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L’entreprise commune aux frontières entre le contrôle des structures et le contrôle des comportements.

Chapitre II : La formation de la relation concentrative.

Section 2 : Les différentes relations concentratives au sein des entreprises communes.

II. L’entreprise commune aux frontières entre le contrôle des structures et le contrôle des comportements.

285.- Pour comprendre cette idée, il faut revenir sur l’histoire du contrôle européen des concentrations, qui bien que relativement jeune, a connu de nombreuses évolutions en ce qui concerne le traitement des entreprises communes. De 1965 à 1998239, il existait, en droit européen, une distinction entre ce qui était appelé « les entreprises communes concentratives » tombant sous le joug du contrôle des concentrations européen, et les « entreprises communes coopératives » qui elles, étaient appréciées sous l’angle des ententes. Bien que le règlement (CE) n°1310/97 ait supprimé cette terminologie, la dichotomie, elle, existe toujours, et en dépit des efforts pour clarifier les critères permettant de déterminer si une concentration appartient à l’une ou l’autre de ces catégories, il subsiste des situations complexes où les autorités ont du mal à trancher. Après avoir examiné les critères permettant

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Cette dichotomie fut officiellement mentionnée pour la première fois dans le « Mémorandum sur le problème de la concentration dans le Marché commun » du 1er décembre 1965, et abolie d’un point de vue terminologique en 1998 par le règlement (CE) n° 1310/97 du 30 juin 1997.

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de caractériser si une entreprise doit être contrôlée au titre des concentrations ou au titre des ententes (A), l’examen de la jurisprudence récente permettra de dégager les solutions retenues (B).

A. Les justifications quant à l’appartenance à l’une ou l’autre catégorie.

286.- Ces justifications ont également connu des évolutions. Sous l’empire du règlement 4064/89, deux critères cumulatifs étaient retenus pour que la création d’une entreprise commune soit qualifiée « d’opération concentrative » et tombe sous le joug dudit règlement. Il fallait tout d’abord que l’entreprise commune accomplisse durablement toutes les fonctions d’une entité économique autonome, ce qui correspond aujourd’hui à la notion d’entreprise commune de plein exercice. Inversement, le règlement déclinait son application lorsque l’opération avait pour objet ou pour effet « la coordination des activités concurrentes d’entreprises qui restent indépendantes l’une de l’autre », en d’autres termes, lorsqu’elle résulte en une coordination, soit entre les sociétés mères, soit entre une société mère et l’entreprise commune. Dans cette situation, le règlement cédait sa place au profit de l’ancien article 85 du traité CE concernant les pratiques anticoncurrentielles240, et l’entreprise commune était qualifiée d’entreprise commune coopérative. L’un des critères les plus usités, à l’époque, par la Commission, était celui de la proximité des marchés sur lesquels exerçaient les sociétés mères et l’entreprise commune.

287.- Celle-ci estimait ainsi que des entreprises exerçant, soit sur le même marché, soit sur des marchés amont et aval, ou encore sur des marchés connexes avaient plus tendance à constituer une relation de coopération. En revanche, lorsque des sociétés mères, concurrentes sur un marché, créent sur ce même marché une entreprise commune avant de s’en retirer, la probabilité d’une coopération entre ces sociétés était elle moins probable241

. Pour des raisons d’exemptions applicables, de durée de la procédure (deux ans pour une entreprise commune coopérative contre un mois pour une entreprise commune concentrative)., et tout simplement parce qu’une entreprise commune coopérative était automatiquement prohibée si constatée,

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LESGUILLONS et GRAVISSE, Deux ans d’application du règlement européen sur les concentrations, in Revue d’Economie Industrielle n°63, 1993, p.130 et s.

