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Les Corts de 1358 : la liste des ennemis de Bernat de Cabrera s’écrit s’écrit

Bernat de Cabrera, ascension, grandeur et chute d’un conseiller

II. Premiers ennemis : le ciel se couvre

2.3. Les Corts de 1358 : la liste des ennemis de Bernat de Cabrera s’écrit s’écrit

L’affaire est évoquée par Pere Çacosta au chapitre 117 :

« Item, depuis ce temps, il est et fut de longue date vrai, notoire, vue commune et renommée que non seulement En Bernat faisait les choses contenues dans le dernier chapitre pour la raison contenue dans ce chapitre mais encore parce qu’il menait le seigneur roi dans les affaires d’importance et par conséquent, exerçait une contrainte sur ledit seigneur roi qui lui accordait plus de crédit qu’à tout autre et lui avait fait des dons notoires et avec l’aide de la cour, il fut le plus grand et puissant de tous les autres barons de Catalogne. Et cela se démontre entre autres choses parce que Bernat, avec ses procédés, fit avec les chevaliers à la solde du seigneur roi, une guerre puissante contre les comtes d’Empuries, d’Urgell et le vicomte de Cardona »201

.

Elle est mal connue et transparaît lors des Corts de 1358 ainsi que, peut-être, dans la

Crònica de Pierre IV.

Les Corts de Barcelone et de Gérone sont en réalité un procès fait par Pierre IV à des nobles et chevaliers qui refusaient de collaborer financièrement ou militairement à la guerre contre la Castille débutée en 1356202. Toutefois, nous allons ici les considérer comme le lieu où nous sont rapportées les oppositions flagrantes à Bernat de Cabrera. Il est possible que cette antagonisme qui se dit et s’écrit ait servi de prétexte pour s’opposer à Pierre IV. Considérons les faits.

Les attaques castillanes contre les frontières aragonaises et catalanes avaient asséché la trésorerie royale. Dans un premier temps, l’aide des villes royales permit d’y subvenir jusqu’au début 1357. En effet, devant l’impopularité de la guerre en Catalogne, et craignant

201 XXXIII, p. 251.

202

MARTIN, J .-L., « Les Corts catalanes de 1358 », Estudis d’Història medieval, IV, Barcelone, 1971, p. 71-84.

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des difficultés de la part des bras ecclésiastique et noble, Pierre IV avait convoqué un Parlement à Lérida le 4 février 1357 et obtenu des villes et cités royales une aide importante. En mai 1357, une trêve était signée avec Pierre I de Castille pour une année. Toutefois, lors de la reprise du conflit en 1358, le bras royal fit pression sur le monarque pour que les autres bras soient enfin mis à contribution. Pierre IV les convoqua pour le 18 juillet 1358.

Les Corts finissent par s’ouvrir le 25 août 1358 après divers retards dont une maladie de Pierre IV. Le bras royal est massivement représenté, tandis que l’absentéisme est quasi général chez les clercs. Nombre de nobles sont absents car appelés sur la frontière valencienne comme l’infant Ferdinand ou le comte d’Osona203, l’infant Pierre est excusé car prévenu trop tard204. Toutefois certains refusent de se présenter en raison de l’animosité de Bernat de Cabrera à leur égard. L’infant Raymond Bérenger ne se présente pas et argue :

…pro eo quare nobilis Bernardus de Capraria et quamplurimi alii consiliarii et de consilio atque officiales dicti domini Regis sunt adversarii nostrii et inimici capitales nostri et partem facientes cum nobili vicecomite de Rochabertino et comite Ausonie inimicis capitalibus nostris qui nos difidarunt, prout hec in tota Cathalonia notoria existunt,…205

Dans cet évitement, il est suivi par le vicomte Hug de Cardona206, Roger Bernat de Foix, vicomte de Castelbon et seigneur de Navailles207, Raymond d’Anglesola, baron de Cabreria208, Guillem Gauceran de Rocaberti, seigneur de Cabrenys209, Dalmau de Queralt210, Ramon Alemany de Cervelló, seigneur de Querolio211, Guillem Ramon de Cervelló, Gombau de Anglesola212, Pere de Cardona, seigneur de Tora213. La comtesse Cécile d’Urgell, convoquée en tant que tutrice de son fils mineur, n’avance aucune de ces excuses mais dans la suite des débats, ses procureurs feront cause commune avec les personnages précités.

C’est un conflit majeur qui oppose le clan de Raymond Bérenger à celui de Felipe Dalmau, vicomte de Rocaberti, du comte d’Osona et de Bernat de Cabrera :

203 Cortes de los antiguos reinos de Aragon, Valencia y Cataluña publicadas por la Real Academia de la

Historia, tome I-2, Madrid, 1896, p. 561 et 564. Le comte d’Osona a envoyé Berenguer de Maylla. 204

Cortes de los antiguos reinos de Aragon, Valencia y Cataluña publicadas…, op.cit., p. 563.

