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Dans le Magdalena Medio : l’optimisation des luttes sociales par l’ACVC

« Les avertissements de Michel Dobry (1986) sur l’hétérogénéité des mobilisations et des motifs qui y conduisent ne sont pas contradictoires avec — et ne devraient pas décourager — une prise en compte des propriétés sociales de ceux qui s’engagent et du

rôle des affinités et similarités de socialisation »307. Nous reprenons pleinement ce constat de Frédéric Sawicki et de Johanna Siméant. Ils rappellent que l’on peut articuler l’étude des propriétés sociales liées à un contexte sans pour autant omettre la complexité des mobilisations locales que nous avons pu aborder lors du premier chapitre. Ainsi l’ACVC se nourrit du contexte propre au Magdalena Medio, et aux trajectoires militantes dans cette région, mais l’association tente également de s’affranchir de ce contexte régional pour créer une cause collective qui reflète la diversité des situations dans les campagnes colombiennes.

Effervescence des luttes sociales et expérience de la répression

La formulation des causes et la manière de penser l’action collective sont le résultat d’un contexte bien particulier308. La région du Magdalena Medio est une région durement touchée par le conflit armé et par le développement du phénomène paramilitaire, tout en étant une zone d’expériences sociales foisonnante. En effet, la région est le cœur d’une histoire sociale mouvementée, avec le développement des guérillas libérales dans les années 1950, puis avec l’implantation des principales guérillas révolutionnaires dans les années 1970, jusqu’à l’essor d’un tissu d’organisations sociales très riche dans les années 1990.

L’histoire du Magdalena Medio est celle d’une région de frontière agricole relativement récente309 qui a concentré très rapidement un attrait pour différentes ressources (découverte de l’or, du caoutchouc dans les années 1890, du pétrole dans les années 1920 et plus récemment d’autres métaux rares), puis d’un développement de l’industrie de substitution des importations. Plusieurs modèles de développement

307 SAWICKI Frédéric, SIMEANT Johanna, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du Travail, vol 51, 2009, n° 1, p 97‑125, p 106.

308 Au cours d’une autre recherche nous avons pu montrer comment les mémoires collectives des luttes passées conditionnent l’essor de mouvements de résistance agraire en Colombie et au Brésil. En Colombie la mémoire des échecs des mobilisations, le souvenir de la répression des luttes agraires ou encore l’impression d’une fermeture du système politique, ont eu un impact dans le choix du répertoire d’action des guérillas, notamment des FARC. ALLAIN Mathilde, Trajectoires internationales des mouvements agraires…Op.cit.. Au sujet des perceptions des luttes passées voir également: GURR Ted, Why men rebel ?, Princeton University Press, 1970. 309 Le Magdalena Medio a été colonisé très tardivement et les premiers colons paysans sont des habitants déplacés d’autres régions en raison des périodes de violence. Cette zone se trouve à la confluence entre plusieurs régions culturellement très différentes. Le Magdalena Medio fut notamment une zone de refuge pour les guérillas libérales pendant la guerre des Mille Jours. REYES Alejandro, « La Violencia y el problema agrario en Colombia », Análisis Político, n°2, 1987 ; VARGAS Alejo, Magdalena Medio santandereano. Colonización y Conflicto armado, Bogotá, CINEP, 1992.

cohabitent ainsi dans cette région. D’un côté, on trouve le modèle agricole agro exportateurs, autour des grands propriétaires terriens du pays qui ont colonisé ces terres vierges suite à l’essor de l’agro industrie. D’un autre côté le modèle industriel s’y développe rapidement autour d’une nouvelle élite urbaine et des compagnies pétrolières américaines. L’attrait des villes génère également un phénomène d’exode rural massif et l’industrialisation rapide comme le développement de l’agriculture intensive suscitent de nombreuses résistances: paysannes et ouvrières dans les années 1950, puis des mouvements de défense des droits de l’Homme mais aussi des mouvements armés. La spéculation sur les terres est importante et l’État peine à réguler les avancées de la frontière agricole. Il n’existe aucune régulation des droits de propriété et l’incertitude des droits fonciers est grande, la colonisation de ces terres reproduit ainsi le schéma déjà à l’œuvre en Amérique latine entre minifundio et latifundio. La présence de l’État dans cette zone est très faible, et les petits propriétaires terriens sont exclus du développement de l’agro industrie.

