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Les caractéristiques du faisceau d’indices.

Chapitre II : La formation de la relation concentrative.

I. Les caractéristiques du faisceau d’indices.

239.- Le faisceau d’indices, en tant qu’outil indispensable à l’analyse des opérations de concentration est évidemment décrit avec plus ou moins de précisions dans les lignes directrices françaises, européennes et japonaises (A), mais il s’enrichit également avec la pratique des autorités qui l’appliquent (B)

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A. Le faisceau d’indices dans les textes.

240.- L’utilisation de cette méthode par les autorités françaises dans les situations où le contrôle n’est plus exclusif, mais conjoint, c'est-à-dire partagé entre diverses entreprises qui doivent collaborer pour assurer la direction de l’entreprise contrôlée, est mentionnée au point 38 des lignes directrices de l’ADLC, le point 37 énonçant brièvement la liste des critères qui en font partie, critères qui sont à leur tour traités séparément de manière extensive des points 39 à 48. On trouve ainsi les droits conférés aux actionnaires (peu importe qu’ils soient majoritaires ou minoritaires), les relations contractuelles, les relations financières, et une précision assez importante et, semble-t-il, en opposition avec la position japonaise, puisqu’il est mentionné au point 37 que « dans des circonstances exceptionnelles, une entreprise peut même disposer d’une influence déterminante sans aucune participation au capital ». En effet, comme il a été vu ci-dessus, les participations minoritaires avec action de préférence ne sont pas une éventualité envisagée par la JFTC215 Pour ce qui est des droits conférés aux actionnaires, ceux-ci doivent être supérieurs à ceux normalement consentis à des actionnaires majoritaires.

241.- Les lignes directrices citent ainsi les droits de véto, les droits permettant de bénéficier d’une part dans les décisions supérieure à la part dans le capital, la possibilité de nommer certains responsables au sein des organes dirigeants de l’entreprise, la possibilité d’obtenir des informations détaillées sur les activités de l’entreprise, et aussi les possibilités de voir sa participation augmenter ultérieurement, grâce notamment à la détention de titres convertibles, d’options d’achat, de détention de droits de préemption ou de préférence. Pour ce qui est des contrats, les lignes directrices françaises se réfèrent directement à la communication consolidée de la Commission, qui évoque deux critères pour que ceux-ci soient pris en compte dans le faisceau d’indices : ces contrats doivent conduire à un contrôle de la gestion et des ressources de l’entreprise-cible, et leur durée doit être « extrêmement longue ». Enfin, on trouve un ensemble assez hétérogène de critères regroupés sous l’appellation générale de « liens économiques que les actionnaires auront avec la nouvelle entité 216», parmi lesquels on peut citer le fait d’être le principal actionnaire industriel, les relations commerciales privilégiées ou encore le fait d’intervenir de manière significative de manière privilégiée.

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Voir supra paragraphe 101.

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242.- Les lignes directrices japonaises procèdent de manière assez différente en la matière, en ce qu’elles sont beaucoup plus succinctes et restent attachées à la détention de droit de vote ainsi qu’à la position de la société acquérante au sein du classement général des actionnaires. Ainsi, aux deux premiers planchers constatés précédemment, à savoir le création, le maintien ou le renforcement de la relation concentrative en cas de prise de participation de plus de 50%, ainsi qu’en cas de prise de participation de plus de 20% en étant actionnaire principal, se rajoute un troisième et dernier plancher qui nécessite la présence simultanée de trois critères cumulatifs. Tout d’abord, l’entreprise acquérante doit détenir plus de 10% des droits de vote de l’entreprise-cible, elle doit ensuite être parmi les 3 actionnaires détenant le plus de droits de vote, et enfin s’ajoutent toute une série de critères qui seront utilisés conjointement pour déterminer si la relation concentrative est bien formée, et qui représente réellement une version japonaise de la méthode du faisceau d’indices217

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243.- Sont ainsi réputés être pris en compte la participation elle-même, la position de l’entreprise dans le classement des actionnaires, les relations réciproques entre les entreprises en cause (est principalement visé ici les situations de participations croisées, très populaires au Japon), les différences des participations des divers actionnaires la dispersion de l’actionnariat, les situations de double emploi de dirigeant (qui peuvent indépendamment faire l’objet de prohibitions au titre de l’article 13 de l’AML), les relations commerciales des entreprises impliquées (y compris les relations financières), les relations de coopération telles que les accords de coopération, les accords d’assistance technologique et autres. La JFTC examine également les relations concentratives entre les sociétés parties à la concentration et d’autres sociétés tierces, relations concentratives qui seront également analysées à l’aide des critères du faisceau d’indices cité ci-dessus.

244.- On remarque par conséquent que bien que les conditions de recours au faisceau d’indices soient différentes, car conditionnées au Japon par le niveau de participation et la position dans le classement général de l’actionnariat, le contenu de ce faisceau d’indices est à peu près identique dans les deux pays, puisque l’on retrouve les éléments relatifs à la structure de l’actionnariat, les droits et prérogatives exceptionnels attachés aux actions, ainsi que l’ensemble des éléments contractuels et économiques permettant à une société d’en influer une autre. La différence principale se situe essentiellement dans une précision supérieure du droit français, qui bénéficie bien entendu de la rigueur et de l’exhaustivité des

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communications de la Commission, et dans la mention par les lignes directrices japonaises des participations croisées, mention qui s’explique par la culture d’entreprise japonaise. Enfin, bien que cet ensemble de critères soit abondamment détaillé, argumenté et illustré de jurisprudence nationale et européenne, elle a reçu des critiques, notamment de l’International Chamber of Commerce (ICC) qui aurait souhaité que ces divers critères soient hiérarchisés pour que les entreprises puissent savoir quels critères sont déterminants, et quels sont ceux revêtant un caractère plus anecdotique218 . L’ICC suggère en outre de séparer les critères en deux blocs, comprenant un bloc de critères réputés « déterminants », c’est-à-dire qui puissent justifier individuellement une prise de contrôle, et donc de constituer une opération contrôlable au titre du contrôle des concentrations, et un autre bloc de critères, qui ne pourraient déterminer une prise de contrôle qu’en la présence d’autres critères.

