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Le djembé : description, histoire, culture et sauvegarde

1.4 Le modèle culturel de la « tradition ballet » en Afrique de l’Ouest 1 L’institution des troupes de ballet en République de Guinée

1.4.2 Mamady Keita

Mamady Keita est né en 1950 à Balandugu, un village à vocation agricole de la région du Wassolon, dans la province de Siguiri au nord-est de la Guinée. Il était le fils de la première femme de son père, un maître-chasseur et fida tigi (maître des plantes et guérisseur) nommé Tomany Keita. Dès l’enfance on lui reconnaissait un talent de percussionniste et à l’âge de 10 ans, il jouait dans toutes les fêtes du village auprès de son premier maître, Karinka Djan Kondé. C’était à l’époque de l’administration coloniale, or au village, Mamady a été initié aux traditions ancestrales, dont celle de la magie du tambour50. Il explique, dans ses documents consacrés à la transmission du djembé, que son maître lui a confié une mission, « celle de transmettre les connaissances du djembé pour ne pas qu’il meure comme les hommes » (Keita 1999 : 15).

Son enfance s’est passée au village sous le régime colonial français, ensuite, Mamady Keita a vécu tous les changements majeurs qui ont touché la Guinée dans le sillon de la décolonisation. Le percussionniste doué fut arraché à sa famille pour être imprégné des pratiques artialisées, symbole de l’indépendance coloniale de la Guinée. Comme nous l’avons vu précédemment, Sékou Touré, le président d’une Guinée nouvellement indépendante, misait sur la culture pour faire connaître au monde entier la singularité et le nationalisme guinéen.

En 1963, alors qu’il jouait pour la visite officielle d’un membre du gouvernement, le talent de Mamady Keita, âgé de 13 ans, attira l’attention d’un recruteur du nom de Balanka Sidiki. Ce dernier était responsable de la préparation du Festival national de Conakry, qui aurait lieu l’année suivante. Le jeune percussionniste, malgré les objections de ses parents, fut contraint de suivre le recruteur pour aller s’installer à Siguiri, la capitale de la province, afin de recevoir une formation intensive

50 Extrait du livre de Mamady Keita (1999 :15) « Un djembefola (joueur de djembé) doit maîtriser tous les rythmes et doit savoir quand et à quelle occasion ils sont joués. Les sons du djembé sont transmis par un maître qui s’y consacre corps et âme. Mon maître connaissait les sept secrets du djembé et il m’a initié à ces secrets : c’était pour moi un grand honneur, mais aussi une lourde responsabilité. Car il faut aussi acquérir puissance et précision de jeu et certaines pratiques magiques, par exemple le pouvoir de se protéger contre des influences néfastes. On doit naturellement être très prudent avec de telles pratiques en Occident où l’on n’est pas initié à la tradition ».

71 de percussionniste en préparation du spectacle qui serait présenté au festival. Cinq cents musiciens et danseurs furent recrutés comme ressources potentielles du Ballet national présidentiel Djoliba en gestation. Mamady Keita, qui avait 14 ans en 1964, fut sélectionné et envoyé sur l’île de Kassa, près de Conakry, pour une période de neuf mois. Les musiciens et danseurs s’y entrainaient plusieurs heures par jour.

Sur 500 artistes présélectionnés, 45 seulement furent choisis, dont seulement cinq percussionnistes. Voilà pourquoi on qualifie Mamady Keita et ces percussionnistes de « Grands Maîtres du djembé ». Le président avait fait construire une scène dans le palais présidentiel afin que la troupe puisse s’entrainer sous la direction de Balanka Sidiki. Le Ballet Djoliba représentait la révolution et l’indépendance de la Guinée. La troupe a fait un nombre incalculable de tournées internationales. En 1966, Mamady Keita, en tant que membre du Ballet Djoliba, fait ses premières tournées internationales en Chine et en Europe. En 1967, il est médaillé d’or au Festival de folklore d’Agrigente en Sicile et en 1969, âgé de seulement 19 ans, il reçoit une deuxième médaille d’or au Festival panafricain d’Alger, où il est sacré « meilleur percussionniste d’Afrique »51. En 1979, Mamady Keita, qui avait occupé la position de « meneur » au djembé dans le Ballet Djoliba, devint le directeur artistique de la troupe.

En 1984, la mort de Sékou Touré provoque des changements importants dans tout le pays et les musiciens, jusqu’alors privés de ressources financières, entament des vies professionnelles autonomes. Mamady Keita rejoint, en 1986, la troupe Koteba d’Abidjan en Côte d’Ivoire. C’est durant cette période qu’il est invité à enseigner le djembé en Belgique par le groupe Répercussions. Une invitation qui provoque, pour Mamady Keita, un processus de réappropriation des rythmes et savoirs traditionnels, non pas ceux des Ballets, mais plutôt ceux appris au village de son enfance. Le percussionniste effectue un retour aux sources, délaissant l’idée de modernité au profit de celle de conservation du patrimoine. En 1988, alors qu’il vit à Bruxelles avec son épouse Véronique, il enseigne la percussion et forme son propre groupe de musique, SewaKan dont la devise est : Ni

kan tiyen, sewa tiyen. Ni sewa tiyen, kantiyen (Sans musique, il n’y a pas de joie. Sans joie, il n’y

a pas de musique). En 1989, avec sa nouvelle formation musicale, Mamady Keita enregistre son

51 Il faut, bien entendu, pondérer une telle mise en valeur, compte tenu de la richesse des talents qui foisonnent en Afrique.

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premier album, Wassolon, produit par Zig Zag et Fonti Musicali. Il a enregistré depuis 14 albums et 10 DVD52.

C’est en 1990 que Mamady Keita organise, avec Répercussions, le premier stage de percussions et de danses africaines en Guinée. Pour ce faire, il bénéficie de la collaboration du Ministère de la Culture de Guinée et du Ballet national Djoliba. Le stage, qui dure quatre semaines, accueille 35 participants européens. Cette nouvelle forme de tourisme culturel en gestation est considérée, par les autorités, comme une activité d’échange culturel. En 1999, Laurent Chevalier produit un long métrage qui porte sur la vie de Mamady Keita : « Djembefola » (joueur de djembé), dont la scène principale est celle de son retour au village natal après 26 années d’absence. Le succès international du film est considérable, et son impact médiatique fait de Mamady le joueur de djembé dont le nom est le plus connu au monde. Il faut aussi considérer que le film, dans un contexte de mondialisation, voyage facilement à travers le monde et en plus de faire connaître le Maître, sert d’émulateur pour la pratique du djembé. En effet, autant le tambour que Mamady Keita sont projetés à l’avant-scène médiatique internationale. Résultat, le Maître est invité à enseigner le djembé dans plusieurs pays dont : Israël, Portugal, Japon, Allemagne, États-Unis, Australie, etc. En 1991 à Bruxelles, avec sa femme Véronique, le musicien mondialement connu, créé sa première école de percussion qui porte le nom de Tam Tam Mandingue. En 2014, Mamady Keita possède et dirige 18 écoles réparties sur différents continents. Ce sont des institutions du djembé et elles comportent désormais un système de certification. Le savoir traditionnel mandingue, sélectionné par Mamady Keita, en est la clé de voute et l’exigence.