Axe principal de communication du pays (autour du fleuve Magdalena) et cœur national d’exploitation stratégique des ressources, la région a été convoitée par de nombreuses guérillas ; la première guérilla du pays nait d’ailleurs à Barrancabermeja en 1948 lorsque la petite ville de l’époque se déclare en insurrection. Au-delà de cet épisode, la région représente un bastion central pour la majorité des guérillas de gauche des années 1960310. La zone du fleuve Cimitarra reste une des dernières bases arrière de la guérilla des FARC dans la région malgré les offensives répétées de l’armée colombienne. L’ELN et les FARC s’affrontent aussi dans les zones rurales. Entre 1985 et 1995 l’ELN enregistre une croissance politique et militaire importante après des années de sommeil et grâce à la rente pétrolière. La guérilla se lie à la vie politique de la région et son influence sur les luttes sociales n’est pas négligeable dans les années 1990, notamment par le biais des milices urbaines à Barrancabermeja. Les campagnes du

310 C’est une des régions d’implantation de la guérilla marxiste des FARC-EP où le front IV s’étendait dans les années 1960 de Barrancabermeja jusqu’à La Dorada et est remplacé plus tard par le front XI. A ses débuts la guérilla possède de bonnes assises locales dans cette région agricole, qui la motive à en faire ensuite une région d’expansion via plusieurs offensives militaires au début des années 1980. Au début des années 1990 la guérilla des FARC compte sept fronts dans la région, une avancée importante. L’arrivée des paramilitaires dès 1997 repousse les guérilleros vers l’intérieur des terres, et l’augmentation des impôts révolutionnaires fait en partie perdre l’appui populaire dans la région. La région est aussi l’épicentre d’une autre guérilla, l’ELN (Ejercito de Liberacion Nacional-l’Armée de Libération Nationale) qui nait en 1965 dans la région de Chucuri, et qui s’étend très rapidement au département du César et sur Barrancabermeja. A la fin des années 1990 l’ELN perd du terrain face à l’offensive paramilitaire, et aux actions de l’État colombien. Elle reste néanmoins active dans la vallée du fleuve Cimitarra. L’EPL (Ejercito Popular de Liberacion-Armée Populaire de Libération) est également présente dans la région bien que très minoritaire.

Magdalena Medio sont ainsi marquées par l’expérience des luttes armées, les guérillas s’y sont installées durablement et recrutent directement dans les villages de la région. Par conséquent, aux yeux du gouvernement colombien cette région a toujours été considérée comme « subversive », un héritage de résistance que l’ACVC tente de nuancer dans son discours en mettant en avant le passé des luttes agraires.

L’histoire orale met régulièrement en scène le Cacique Pipaton, une des figures légendaire de la région qui aurait résisté aux Espagnols. Depuis ce mythe, le Magdalena Medio revendique une expérience de lutte sociale importante. Et pour cause, pendant les nombreuses périodes d’affrontement entre les conservateurs et les libéraux au cours du XXème siècle, la région du Magdalena Medio a longtemps fait office de refuge pour les libéraux. Dans les années 1920, plusieurs organisations paysannes voient le jour autour des Ligues Paysannes liées au Parti Communiste Colombien (PCC) qui luttent pour l’obtention des titres de propriété sur la terre. Le début du XXème siècle est alors marqué par les premières invasions de terres, jusqu’à la promulgation en 1926 de la loi sur la fonction sociale de la terre (qui prévoit que celle-ci doit servir à ceux qui produisent et qui en vivent) et jusqu’à la création de juges spéciaux pour la résolution des conflits agraires. La revanche des propriétaires terriens ne se fait pas attendre, dès 1944 avec la loi 100 qui légalise les contrats de métayage311 et nie toute possibilité de réforme de propriété de la terre. Avec le développement du port de Barrancabermeja dans les années 1920, puis de l’exploitation du pétrole et de l’installation de l’entreprise publique (aujourd’hui semi publique) Ecopetrol en 1951, la région voit également naitre le premier syndicat ouvrier du pays en 1923, la Sociedad Union Obrera, rebaptisé Union