245Le faisceau d’indices étant avant tout une méthode d’analyse des situations de prises de participation minoritaires, c’est lorsque celui-ci est à l’œuvre qu’il révèle les informations les plus intéressantes sur son fonctionnement.

B. Le faisceau d’indices dans la pratique.

246.- Le faisceau d’indices est largement utilisé dans la pratique, tant il est vrai que la complexité des montages juridiques et la diversité des droits attachés selon les catégories d’actions peut tout à fait permettre à une société de prendre le contrôle d’une autre. Dans l’affaire, déjà relativement ancienne, concernant une prise de participation de Ford dans Hertz219, Ford, qui détenait 49% du capital d’Hertz, souhaitait racheter 5% du capital d’Hertz et monter sa participation à 54%. La Commission relevait d’abord les droits attachés aux actions détenues par Ford (comportant entre autres des droits de véto), ainsi que le pouvoir de Ford de nommer 4 directeurs sur les 9 que compte le directoire d’Hertz. Ces droits n’emportaient toutefois pas le contrôle d’Hertz par Ford, et les droits de véto mentionnés ci- dessus ne permettaient pas de bloquer des décisions stratégiques. En revanche, la Commission a pris en compte dans son analyse les options qui avaient été concédées à Ford dans un pacte conclu avec les autres actionnaires d’Hertz en 1989, et qui lui permettait, en quelques heures,

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Commission droit de la concurrence du Comité national français de la Chambre de Commerce Internationale,

« Commentaires sur le projet de lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations », ADLC, 2009, p.1, consultable sur le site de l’ADLC : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/obs_icc_france_ld_concentrations_09.pdf

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sans besoin d’autorisations et sans ajout de capital, de convertir une partie de ses actions de classe C en actions de classe B, conversion qui avait pour conséquence la possibilité pour Ford de nommer deux directeurs supplémentaires au sein du directoire d’Hertz, lui conférant ainsi une majorité absolue.

247.- La Commission a ainsi conclu que l’augmentation de 5% du capital détenu par Ford et lui conférant la majorité absolue dans l’actionnariat d’Hertz ne modifiait pas la structure du contrôle au sein de cette dernière, et de ce fait l’opération fut déclarée non contrôlable au titre du contrôle des concentrations. On constate ici une utilisation du faisceau d’indices conforme aux lignes directrices : la Commission a pris successivement en compte les droits attachés aux actions, la détention de directeurs au sein de l’entreprise-cible, et également les droits octroyés par les pactes d’actionnaires et susceptibles d’octroyer le contrôle à l’entreprise minoritaire dans le futur. En outre, les options futures sont appréciées au regard de leur facilité d’exercice, possibilité qui ne semble à priori pas exploitée par les autorités japonaises.

248.- En ce qui concerne la pratique japonaise, on constate que le faisceau d’indices, s’il est relativement élaboré d’un point de vue strictement théorique comme exposé plus haut, n’a connu jusqu’à présent qu’une utilisation pratique anecdotique, et en réalité, en cas de participation minoritaire, les autorités japonaises semblent se préoccuper essentiellement de l’existence ou non d’un cumul des mandats de dirigeants pour établir la constitution d’une éventuelle relation concentrative. On pourra citer à ce titre l’affaire Bridgestone Metalfa, concernant une prise de participation minoritaire sur le marché des fibres métalliques220. La société Bekaert, société de droit belge spécialisée dans la fabrication de fibres métalliques, avait pris ici une participation de 27,6% dans la société Metalfa, aussi spécialisée dans la production de fibres métalliques et détenue à 51% par Bridgestone, sociétés leader sur le marché des pneumatiques, dont la confection nécessite par ailleurs l’utilisation de fibres métalliques .

249.- En outre, Bekaert avait nommé deux directeurs et un observateur, tous à temps partiel, au sein de Metalfa. Ainsi, la JFTC a estimé que la prise de participation de Bekaert dans Metalfa, ajoutée à l’envoi de certain de ses employés et dirigeants au sein de Metalfa pouvait nuire à la concurrence potentielle entre Metalfa et Bekaert. En effet, lors de l’examen de l’affaire par la JFTC, Bekaert n’avait pas d’activité sur le marché japonais des fibres métalliques, où Metalfa était en première position avec 46% de parts de marché. Seulement, il

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était prévu dans le contrat établi avec Bridgestone que Bekaert allait se lancer sous deux ans sur le marché japonais, et donc devenir, de par sa position de leader mondial sur le marché des fibres métalliques, un concurrent sérieux de Metalfa. La JFTC a donc autorisé l’opération sous réserve que Bekaert baisse sa participation dans Metalfa à 10% maximum, et que jusqu’à ce que ladite participation soit effectivement baissée, les directeurs de Bekaert dispatchés chez Metalfa ne viennent pas des départements fibres métalliques et fils métalliques de chez Bekaert.

250.- Ainsi, en dépit des affirmations de certains auteurs japonais221, il semble que l’analyse des participations minoritaires telle que faite en France et en Europe, ou à tout le moins, sa pratique, soit appliquée avec plus de rigueur en Europe. Si les autorités françaises, européennes et japonaises assurant le contrôle des concentrations ont admis des prises de participation minoritaires qui, à priori, ne sembleraient pas constituer des opérations de concentration, il existe malgré tout des opérations qui ne sont pas contrôlables.