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l’objectif pour les sociétés mères était de faire en sorte que l’entreprise commune qu’elles constituent soit qualifiée d’entreprise concentrative plutôt que d’entreprise coopérative242

. 288.- Le règlement (CE) n° 1310/97 du 30 juin 1997 a quant à lui proposé une évolution intéressante de cette distinction, puisqu’il abandonne, d’une part, la terminologie d’entreprise commune coopérative et d’entreprise commune concentrative, et d’autre part, le principe selon lequel les dispositions sur les concentrations ne sont pas applicables lorsque l’opération a pour objet ou pour effet la coordination des activités concurrentes d’entreprises qui restent indépendantes l’une de l’autre. Il suffira désormais, pour qu’une entreprise commune se voit appliquée le contrôle européen des concentrations, qu’elle soit qualifiable d’ « entreprise commune de plein exercice ». On constate ici la volonté du législateur européen de faire en sorte que le phénomène d’entreprise commune soit essentiellement régi par les règles du contrôle des concentrations, l’application d’un contrôle des comportements, au titre des ententes notamment, n’intervenant qu’à titre exceptionnel.

289.- En droit français, si la dichotomie entre entreprise commune coopérative et entreprise commune concentrative était également reconnue par le Conseil de la concurrence, le ministre de l’Economie avait lui une façon de procéder similaire au point de vue japonais. En effet, toutes les entreprises communes étaient systématiquement traitées comme des concentrations par ses soins243. Cette divergence d’analyse entre les deux autorités s’est ensuite estompée progressivement, le ministre de l’Economie reconnaissant, dans certains cas, des entreprises communes ne relevant pas du contrôle des concentrations. L’alignement des textes français sur les textes européens avec l’avènement de la loi NRE en 2001 a achevé de coordonner la position du ministre de l’Economie sur celle du Conseil de la concurrence, qui elle-même correspondait à l’analyse de la Commission Européenne.

290.- En dépit de cette volonté de placer les entreprises communes sous le joug du contrôle des concentrations, force est de constater que des hésitations quant au traitement de certaines entreprises communes sous l’angle du contrôle des comportements subsistent dans la jurisprudence récente.

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LESGUILLONS et GRAVISSE, op.cit. p.130.

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B. Les solutions retenues par la jurisprudence.

291.- Le principal écueil, pour l’ADLC comme pour la commission européenne, tient dans la difficulté posée par les opérations qui semblent, à priori, relever du contrôle des concentrations, mais dont certains éléments relèvent davantage d’une entente. Bien qu’il existe la notion de restriction accessoires, qui sont des restrictions à la concurrence qui seront considérées comme faisant partie de l’opération, et seront à ce titre tolérées sans qu’il soit besoin d’appliquer à postériori un contrôle des comportements244

, cette notion n’est pas délimitée de façon suffisamment claire, ce qui pose de nombreux problèmes jurisprudentiels. Dans l’affaire concernant la création d’une entreprise commune entre Véolia et la caisse des dépôts et des consignations (ci-après « CDC »)245, il n’y a certes pas eu de débat quant à la contrôlabilité au titre du contrôle des concentrations de la création d’une entreprise commune entre Véolia et la CDC visant à regrouper les activités sur le marché du transport de voyageurs qui étaient auparavant effectuées par leurs filiales respectives. Cependant, l’ADLC soupçonnant de fortes possibilités de comportements coopératifs, a autorisé l’opération sous réserve d’un ensemble assez important de conditions, comprenant entre autre des cessions d’actifs, des interdictions de rachat d’autres entreprises de ce secteur exerçant sur d’autres marchés géographiques, et la création d’un fonds d’animation de la concurrence.

292.- Dans l’affaire dite du « Port du Havre », l’illustration de la coopération entre une société mère et sa filiale est encore plus marquante. Tout commence en 2004, lorsque dans le cadre d’une réponse à l’appel d’offre concernant le projet « port 2000 » et visant à développer les activités du port du Havre, les groupes Perrigault et A.P. Møller-Mærsk (ci-après « APMM ») créent une entreprise commune, la société Terminal Porte Océane (ci-après-TPO), composée de trois sociétés, à savoir Terminal Porte Océane SA, en charge de l’exploitation et de la gestion du terminal ; SETPO, en charge des investissements ; et la société Docker Porte Océane, en charge des prestations de service de main d’œuvre pour TPO, et ce dans le but d’exploiter un terminal à port 2000. La création de TPO a été notifiée au Ministre de l’Economie en tant que création d’une entreprise commune au titre du contrôle des concentrations en 2006, et l’opération a été autorisée sans engagements.

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règlement. n° 139/2004, 20 janv. 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, p. 1, . art. 6, § 1, b et art. 8, § 1 et 2.