Sindical Obrera (USO) en 1934. Ce syndicat ouvrier se politise progressivement dans

les années 1950 et revendique la nationalisation des ressources naturelles, liant dès le début les conditions des travailleurs à la souveraineté du peuple sur les ressources énergétiques. Les organisations agraires et syndicales soutiennent fermement le leader libéral Jorge Eliecer Gaitan312 assassiné en 1948. Le Magdalena Medio participe très activement aux grandes manifestations civiques en 1975, 1977 et 1981, une période

311 Le métayage est un type de bail rural dans lequel le propriétaire confie à un métayer la culture de sa terre et le rémunère avec une partie de la récolte.

312 Le leader du parti libéral Jorge Eliécer Gaitan (issu d’une dissidence du parti libéral UNIR) est assassiné dans le centre de Bogotá, un épisode connu comme le « bogotazo », et qui marque début de la période de la Violencia, l’affrontement violent entre conservateurs et libéraux. Jorge Eliécer Gaitan représentait pour une grande partie du peuple colombien un réel espoir de changement. Les émeutes suite à son assassinat enflamment la capitale et une partie de la ville est détruite. Les antagonismes se renforcent et se radicalisent suite à cet épisode. De 1948 jusqu’au début des années 1960 les paysans sont largement mobilisés.

d’effervescence sociale en Colombie313, où la mobilisation est très importante dans de nombreux secteurs. Les guérillas de gauche ont à ce moment des capacités militaires très limitées, et investissent largement les espaces politiques et les mouvements sociaux. La mobilisation dans les campagnes est importante, tout autant que la mobilisation ouvrière. Cependant, le développement du narcotrafic et la militarisation croissance des guérillas puis l’essor du paramilitarisme se traduisent par une escalade du conflit. Par exemple, la Coordinadora Campesina Popular (Coordination paysanne populaire), créée en 1982 dans le Magdalena Medio par des paysans de la zone, cherche à lier différentes organisations paysannes plus petites dans la région pour organiser la « grève nationale civile pour la vie » en avril 1987. Les principaux membres de la coordination paysanne sont menacés et persécutés, le mouvement disparaît la même année. Les mouvements ouvriers suivent une trajectoire similaire et font face à la répression sociale à la fin des années 1990.

Un épisode de répression marque particulièrement la région du Magdalena Medio à la fin des années 1980, la persécution et la répression des membres du parti de l’Union Patriotique (UP). Suite à un processus de paix entamé avec la guérilla des FARC dans les années 1980314, l’Union Patriotique, un parti pensé comme une réintégration des guérillas dans le jeu politique, connaît une ascension très rapide dans le pays. En quelques années, plusieurs maires sont élus ainsi que des conseillers, et le parti présente même des candidats aux élections présidentielles315. Cependant l’élan est de courte durée car très vite les candidats et membres du parti sont victimes d’une répression sans précédent, que les partisans de gauche en Colombie n’hésitent pas à qualifier de « génocide »316. En quelques années, plus de 3000 personnes membres de l’UP sont assassinées dans tout le pays317, cette élimination symbolise celle d’une classe politique qui avait suscité l’espoir d’une alternative politique mais aussi d’une transition vers la paix. Les partisans de l’UP dans le Magdalena Medio n’échappent pas à cette répression, et plusieurs membres sont persécutés. Le massacre le plus impressionnant est celui de Segovia (une localité proche de Remedios près de la vallée du fleuve Cimitarra), où des

313 MEDINA Medófilo, La protesta urbana en Colombia en el siglo XX, Bogotá, Aurora, 1984 ; ARCHILA NEIRA Mauricio, Idas y venidas, vueltas y revueltas…, Op.cit.

314 Nous renvoyons le lecteur à l’annexe n° 4 sur la chronologie de la vie politique colombienne.

315 L’UP réussit à faire élire 5 sénateurs, 9 députés, 15 députés départementaux, 351 conseillers et 23 maires. 316 BONILLA Guido, La violencia contra la Unión Patriótica : un crimen de lesa humanidad, Bogotá, Centro de Estudios e Investigaciones Sociales CEIS, 1993.

