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Majordome en 1347 et curateur du duc de Gérone: la reconnaissance royale reconnaissance royale

Bernat de Cabrera, ascension, grandeur et chute d’un conseiller

I. L’ascension au service d’un royaume (jusqu’aux années 1350) 1350)

1.3. Reconnaissance personnelle, militaire et patrimoniale

1.3.1. Majordome en 1347 et curateur du duc de Gérone: la reconnaissance royale reconnaissance royale

1.3.1.1. Majordome de Pierre IV (1347)

Le 17 novembre 1344, Pierre IV a fait promulguer les Ordenacions120 dans le but d’organiser et de « nettoyer » une administration inefficace et bien trop critiquée121

. Les charges les plus importantes, placées directement sous l’obédience royale, sont, dans l’ordre de présentation, celles de majordome chargé de la maison royale –casa nostra–, de chambellans – camarlencs – pour les soins et l’assistance quotidienne au souverain, de

chancelier chargé d’organiser les conseils et de maestre racional pour administrer le patrimoine royal. Ces personnages sont les personnalités majeures du Conseil royal.

Con los mayordomens nostres en tots e sengles qui de casa nostra e de la companyona nostra seran e les companyes generalment hauran axi con a majors en nostre hostal o cort segons la manera e forma en son loch en nostres ordonacions anotada e en asso a totz nostres officials seran majors.

Utilitat e ornament de nostra cort real concernens havem cogitat molt esser necessari que alscunes coses que per l’offici de majordom çaentras degudament sens constitucion real estants par adjutori de nostra auctoritat sien aprovades e aquelles altres coses no degudament observades sien corregides per remey de nostra serenitat ab savi consell introduit : don ab aquest edicte decernim observador que en la nostra cort tres nobles cavallers (…)

Les majordomes sont au nombre de trois, un pour l’Aragon, un autre pour Majorque et Valence, et enfin, un troisième pour la Catalogne. Sont nommés en outre deux chevaliers qui les suppléent en cas d’absence et leur sont soumis. Leurs obligations ont des caractères très domestiques (soin et organisation de la table, place des commensaux, contrôle de la nourriture

120 PALACIOS MARTÍN B (éd.), « Sobre la redacción y difusión de las ‘Ordinaciones’ de Pedro IV de Aragón y sus primeros códices », Anuario de Estudios Medievales, 25/2, 1995, p. 659-681. Ordinacions de la casa i cort

de Pere III el Cerimoniós,. Transcripció, edició i notes del manuscrit de València a cura de F.M. GIMENO

BLAY, D. GOZALBO GIMENO i J. TRENCHS ODENA. Introducció per F.M. Gimeno Blay, Valencia , 2009.

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BEAUCHAMP, A., « Ordonnances et réformes de l’Hôtel royal au début du règne de Pierre IV d’Aragon »,

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et des boissons…) et nécessitent une familiarité aussi élevée que la confiance royale. D’ailleurs, le majordome prête serment :

(…) e sabran esquivaran tots los perils que a nostra persona serien

possibles esdevenir los quals encara perils a la noticia dels pervinents en qualque manera a nos cuytosament manifestaran e no han fet ne faran alguna cosa per que a les coses desus promeses sens violacio observadores puga obviar (…)

C’est donc un office prestigieux et de grande confiance qui permettait en 1347 à Bernat de Cabrera d’être placé dans le cercle le plus étroit de l’entourage royal. Nous n’avons pas pu trouver la date de la fin de cette fonction. Quand Pierre IV le nomme curateur de son fils nouveau-né, Bernat de Cabrera n’est plus présenté en tant que majordome.

1.3.1.2. Curateur de l’héritier Jean de Gérone (1351-1356)

Le 27 décembre 1350 est né à Perpignan un héritier royal, Jean. Sa mère est Éléonore de Sicile qui a épousé à Valence, le 27 août 1349, Pierre IV. Moins d’un mois plus tard, à Perpignan, le 21 janvier, 1351, est érigé le duché de Gérone avec les ville et ciutades de Gérone, Manresa, Vic , Besalú, Berga, Camprodon, Sant Pere d’Auira, la vicomté de Bas, Castelfollit, Torroella de Montegrí, Pals et Figueras. Pierre IV concède ce duché en fief,

feudum honoratum, au tout jeune infant qui est fait six jours plus tard comte de Cervera.