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ADLC, décision 10-DCC-198 du décembre 2010 relative à la création d’une entreprise commune par Veolia Environnement et la Caisse des Dépôts et Consignations.

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293.- Toutefois, aux termes d’un « Memorandum of Agreement » (MOA) organisant les détails de cette coopération, il y avait une clause de non-concurrence précisant entre autres que TPO ne devait pas contracter avec les clients de Perrigault référencés dans les douze mois précédents. Bien que TPO fût en principe créée pour servir une multitude de clients afin de concurrencer les terminaux préexistants au sein du port du Havre, il a en réalité été fait usage extensif de la clause de non-concurrence citée ci-dessus, et TPO a refusé toute opération commerciale proposée par des clients d’autres terminaux du port du Havre, même si ces clients n’étaient pas d’anciens clients de Perrigault. L’ADLC a par conséquent conclu l’existence de pratiques visant à répartir la clientèle entre le terminal port 2000 et les autres terminaux du port du Havre de façon à ce qu’ils ne soient pas en concurrence directe, ce qui constitue une entente en infraction aux articles 81 CE devenu 101 TFUE, et L.420-1 du code de commerce246.

294.- L’ADLC a ainsi condamné, entre autres, Perrigault et TPO à des amendes, ainsi qu’à la cessation des pratiques constatées. Celles-ci ont alors formé un recours en annulation auprès de la Cour d’appel de Paris pour incompétence de l’ADLC de connaître de clauses de non-concurrences contenues dans un contrat, et pour non-respect des droits de la défense de TPO, mais elles ont été déboutées de leurs demandes. Il est intéressant ici de constater qu’une entreprise commune peut ne pas poser de problème lors de sa création, mais que les sociétés concernées peuvent par la suite faire une utilisation déformée de la structure pour servir leurs intérêts, et se retrouver condamnables au titre du contrôle des comportements. De plus, sachant que c’est uniquement Perrigault qui a utilisé la clause de non-concurrence pour influencer unilatéralement le comportement de TPO, sans qu’APMM ne coopère, on peut également estimer qu’il s’agit ici d’un abus unilatéral du contrôle de Perrigault sur TPO.

295.- En effet, la clause de non-concurrence en cause ici n’était pas illégale per se ; c’est l’utilisation détournée de cette clause par Perrigault et TPO qui a fait l’objet d’une sanction de la part de l’ADLC. De surcroît, l’existence d’une procédure commerciale entre Perrigault et APMM concernant cette clause montre qu’une entente peut tout à fait être limitée à une seule société mère et l’entreprise commune, sans participation, ni même accord tacite de l’autre société mère. Toutefois, Perrigault a fait appel de cette décision, et au vu des arguments présentés par Perrigault et attestant de problèmes de coopération avec APMM pour

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ADLC, Décision n° 10-D-13 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la manutention pour le transport de conteneurs au port du Havre.

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la gestion de TPO pour justifier son contrôle unilatéral de cette entreprise commune, la Cour d’Appel de Paris a réformé la décision de l’ADLC. Le pourvoi en cassation de l’ADLC a quant à lui était infructueux pour l’autorité française, puisqu’elle a été déboutée de ses prétentions en vertu de l’article 1014 du Code de procédure civile. L’affaire n’a ainsi pas connu l’analyse qu’elle aurait pourtant mérité.

296.- Les possibilités de collusion entre les sociétés mères ne sont cependant pas à ignorer.

§2 La relation concentrative et les possibilités de coopération entre les entreprises fondatrices elles-mêmes.

297.- La création d’une entreprise commune constitue invariablement un rapprochement entre les sociétés mères, puisque celles-ci sont amenées à coopérer, dans le cadre du contrôle conjoint, pour garantir la bonne marche de ladite entreprise commune et en tirer des bénéfices satisfaisant leurs intérêts propres. A ce titre, il est tout à fait envisageable qu’une relation concentrative se tisse entre les sociétés mères. S’il existe des situations où une telle relation concentrative sera relevée par les autorités de contrôle (I), elle est le plus souvent difficile à constater (II).

I. Les situations où la relation concentrative entre les entreprises fondatrices est