317 3000 personnes entre 1986 et 2000, ces chiffres incluent aussi les disparus. Le candidat à l’élection présidentielle Jaime Pardo Leal, le sénateur Pedro Luis Valencia et le député Octavio Vargas Cuellar sont assassinés. Plus tard un second candidat à l’élection présidentielle Bernardo Jaramillo Ossa est également tué.

paramilitaires assassinent 46 personnes dans la nuit du 11 novembre 1988318. Cet épisode traumatisant réduit au silence le parti, qui disparaît en quelques mois. Le mouvement syndical connaît une trajectoire similaire dans la région, de nombreux syndicalistes deviennent la cible des paramilitaires dans un pays qui détient le triste record du plus grand nombre de syndicalistes tués sur la période 2000-2010 319.

Face à cette situation, de nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme naissent à Barrancabermeja, et certains militants politiques et syndicalistes s’y reconvertissent dans les années 1990. Ces ONG cherchent ainsi à faire face à l’arrivée des paramilitaires, à la hausse de la persécution des leaders sociaux et aux nombreuses exactions commises par l’armée au nom du conflit armé. Organisations de quartiers, organisations syndicales, et mouvements politiques et populaires se sont largement reconvertis dans des organisations de défense des droits de l’Homme, plus protectrices et en lien avec un secteur plus professionnalisé. Ces organisations, principalement composées d’avocats, accompagnent les leaders menacés ou arrêtés pour « délit de rébellion », elles enquêtent sur les disparitions, les faux positifs et les assassinats. Cependant, elles sont également elles-mêmes prises pour cibles, comme ce fut le cas des militants de CREDHOS, une ONG de défense des droits de l’Homme de Barrancabermeja, dont plusieurs membres ont été assassinés par les paramilitaires en plein centre urbain, tandis que d’autres, menacés, ont été poussés à l’exil320.

Ce sont toutes ces expériences que les leaders de l’ACVC mettent en avant lorsqu’ils présentent l’organisation paysanne. Ils se réclament de tous ces processus sociaux, notamment des luttes indigènes, des ligues paysannes puis des mobilisations des années 1970. Cependant, l’historien et sociologue Mauricio Archila, spécialiste des questions de mobilisations sociales en Colombie, met en garde contre les filiations de résistance entre les mobilisations paysannes passées et celles d’aujourd’hui : « Il ne fait

318 Source : CENTRO NACIONAL DE MEMORIA HISTORICA, Basta Ya ! Colombia : Memorias de guerra y dignidad…Op.cit.

319 Selon l’International Trade Union Confederation (ITUC), 63% des syndicalistes tués dans le monde sont colombiens entre 2000 et 2010. Selon le rapport de l’organisation 10 887 actes de violences ont été enregistrés à l’encontre des syndicalistes entre 1986 et 2010, dont 2832 assassinats. INTERNATIONAL TRADE UNION CONFEDERATION, ILO Sanctions... , Op.cit. Voir également VIDAL CASTANO José, Panorama del sindicalismo en Colombia. Analisis 3, Bogotá, Ed Friedrich Ebert Stiftung en Colombia, 2012. Human Rights Watch a, en de nombreuses occasions, pointé ce triste record, notamment en analysant l’impunité des crimes contre les syndicalistes en Colombie et le peu de protection pour les travailleurs syndiqués. Voir la lettre de HRW adressée à Viviane Morales, fiscale générale de la Nation à la Fiscalité Générale de la Nation (équivalent du procureur général), datée du 29 Septembre 2011. http://www.ens.org.co/apc-aa- files/4e7bc24bf4203c2a12902f078ba45224/Vivian_Morales.pdf.