Jusqu’aux quinze ans du duc, le roi conserve l’administration des territoires et les perceptions de rentes, bénéfices et juridictions sur le duché, et se réserve de pouvoir exiger et obtenir des comtes et vicomtes, ost, chevauchées et autres services dus. L’accession au trône du duc, après la mort du roi doit entraîner la disparition du duché122. Cette donation temporelle reste sous la juridiction royale ; Pierre IV prend soin de préciser que le duché ne peut être séparé du royaume123.

Le même jour, l’éducation et l’administration des biens de Jean, jusqu’à ses 15 ans révolus, sont confiées à Bernat de Cabrera, aux qualités multiples : constantem experiam et

approbatam industriam ac strenuam nobilitatem et fidelitatem precipuam quam preteritis temporibus in nostris maximis et nostro regio nostreque republica statui periculosis negosiis que inter alia industria ac ingenioso consilio et opera vestris finem optimum habuerunt124

122 SESMA MUŇOZ, S., « El ducado/principado de Gerona y la monarquía aragonesa bajomedieval », Aragón

en la Edad Media, 14-15, 2, 1999, p. 1507-1518. Jean est fait six jours plus tard comte de Cervera. 123

A.C.A. , C., Reg. 1538, fol. 11r.

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En conséquence, il est fait procurator et educator pour cette durée : il est celui qui gère, nourrit et éduque, celui qui pourvoit aux soins du corps et de l’esprit et doit vivre avec lui, là où le roi l’ordonnera. En cas de décès de ce dernier, si la reine survit au roi, l’infant vivra dans les royaumes ou terres où le décidera la souveraine ; si les parents meurent ou si le roi prend nouvelle épouse, l’infant vivra selon les vœux de l’educator. En cas de décès de ses royaux parents, Bernat de Cabrera percevra les revenus et droits du duché et exercera l’administration de celui-ci. Il pourra alors nommer viguiers, procurateurs, ainsi que tous les officiers, et recevoir hommages et serments. Dans le cas où tous mourraient – roi, reine et Bernat de Cabrera – ce sont douze personnes (deux nobles de la viguerie de Gérone-Besalú, deux nobles issus de la viguerie du Bagès, Berga, Bergueda, deux nobles issus de la viguerie d’Osona-Vic, Ripoll et Ripollès Camprodon, ainsi que deux ciutadans de Gérone, deux ciutadans de Manresa, et enfin deux de Vic ) qui décideront de l’endroit où doit vivre le prince jusqu’à ses 15 ans.Bernat de Cabrera prête hommage et promet aide et conseil. Cet acte organise donc une forme de régence, au sens de « la garde de la personne du souverain mineur, la défense de ses intérêts et de ses biens et, par extension, l’exercice du gouvernement en son nom pendant sa minorité »125. En tant que procurator, Bernat de Cabrera prend possession du duché et reçoit les hommages des syndics des cités, villas et différents lieux le 28 février 1351126.

Pierre IV donne là une énorme marque de confiance à son conseiller, fidèle parmi les fidèles d’un roi sans doute échaudé par une enfance difficile, notamment à partir du mariage de son père avec Éléonore de Castille (1329). On peut aisément imaginer la position acquise par Bernat de Cabrera, et les jalousies ressenties le jour où syndics et procureurs, devant le roi, lui prêtent hommage et serment de fidélité en tant qu’educator, procurator ac

actor127(février-mars 1351). Étaient présents dans la grande salle blanche du château de Perpignan, pour les hommages des procureurs de la cité de Gérone128 comme de ceux de Manresa129: Raymond Bérenger, le comted’Empuries et oncle de Pierre IV; Hugues évêque de Valence et chancelier, beau-frère de Bernat de Cabrera ; Berenguer, évêque de Gérone; Pere de Fenollet, vicomte de Canet, autre beau-frère. C’est sans doute le triomphe d’un homme âgé (53 ans) mais peut-être aussi celui d’un clan, celui des Fenollet et, plus largement des Roussillonnais.