205 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 522.

206 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 528-530.

207 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 530.

208 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 534.

209

Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 536.

210 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 538.

211 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 540.

212

Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 541.

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Propter quam guerrra necessario concluditur et concludendum est inter eos esse inimicias capitales.

Ils craignent que Bernat de Cabrera ne profite de sa position en tant que conseiller des plus écoutés par le roi :

Cum dictus nobilis Bernardus Capraria sit maior et de maioribus vestri honorabilis concilii et maior pars conciliariorum vestrorum et quasi de omnes de domo vestra fuerunt et sunt valitores dicti nobilis Bernardi in dicta guerra214

Pour venir, ils ont certes obtenu un sauf-conduit royal mais ont craint que Bernat de Cabrera ne le fasse annuler. D’ailleurs,

… et presertim cum ad aures nostras pervenerint quod dicti guidatici denegacio nobis concessi fuit facta ad suggestionem prenominati Bernardi de Capraria et aliorum de consilio regio predictorum

Quelques noms sont cités comme amis intimes et familiers du conseiller. Il s’agit de Ferrarius de Minorisa (Ferrer de Manresa) et Bernardus de Ulzinellis (Bernat Dolzinelles)215. Lors des Corts, les attaques se font plus franches et s’adressant au roi, les procureurs l’interpellent sur la partialité du conseiller favori216

.

Zurita nous présente ce conflit comme d’une amplitude majeure217

.

Y estaba toda Cataluña puesta en armas por los que valían a las partes…

…tandis que les résultats de nos recherches sont bien plus modestes218

. En octobre 1357, malgré son attachement, Jean de Gérone proclame, sur ordre de son père et de sa mère, et à la demande de Bernat de Cabrera, une prudente neutralité afin de ne pas aggraver le conflit et causer plus de dommages219.

214 Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 626.

215

Cortes de los antiguos reinos …, op.cit., p. 663.

216

Cortes de los antiguos reinos…, op.cit., p. 671-672.

217 Zurita, IX, 18.

218 En décembre 1360, le comte d’Osona serait entré dans la vallée d’Hostoles, sur les terres du vicomte de Cabrenys. http://www.massanetdecabrenys.com/barons.html. Bofarull aurait fini par douter de l’importance de cette crise :PONS i GURI, J.-M., « Un fogatjament desconegut de l'any 1358 », Boletin de Real Academia de

Buenas Letras de Barcelona, XXX, 1964, p.339–346.

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Le conflit a pu avoir des conséquences dans d’autres milieux et à Barcelone même. C’est l’hypothèse faite par Maria Teresa Ferrer i Mallol qui lie la mort de Ramon Marquet à ce conflit. En effet, Barcelone est le théâtre dans les années 1357-1358 d’un affrontement entre deux bandes rivales de ciutadans honrats qui a conduit à l’assassinat de Ramon de Sant Vicens. Une partie des inculpés – dont Ramon Marquet – ayant tenté de passer sous juridiction ecclésiastique, a été accusée de vouloir échapper à la justice royale. Malgré leurs réclamations, leurs conditions de détention ont été durcies et Ramon Marquet a été exécuté au terme d’un procès jugé irrégulier. Il semble qu’il soit le seul. Son nom réapparaît dans la

Crònica associé à celui de Bernat de Cabrera. À Berenguer d’Abella venu lui annoncer sa

condamnation, Bernat de Cabrera se lamente qu’il n’a pas eu droit à une défense et il s’entend rappeler qu’il subit ce qu’il a infligé, du temps de sa puissance, à Ramon Marquet, ciutadan de Barcelone inculpé pour la mort de Ramon de Sant Vicens220.

Les Corts de 1358 opposent la haute noblesse pyrénéenne à la fois à Bernat de Cabrera et à Pierre IV. Il est difficile de distinguer les arguments utilisés contre l’un de ceux avancés contre l’autre. Nous avons insisté ici sur les reproches faits à Bernat de Cabrera et son fils, dans la mesure où ils mettent en lumière des propos que l’on retrouve dans le procès de 1364. L’homme est jugé trop puissant, influent et manipulateur. Il représente un écran entre Pierre IV et sa haute noblesse qui a beau jeu d’attaquer un « mauvais conseiller » en épargnant le roi. C’est un procédé fort classique. En 1358, cette dénonciation publique s’autorise dans la noblesse. La domination de Bernat de Cabrera se fragilise, il est désormais celui que Pierre IV pourrait un jour jeter en pâture à ses opposants.