360. Il est toutefois à noter que la décision de la JFTC étant intervenue après celle de la Commission Européenne, et en raison de la coopération entre ces deux autorités dans le cadre de cette affaire, l’utilisation d’un raisonnement identique pour définir le marché géographique est vraisemblablement dû à cette coopération.

411.- Il apparaît ainsi que les autorités japonaises évitent autant que possible une définition du marché mondial. L’explication d’une telle attitude est relativement simple, et montre bien la politique concurrentielle de la JFTC. Comme l’explique le professeur Shiraishi, lorsqu’ une opération de concentration implique deux sociétés (souvent japonaises) possédant une forte part du marché japonais, mais une faible part du marché mondial, l’autorité japonaise aura tendance à contrôler l’opération en définissant un marché géographique restreint au marché japonais361. Par conséquent, l’opération aura de plus faibles chances d’être acceptée. Ainsi, là ou d’autres pays pourraient être tentés d’appliquer une politique concurrentielle dite « du champion national » et définiraient alors un marché mondial pour que l’opération de concentration soit acceptable, ce dans le but de créer des entreprises compétitives sur le plan international, la politique concurrentielle en termes de contrôle des concentrations au Japon a pour but principal la protection de l’intérêt des consommateurs japonais, et ce au détriment de la compétitivité internationale des entreprises japonaises. En raison du contexte de crise actuelle, cette inclination de politique concurrentielle pourrait toutefois être amenée à changer.

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COMP/M.5611 - AGILENT/ VARIAN, notamment le point 52 : The market investigation did not

confirm the view of the parties that the geographic scope of the product markets mentioned above is worldwide. Indeed, there is evidence from the market investigation that the competitive conditions are not homogenous between the EEA and the rest of the world. First, most of the customers having responded to the market investigation indicated a preference towards vendor proximity for instrument after sales services and training purposes. Only few customers on the different product markets have indicated within the market investigation that they would be willing to source on global basis if necessary, whereas the majority of customers would stick to suppliers in the EEA

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SHIRAISHI, “企業結合規制と市場画定 » (Contrôle des concentrations et définition du marché)、in Jurist, n°1423, 1er juin 2011, p.49.

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412.- Pour conclure sur la comparaison de la définition du marché géographique entre la France et le Japon, il ressort des analyses menées plus haut que la France est moins attachée à une définition systématique du marché géographique comme étant le marché national, et de par une ouverture plus grande à l’extérieur d’une part, et de son appartenance à l’Europe d’autre part, définit plus volontiers des marchés s’étendant au-delà des frontières nationales. Les situations où le marché défini est plus restreint que le marché national au Japon semblent concerner toujours les mêmes secteurs, à savoir les banques, les services médicaux et les produits pondéreux, secteurs pour lesquels le marché pertinent est souvent le marché régional. Si l’augmentation des seuils de notification pour une opération de concentration qui a eu lieu en 2009 limitera nécessairement le nombre d’opérations analysées par la JFTC, et par conséquent leur variété, il n’est pas sûr que l’on constate une recrudescence des situations où le marché géographique est régional ou local. En revanche, la volonté de la JFTC d’étendre le marché au-delà des frontières nationales pour être plus en phase avec la globalisation de l’économie devrait montrer, à l’avenir, une multiplication des affaires où le marché géographique est mondial.

Comme le montrent les développements précédents, quelle que soit l’autorité de contrôle, la notion de marché pertinent pose de nombreux problèmes de nature différente, et dont les autorités en charge du contrôle des concentrations s’accommodent faute de les résoudre. Des idées émergent cependant çà et là pour proposer des solutions plus ou moins radicales.