• Aucun résultat trouvé

Amiral en Sardaigne : la reconnaissance des syndics urbains

Bernat de Cabrera, ascension, grandeur et chute d’un conseiller

I. L’ascension au service d’un royaume (jusqu’aux années 1350) 1350)

1.3. Reconnaissance personnelle, militaire et patrimoniale

1.3.2. Amiral en Sardaigne : la reconnaissance des syndics urbains

Au printemps 1353, et à la demande du Parlement de Vilafranca del Penedès, le titre de capitaine est décerné à Bernat de Cabrera pour commander la première expédition de Sardaigne. En 1354, nous avons vu qu’il avait obtenu à nouveau cet honneur.

1.3.2.1. Financement des guerres et pouvoir urbain

Cette fonction représente le triomphe politique de Bernat de Cabrera aux yeux du patricat catalan146. En effet, depuis les Corts de Barcelone de 1283, les rois ne peuvent créer de droit, pas plus qu’établir d’impôt général sans consentement des bras -clercs, nobles, villes royales- réunis à l’échelle de chacun des royaumes (Aragon, Valence, principat de Catalogne) en Corts ou en Parlement147. Si le roi n’a pas l’accord des Corts, il ne lui reste qu’à recourir à son patrimoine qui s’effrite ; nous verrons d’ailleurs combien Bernat de Cabrera en a profité. Les Corts de Catalogne considéraient que les expéditions en Sardaigne relevaient d’affaires « privées », d’une entreprise dynastique, fort coûteuse, et en tout cas non de la défense de la terre catalane. Déjà en 1323, la demande de subsides avait provoqué une violente polémique. Selon cette logique, pour financer une telle entreprise, il fallait soit que le patrimoine royal, soit que la collaboration de tous les royaumes de la couronne y pourvoient. En 1323, les villes de la couronne avaient financé 63% de l’expédition. On pouvait les solliciter à nouveau. M. Sánchez-Martínez a montré comment à partir de ce premier Parlement de Vilafranca, des deux Parlements de Barcelone (février et août 1354), et enfin de celui de Lérida (1356), les dons octroyés par les villes ont correspondu au moment où le patriciat urbain a pris le pouvoir financier.

En effet, le don de 1354 a permis aux villes non seulement de mettre en place de nouveaux impôts indirects (sur la consommation et sur les transactions financières), – les

imposicions – que les autorités urbaines allaient percevoir et administrer, de contrôler la

constitution des armadas148, de participer aux décisions liées à la poursuite de la guerre ou

145 XXXIV, p. 430-456.

146 SÁNCHEZ MARTÍNEZ, M., « Le financement des flottes royales de Catalogne au milieu du XIV° siècle (1353-1356) » dans Les ports et la navigation en Méditerranée au Moyen Âge, Actes du Colloque de Lattes

(Hérault) 12,13, 14 novembre 2004, 2009, p. 291-302. http://hdl.handle.net/10261/36369

147 Parlement : réunion des bras séparés (ici le bras royal). Le terme peut aussi désigner une réunion des Corts en l’absence du roi.

162

aux trêves mais aussi et surtout d’émettre de la dette publique. En effet, si Pierre IV recevait rapidement les dons des villes, l’oligarchie municipale finançait en émettant des crédits à long terme sous forme de vente de rentes, perpétuelles – les censals – ou viagères – violaris – garanties par les imposicions. Ce système permettait, non seulement aux syndics des villes royales de mettre en place un système qu’ils contrôlaient, et dans lequel ils obtenaient un pouvoir qui, au vu des dettes à long terme, ne pouvait s’éteindre, mais aussi à l’oligarchie urbaine, étroitement liée à ces syndics, de s’enrichir. De plus, la mise en place des impôts indirects favorisait ces élites urbaines dans la mesure où les taxes pesaient sur des contribuables plus nombreux et qu’elles étaient moins liées au niveau de fortune que la talla. Enfin, ces élites ont ainsi dynamisé dans un premier temps un système bancaire et plus largement un système économique car l’argent attiré par la promesse des rentes a inondé les places financières comme Barcelone149.

Manuel Sánchez-Martínez relègue au second plan l’intérêt commercial des villes catalanes. On peut toutefois émettre l’hypothèse que la constitution d’une telle armada gérée par des ordenadors de la guerra150 et les clavaris151 profitaient à la production catalane locale. D’ailleurs, Bernat de Cabrera faillit profiter de la construction de cette flotte. On envoya des experts pour chercher du bois dans le massif de Montseny (cœur des possessions Cabrera) afin de fabriquer des rames. Malheureusement, le bois était de mauvaises dimensions et les conditions neigeuses ne permettaient pas de travailler les morceaux coupés152. Un entrepreneur comme Johan Lombard, proche de Bernat de Cabrera, se vit louer une « coque » entre juin et décembre 1354 pour 3 656 livres153.

