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Les caractéristiques du produit.

Chapitre II : La formation de la relation concentrative.

Section 2 : Le marché géographique.

I. Les caractéristiques du produit.

381.- L’étude de la taille minimale à laquelle peut être circonscrite le marché pertinent amène à se pencher sur les éléments agissant comme des contraintes venant limiter ledit marché. On constate alors que les caractéristiques objectives de certains produits constituent une des raisons ayant pour conséquence une limitation de la taille du marché (A), mais également leurs caractéristiques subjectives ou juridiques, c’est-à-dire la perception du produit par la demande, ou encore la réglementation dont celui-ci fait l’objet (B).

A. Les caractéristiques objectives des produits.

382.- Les caractéristiques objectives d’un produit font l’objet d’un traitement relativement différent par les lignes directrices des pays concernés par cette étude. Les lignes directrices japonaises mentionnent ainsi que certains produits ont des « caractéristiques particulières »327, comme par exemple leur poids important, leur degré de fraîcheur, notamment pour les denrées périssables, ou encore leur fragilité. Ces caractéristiques rendent difficile l’expédition desdits produits, et ont pour conséquence une restriction du périmètre où ces produits sont accessibles pour la demande328. Bien que l’argument des produits fragiles et périssables semble intéressant, de par le fait qu’il ne trouve pas d’équivalent dans les lignes directrices françaises, sa portée pratique est ici aussi extrêmement limitée, puisque aucune des affaires publiées par la JFTC ne mentionnent le recours à un tel argument pour limiter l’étendue du marché géographique. En outre, avec l’amélioration constante des moyens de transports (transports frigorifiques par exemple), ainsi que la bonne qualité des infrastructures japonaises (route, chemin de fer), il est permis de douter de l’étendue d’un tel argument.

383.- Les lignes directrices françaises se préoccupent davantage de la notion de coût de transports plutôt que de celle de nature des produits, bien qu’elle évoque les « contraintes physiques », et semble se focaliser principalement sur le poids des produits329. Ainsi, en droit français, le caractère « pondéreux » d’un produit, c'est-à-dire lourd et de faible valeur, le rendant par conséquent difficile et peu rentable à transporter, a été utilisé dans de nombreuses affaires pour restreindre la dimension géographique du marché pertinent en question, notamment pour des produits utilisés pour la construction de bâtiments ou de matières

327en japonais 特性. 328

Lignes directrices de la JFTC , 第 2, 3, (2).

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premières, tel le ciment ou les tuiles330. Le droit européen connaît également de cette question, et y apporte des réflexions assez intéressantes. Dans l’affaire Holdercim/ Cedest, où la holding Holdercim a acquis 84% des actions de la société Cedest, société active sur le marché du ciment, la Commission a adopté un raisonnement en deux temps concernant le marché géographique.

384.- Après avoir rappelé que pour les produits pondéreux tels que le ciment, le marché géographique est traditionnellement restreint à un périmètre de 150 à 200 kilomètres, elle a toutefois souligné qu’en raison, d’une part, des progrès techniques effectués en terme de transports, ainsi que de la baisse des coûts de production, et d’autre part, de l’interdépendance des régions productrices et de l’augmentation des importations, non seulement de pays voisins (Belgique, Allemagne), mais aussi plus éloignés (Tchéquie, Slovaquie, Pologne), le marché a été défini comme « l’ensemble constitué par les régions du Nord-Est de la France (Nord Pas de Calais, Picardie, Haute Normandie, Ile de France, Champagne Ardennes, Lorraine, Alsace, Franche Comté, Bourgogne), moitié Nord de Rhône Alpes (Ain, Rhône, et Haute Savoie), la Belgique et les régions frontalières allemandes (Sarre et provinces proches du Palatinat et du Bade Wurtemberg) »331. Cette affaire montre en outre que les limitations objectives des marchés évoluent avec les progrès techniques, et loin d’être admises systématiquement, font l’objet d’une certaine actualisation par les autorités.

385.- On constate par ailleurs un traitement similaire de ce type de produits en droit japonais. D’une part, comme constaté plus haut, les lignes directrices mentionnent le fait que le poids d’un produit peut affecter la dimension du marché pertinent géographique, et les affaires de concentration dans le domaine du ciment démontrent que la JFTC prend cet aspect en considération. Par exemple, dans l’affaire de fusion entre Onoda Cement et Chichibu Cement332, bien qu’Onoda soit une société active à l’échelle nationale sur le marché du ciment, la JFTC a estimé que la fusion avait certes une influence sur l’ensemble du territoire national japonais, mais qu’en raison du poids important du produit et des difficultés posées en termes de transport, il convenait de diviser le marché en blocs régionaux (Hokkaido, Tôhoku, Kantô, etc). Dans le cas des pondéreux, la « caractéristique particulière » du produit est par conséquent son poids important couplé à sa faible valeur intrinsèque.

330

Voir pour le ciment la décision de la commission européenne M460 (Holdereim/Cedest), pour les tuiles, la décision française SA des Tuileries J.P. Sturm et a. : BOCC 27 mars 1991, p. 93 du 21 mars 1991.

331

Cas n IV/M.460 - Holdercim /CEDEST, part. points 16 à 20.

332

JFTC, 小野田セメント㈱と秩父セメント㈱との合併 (affaire de fusion entre Onoda Cement et Chichibu Cement)、平成 6 年度主要事例4.

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386.- Paradoxalement, ce ne sont pas les caractéristiques objectives des produits qui sont le plus souvent prises en compte par les autorités, mais les caractéristiques subjectives ou juridiques.