125 BEAUCHAMP A., « Régence et continuité de l’œuvre royale. Un testament et des codicilles inédits (1354) de Pierre IV d’Aragon », Mélanges de la Casa de Velázquez, 38-1, 2008, p. 201-218. http://mcv.revues.org/1040.

126

XXXIV p. 408 et A.C.A., C., Reg 1538, fol. 7v-11.

127 XXXIV, p. 408-419.

128 BOADAS I RASET, J., CASELLAS I SERRA, L.-E. (dir.), Catàleg de pergamins del fons de l’ajuntament

de Girona (1144-1862), t. I, Arxiu Municipal de Girona, Barcelone, 2005, p. 353. 129 XXXIV, p. 419.

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Il y a eu certainement des résistances à la création de ce duché. Eduardo Junyent, publie une série d’actes dans lesquels Pierre IV confirme qu’il n’a pas l’intention de séparer du comté de Barcelone les ciutats de Gérone, Vic et Manresa130 et qu’il ne porte donc nullement atteinte aux privilèges. De fait, Bernat de Cabrera apparaît peu dans les actes de gestion du duché que nous avons lus. Le roi reste père et administrateur légitime du duc131, Bernat de Cabrera est évoqué en tant qu’educator et administrateur132

; il confirme et atteste les engagements du roi, il est témoin, surtout au début. Comme l’a remarqué Christian Guilleré, les attributions de l’administrateur n’apparaissent pas dans la documentation133. Il ne semble pas avoir eu de réel pouvoir au moins direct, ni être rémunéré. Le roi gère et répond aux réclamations134 et désigne tous les officiers royaux. Les documents n'attestent pas de choix de serviteurs procédant directement de Bernat de Cabrera, mais les mentions hors teneur, au bas des copies d'actes dans les registres de chancellerie, montrent qu'il est présent ou assiste au moins à certaines décisions ou nominations. Il est aussi actif en étant présent lors de la transmission de la iussio (ordre de rédaction) au scribe ou en lui transmettant lui-même le mandat du roi par exemple135. Son influence est perceptible, de la même manière à la lecture de nombreux documents dans lesquels le roi assigne de nouveaux revenus à la maison ducale ou tance ses propres officiers qui renâclent à verser les sommes prévues au dispenser de l'infant136.

La chancellerie du duc de Gérone est d’ailleurs peu développée jusqu’en 1365. Rafael Tasis i Marca considère que son instruction est dirigée par Bernat de Cabrera, mais les preuves en sont bien rares137. En réalité, quand Cathalana de Llança interroge le roi durant l’hiver 1353, car le conseiller est en Sardaigne, Pierre IV lui répond :

130 JUNYENT, E., Jurisdiccionsi privilegis de la ciutat de Vich, Vic, 1969, p.197.

131

Encore le 15 juin 1362, BOADAS I RASET, J., CASELLAS I SERRA, L.-E. (dir.), Catàleg de pergamins del

fons de l’ajuntament de Girona (1144-1862), t. I, Arxiu Municipal de Girona, Barcelone, 2005, 521 p. 405 132 BOADAS I RASET, J., CASELLAS I SERRA, L.-E. (dir.), op.cit. , document n°443, p. 354.

133 GUILLERE, C., Girona en al segle XIV, vol.I, Barcelone, 1993, p. 169.

134

Documentation consultée : BOADAS I RASET, J., CASELLAS I SERRA, L.-E. (dir.), op.cit., t. I, Arxiu Municipal de Girona, Barcelone, 2005 et A.C.A., Cancillería, reg. 1538.