1.3.2.2. Bernat de Cabrera et l’organisation maritime

Dès 1340, Bernat de Cabrera aurait en effet, élaboré les Ordenanzas penales de la

marineria mercantil avec Johan Lombard et Jacme Boscá154. Damien Coulon a approché les liens étroits entre Bernat de Cabrera et Johan Lombard: l’ascension de l’un paraît décisive

149 SÁNCHEZ MARTÍNEZ, M., Pagar al rey en la Corona de Aragón durant el siglo XIV, Barcelone, 2003.

150 Au nombre de sept, ils sont chargés de préparer les flottes. SÁNCHEZ MARTÍNEZ, M., « Le financement des flottes royales de Catalogne… » , op. cit. , p. 295.

151

Au nombre de trois, ils réunissent l’argent et effectuent les paiements. Les comptes sont soumis à un contrôle de trois personnes élues par les syndics. SÁNCHEZ MARTÍNEZ, M., « Le financement des flottes royales de Catalogne… » , op. cit. , p. 295.

152 SÁNCHEZ MARTÍNEZ, M., « Le financement des flottes royales de Catalogne… », op. cit., p. 296 et note16.

153

SÁNCHEZ MARTÍNEZ, M., op. cit., p. 297.

154 Affirmation de CAPMANY SURÍS Y DE MONTPALAU, Ordenanzas de las armadas navales de la Corona

de Aragon aprobadas por el rey Pedro IV, Madrid, 1787, p. X, et Memorias históricas sobre la marina, comercio y artes de la antigua ciudad de Barcelona, Madrid, 1792, .p. 60 reprise par tous les historiens à sa suite

163

pour l’autre, il lie la chute du premier à la disparition de la documentation du second155

. Tout le prestige de l’amiral victorieux transparaît avec la promulgation des Ordinacions sobre lo fet

de la mar 156par le très noble Bernat de Cabrera, capitá general de l’Armada del Senyor Rei

com vench de Sardenya e hac vençuts les Genovesos en janvier 1354. C’est un cadre précis et

détaillé de l’organisation de la marine royale, de sa composition et de sa discipline. Néanmoins le 34e article invite à la souplesse dans la sévérité, et sans doute à tenir compte de circonstances atténuantes ou aggravantes. L’objectif était d’éviter les défections dans le combat et de renforcer le courage de tous ceux qui prenaient part à la bataille. Ces trente-quatre chapitres sont accompagnés des chants – laus – à entonner lorsque l’étendard royal est élevé sur l’armada royale :

In Nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti: Amen Per molts anys la vida è la gran honor del molt Alt Poderós Princep è Senyor, lo Senyor en Pere, per la Gracia de Deu, rey d'Aragó, de Valencia, de Malorques, de Sardenya è de Córsega, è Comte de Barchelona, de Rossello, è de Cerdanya, que Deus salv è mantenga.

doit être dit deux fois, tandis que ce qui suit ne doit être entendu qu’une seule fois :

La gran victoria è la gran honor del molt Noble En Bernat de Cabrera Capitá General del molt Alt, è molt Poderós Princep è Senyor, lo Senyor Rey d'Aragó, que Deus salv è mantenga..

Les Ordinacions constituent donc le premier acte de l’organisation des armées maritimes. Bernat de Cabrera apparaît par la suite nommément deux fois, mais tout laisse à penser que tant qu’il a été politiquement actif, son avis a compté aussi dans ce domaine. Il affine avec son fils, le comte d’Osona et avec le vicomte de Cardona –nouvellement nommés généraux de l’armada après la menace du 16 mai 1359- ainsi qu’avec les alistadores (recruteurs) Jacme Boscá et Johan Lombard, l’ordonnancement des payes (entre le 20 mai 1359 et le 8 novembre 1361). Le 10 février 1361, en présence de Gilabert de Centelles et de Jacme Dezfar, il est interrogé au sujet des inscrits qui ne viennent pas157.

155 Sur Johan Lombard, COULON, D., « Ascensión, apogeo y caída de Joan Lombarda, mercader-armador de Barcelona », FERRER MALLOL, M.T., COULON, D., (éd.), L’expansió catalana a la Mediterrània a la baixa

edat mitjana, 20 avril 1998, Barcelone, 1999, p. 15-25.

156 CAPMANY SURÍS Y DE MONTPALAU, Ordenanzas… , op. cit. ,.

157

CAPMANY SURÍS Y DE MONTPALAU, Ordenanzas de las armadas navales de la Corona de Aragon

164

Ainsi, en choisissant Bernat de Cabrera comme capitaine, les Parlements choisissaient un homme qu’ils connaissaient —Bernat de Cabrera avait négocié avec eux durant l’Union—, un chef de guerre reconnu —surtout en Castille—, peut-être moins lié à la Sardaigne qu’un Pedro de Luna : un Catalan ayant fait ses preuves et qui, comprenant leurs intérêts, pouvait encore plus les favoriser. Pierre IV semble s’être vu « imposer » Bernat de Cabrera sans déplaisir.