320 Entretien avec trois membres de la Corporation Régionale pour la défense des Droits de l’Homme, CREDHOS, octobre 2013, Barrancabermeja.

aucun doute que ces expressions de résistance ont existé, ce qui est plus discutable c’est la supposée continuité qui est attribuée à ces luttes sociales, alors que nous avons déjà dit que cette région en tant que telle est récente, et qu’elle a été construite par de multiples acteurs […] il s’agit donc, d’une « tradition inventée », qui cherche à légitimer les actions collectives dans la région » 321. En effet l’impression de continuité des mobilisations paysannes est mise en exergue pour insister sur une filiation mobilisatrice, les expériences militantes de la région sont par conséquent utilisées comme autant d’éléments de résistances pour légitimer l’organisation paysanne et l’action collective.

Toutes ces expériences constituent également des ressources politiques, en termes de savoir-faire, d’articulation et de formulation des demandes sociales, qui sont centrales pour le mouvement paysan de l’ACVC aujourd’hui. De même, la constitution d’un imaginaire d’une région historique de lutte contre le capitalisme dans cette partie du pays, où la présence de l’État est faible, a largement contribué à façonner la formulation des causes défendues par l’association paysanne.

ACVC : une organisation collective qui se nourrit des expériences militantes de la région

L’association paysanne de la vallée du fleuve Cimitarra a baigné dans cette atmosphère, marquée par une longue tradition de mobilisation et par la répression sociale à l’encontre des militants. Ces deux dimensions ont nourrit les leaders de l’ACVC. La relation avec l’État y est très conflictuelle, notamment en raison de la présence du conflit armé et de la stigmatisation des mouvements sociaux accusés de faire partie des guérillas, et la situation économique et sociale des paysans et des quartiers populaires des villes unit les différentes organisations sociales. La période de répression à la fin des années 1990 pousse les acteurs sociaux à travailler ensemble.

L’ACVC se saisit ainsi de ce contexte, mais tente également de reformuler des revendications distinctes des expériences précédentes. Le ton marxiste et l’argumentaire anti-impérialiste qui imprègnent les discours de l’ACVC trouvent en effet une résonnance dans le contexte du Magdalena Medio. Les droits des paysans, la redistribution des terres et la situation sociale de la paysannerie sont mis en lien avec le besoin de repenser le modèle capitaliste dans son ensemble, un système qui opprime les petits paysans et bénéficie aux détenteurs des capitaux, entreprises privées, nationales,

multinationales pétrolières, minières, etc. Les leaders mettent donc en exergue la résistance de la petite paysannerie face à une conception bourgeoise du développement, centré sur l’industrialisation et l’exploitation des ressources naturelles au détriment du respect des citoyens et de la souveraineté alimentaire. Le plan de développement de l’ACVC est ainsi qualifié d’« alternatif et populaire », car il remet au centre le paysan sur son territoire, producteur d’aliment pour « le peuple ». Aux conceptions marxistes des membres de l’ACVC, il faut ajouter une fervente opposition aux investissements étrangers, dans un ton clairement anti-impérialiste et plus particulièrement anti- américain. A ce sujet, l’ACVC est imprégnée des discours révolutionnaires des années 1970 sur les besoins de redistribution et de renversement du modèle capitaliste, bien que l’association paysanne rejette fermement l’affiliation aux guérillas et à la lutte armée. L’organisation paysanne se rapproche également, dans le ton de ses déclarations, de l’expérience syndicale, notamment en termes de revendications nationales contre les multinationales et l’exploitation étrangère des ressources naturelles, un argument qui était au cœur de la naissance du syndicat USO.

Plusieurs sources nous ont amenée à mesurer l’appropriation ou le transfert de cet héritage des luttes vers l’association paysanne : à travers les discours analysés dans les entretiens, à travers les projets collectifs de l’organisation, et enfin à travers les trajectoires sociales des membres de l’organisation. Lors d’un entretien avec un leader de l’association, qui était engagé au sein de Credhos avant de faire partie de l’ACVC, nous percevons plus clairement cet héritage. L’entretien devient un réel plaidoyer politique dans lequel ce leader, en charge des relations régionales de l’association, met en avant un discours sur l’unité du peuple. Dans sa voix, on peut ressentir sa fierté de faire partie de l’association paysanne et il n’hésite pas à, littéralement, taper du poing sur la table lorsque nous l’interrogeons sur la politique nationale :

« Qu’est ce qui vous a motivé à vous lancer dans le processus de l’ACVC ?