B. Des justifications subjectives ou juridiques à la limitation des marchés.

387.- Si elles ne visent pas directement les caractéristiques spécifiques du produit, hormis le terme vague de « contraintes physiques », les lignes directrices françaises mentionnent en revanche que les préférences subjectives de la demande peuvent jouer un rôle dans la définition du marché géographique, et se réfèrent entre autres au cas des produits locaux, qui pour des raisons d’habitudes de consommation locales ou régionales ne sont pas substituables à des produits de même nature ou correspondant à un même usage, mais de provenance différente333, affirmation que l’on ne trouve pas dans les lignes directrices japonaises.

388.- Pourtant, le comportement des consommateurs a été utilisé par les autorités japonaises pour définir de façon restreinte un marché géographique dans l’affaire de cession de l’activité « services d’informations pour les voitures d’occasion » de MG Corporation à Recruit334. La JFTC avait ainsi estimé que l’une des « caractéristiques particulières » des voitures d’occasion et que les consommateurs privilégient leur proximité lorsqu’ils souhaitent en acquérir une, caractéristique confirmée par le fait que les magazines et sites internet de petites annonces de véhicules d’occasion segmentent les offres par région et par département. Il a ainsi été affirmé que le marché géographique pour les services d’informations portant sur les voitures d’occasion était un marché régional, et dans l’affaire en question, celui-ci s’est limité à la région d’Hokkaido, où la cession d’activité a effectivement eu lieu. On peut donc conclure que la notion de « caractéristique spécifique » est en vérité une notion extrêmement plastique qui ne comprend pas uniquement les caractéristiques objectives du produit, mais également ses caractéristiques subjectives, c’est-à-dire la façon dont le produit est perçu par les consommateurs.

333

Lignes directrices de l’ADLC, point 337.

334

JFTC, ㈱リクルートによる㈱エムジー・コーポレーションからの中古車情報提供サービス事業 の譲受け (affaire de cession de l’activité de fourniture d’information sur les voitures d’occasion de la société MG Corporation à Recruit) ,平成20年度主要事例5.

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389.- En outre, on note que certaines limitations juridiques peuvent constituer une limitation du marché géographique. Cette notion de barrière juridique se réfère à toute loi ou réglementation locale ne permettant pas une circulation du produit sur l’ensemble du territoire national, et contraignant de ce fait les autorités à délimiter le marché géographique pour que celui-ci épouse la zone où s’applique ladite loi ou réglementation. Le principe est posé par le point 336 des lignes directrices de l’ADLC, qui prend comme exemple une décision du Conseil de la concurrence de 2000 dans le secteur des prestations funéraires335, secteur faisant l’objet d’une législation très stricte réduisant de facto le marché à l’échelle de la commune en raison de l’impossibilité pour les familles des défunts de faire appel à des prestataires situés dans une autre commune sauf dérogation rarement accordée. Ce type de limitation des marchés se retrouve également à l’échelle européenne, où la présence de législation ou de normes de qualité spécifiques à un pays ont parfois obligé la Commission à limiter le marché à un seul pays. L’exemple le plus fréquent est celui des concentrations dans le secteur des médicaments et autres produits pharmaceutiques, où de nombreuses décisions montrent une pratique décisionnelle constante de la Commission affirmant le caractère national du marché pour ce type de produits336.

390.- Force est de constater que jusqu’à maintenant, cette notion ne trouve aucun équivalent dans la théorie comme dans la pratique japonaise. En effet, non seulement les lignes directrices japonaises ne mentionnent aucunement l’influence d’une éventuelle législation ou norme sur la définition du marché géographique, mais l’analyse des décisions publiées par la JFTC montre que cette notion n’a jamais été utilisée de manière jurisprudentielle. L’absence de décisions susceptibles de limiter juridiquement le marché géographique peut s’expliquer par la nature des affaires publiées jusqu’à présent par la JFTC, affaires concernant surtout des opérations de concentration entre industries lourdes ainsi que des concentrations dans le secteur bancaire.

391.- Il convient par ailleurs de s’interroger sur la possible limitation d’un marché qui, bien que mondial, serait réduit au seul territoire japonais pour des questions juridiques. Jusqu’à maintenant, aucune décision de ce type n’a été publiée par la JFTC, l’inexistence d’une telle pratique décisionnelle pouvant s’expliquer par la relative fermeture du marché

335

Conseil de la Concurrence, décision n° 00-D-59 du 6 décembre 2000.

336

Voir entre autre la décision COMP/M3751 (Novartis/Hexal) du 27 mai 2005, point 4 : The Commission

has previously defined the geographic markets for pharmaceutical products as being national in scope, despite the trend towards harmonisation at a European level. The parties submit that certain developments in recent years may point to a broader geographic market, but have accepted also the approach of the Commission.

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japonais, et le fait que les décisions où le marché géographique dépasse le territoire national japonais sont un phénomène récent et encore rare. On peut toutefois raisonnablement estimer que si le besoin de recourir à une telle notion se présente, la JFTC pourra vraisemblablement utiliser la notion de « caractéristique spécifique » et traiter la réglementation propre à un produit comme une caractéristique spécifique de ce dernier, étant donné l’utilisation extensive qu’a connu ladite notion par le passé pour combler les lacunes en la matière.

392.- Les situations observées ci-dessus concernent essentiellement des produits, dont les caractéristiques, objectives comme subjectives, ont pour conséquence la restriction du marché. Dans certaines situations, notamment certaines prestations de services, ce sont les caractéristiques de l’offre elle-même qui sont en cause.