135 Mentions hors teneur du type "Dominus rex mandavit Bartholomeo de Lauro, presente nobili Bernardo de

Capraria, consiliario", au bas de l'acte de nomination du secrétaire du duc, Bernat de Bonastre (A.C.A.,

Cancillería, reg. 1538, fol. 44r) ou "Bertrandus de Pinos, mandato regis facto per nobilem Bernardum de

Capraria, consiliarium", au bas de l'acte de nomination de Jacme Verdaguer, serviteur du scrivà de ració du duc

(A.C.A., C., Reg. 1538, fol. 39r).

136 Je tiens à remercier Alexandra Beauchamp pour avoir partagé sa fine connaissance de la documentation.

137

TASIS I MARCA, R., Pere el Ceremoniós i els seus fills, Barcelone, 1991, p. 141. J.M. ROCA le met moins en avant dans Johan I d’Aragó, Barcelone, 1929.

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que com Mossen Bernat de Cabrera lexas la casa del Duch en ordinació, nos, quant ara, no y mudariem n ey tocariem en res e Nos fe havem en Deu que, ho el dit mossen Bernat hic será tost, ho nos serem aquí en breu e lavors provehir hi em volenters 138. Deux éléments apparaissent ici. D’une part, la fonction d’educator ne cesse pas avec la distance. D’autre part, Bernat de Cabrera reste encore une fois un homme d’organisation sur lequel le roi se repose.

Est-ce lui qui a choisi les familiers de Jean ? Il est fort probable qu’il a joué un rôle dans leur nomination. Autour du jeune héritier apparaissent ainsi, nommé par Pierre IV, et sans lien apparent avec Bernat de Cabrera, tout un personnel139, du jongleur à l’algutzir,

l’Hôtel de l’héritier en somme…. Le majordome est Guillem de Blanes140

, Bernat Margarit est

dispenser, expensor, c'est-à-dire chargé de gérer la comptabilité du duché141. Il est le premier des Margarit142 et tout porte à croire qu’il a déjà croisé Bernat de Cabrera. En effet, c’est un fidèle officier royal, qui a été auparavant battle de Gérone de 1339 à 1342 puis de 1349 à 1351, et qui a administré les biens de la vicomté de Bas entre 1342 et 1349. En 1359, il fait partie des hommes mobilisés aux côtés du comte d’Osona pour contrer la menace castillane sur Barcelone143. Sa carrière d’officier royal lui vaut de résister aux fortes pressions des autorités épiscopales de Gérone en 1337, 1353 et 1361. Manel Güell considère qu’il a été sans doute placé là pour récupérer subsides et taxes de la viguerie de Gérone-Besalú. Le 16 mai 1364, alors que le procès de Bernat de Cabrera est lancé, une enquête est simultanément ouverte sur lui144. Il meurt le 6 septembre 1366 et son fils, prénommé comme lui, est un conseiller royal reconnu (v.1340-1416) par Jean de Gérone, qui le fait chevalier.

Est-il réellement lié à Bernat de Cabrera ? Son ascension semble bien liée à celle du conseiller. Fait-il pour autant partie de cette même catégorie d’hommes ? Au moins cette catégorie de « gêneur » ? A-t-il été dénoncé dans un contexte qui avait élevé la délation au rang d’exercice quotidien ? Nous ne savons pas comment son cas a été réglé…

Le 18 février 1356, l’infant Raymond Bérenger est nommé curateur du jeune duc de Gérone. Certains y ont vu la preuve d’un désamour royal ; il semble plutôt que Pierre IV ait vu le moyen de faciliter une transaction dont Bernat de Cabrera était partie prenante. Le

138 A.C.A., C., Reg.1538, fol. 52v (28 décembre 1343).

139 ROCA, J.M, Johan I d’Aragó, Barcelone, 1929.

140 A.C.A., C., reg. 1538, fol 39r.

141

A.C.A., C., Reg 1538, fol. 26 r, nommé le 16 mai 1351.

142 GUELL, M., Els Margarit de castell d‘Empordà. Família, noblesa i patrimoni a l'època moderna, Barcelone, 2011, p. 23 et s.

143

Zurita, IX, 23.

161

même jour, en effet, Bernat de Cabrera recevait Vic et ses alentours en échange de Vilafranca del Penedès145.