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1ère Partie : Des campagnes colombiennes à la solidarité internationale

Comment se mobilisent les paysans colombiens au niveau local et sur quelles thématiques échangent-ils avec des acteurs internationaux ?

C’est à cette question que la première partie de ce travail propose de répondre. En étudiant le niveau local de la mobilisation, on cherchera à analyser les dynamiques de construction des causes paysannes au cours du premier chapitre. Nous chercherons à mieux cerner ces acteurs et à identifier les organisations qui rassemblent les doléances individuelles autour d’un sens commun. Nous rendrons ainsi compte des particularités du militantisme local dans les campagnes colombiennes, des raisons qui motivent l’engagement des paysans et la manière dont ces derniers perçoivent leurs luttes.

Puis, dans un deuxième chapitre, nous analyserons l’imbrication des divers héritages historiques et des dynamiques internationales qui ont contribué à former les revendications paysannes et ont façonné leur rapport à la solidarité internationale. Nous mettrons ainsi en exergue le contexte spatial et temporel de deux régions dans lesquelles se mobilisent les paysans colombiens, le Magdalena Medio et le Bas Atrato, qui sont marquées par des périodes de violences ayant suscité l’arrivée de divers soutiens étrangers. Nous montrerons comment les paysans colombiens sont passés de demandes portant sur le droit à la terre à des revendications relatives au territoire, ainsi que l’influence des droits de l’Homme dans ces évolutions.

Enfin, le troisième chapitre s’intéressera de plus près aux rencontres entre acteurs locaux et internationaux, avec l’objectif de comprendre d’une part la densité des liens de solidarité qui se nouent et, d’autre part, d’analyser les mécanismes de production d’un sens commun entre des acteurs si différents. Nous verrons ainsi que les acteurs locaux interagissent avec des soutiens internationaux très divers, et construisent des solidarités fragmentées. Nous nous concentrerons ainsi sur les espaces de rencontres entre acteurs locaux et internationaux pour comprendre comment ils parviennent à partager et à construire des relations originales.

CHAPITRE 1. Se mobiliser localement en

Colombie

Introduction

Au cours de ce premier chapitre il sera question de saisir le point de vue des acteurs locaux, en se rapprochant le plus possible de leur quotidien, de leur manière de percevoir leur situation afin de comprendre les caractéristiques de l’action collective dans les campagnes colombiennes. L’approche par le local nous permet de renverser la tendance des études sur les grandes causes internationales et leur circulation, des études qui se focalisent sur le résultat, en oubliant les raisons de l’existence de ces revendications « dites globales »201. Nous verrons ainsi les particularités des mouvements locaux étudiés, la diversité de leurs membres et ce que militer veut dire dans ces contextes.

Cependant étudier le local et comprendre les perceptions des acteurs locaux nécessitent tout d’abord de les identifier. Or, où placer le curseur du local ? Qui sont les acteurs à la base de toute mobilisation et comment ces « citoyens ordinaires » 202 perçoivent-ils leur situation ? Le niveau local des campagnes colombiennes comporte de nombreux obstacles pour l’action collective203 mais, plus qu’un lieu c’est aussi un espace particulier où se construisent les perceptions des acteurs locaux204. Penser l’ancrage local des acteurs qui revendiquent la défense de leur territoire pourrait sembler une évidence, or il n’est pas aisé de saisir ses délimitations tant matérielles que cognitives.

Au cours de ce chapitre, nous exposerons deux constats. Premièrement, les paysans s’expriment à partir de leur contexte, celui qu’ils perçoivent, qui correspond à l’espace d’un bassin ou d’un village. Le contexte des acteurs locaux a une influence sur leurs

201 Johanna Siméant montre qu’il est pertinent d’analyser des dynamiques internationales au niveau local. SIMEANT Johanna, « Localiser le terrain de l’international… », Op.cit.

202 GAXIE Daniel, « Cognitions, auto-habilitation et pouvoirs des citoyens», Revue française de science politique, vol 57, n°6, 2007, p 737-757.

203 Un aspect peu abordé par la littérature sur les mouvements sociaux, comme le constate plusieurs chercheurs. COMBES Hélène, HMED Choukri, MATHIEU Lilian, SIMEANT Johanna, SOMMIER Isabelle, « Observer les mobilisations: Retour sur les ficelles du métier de sociologue des mouvements sociaux », Politix, vol 93, n°1, 2011, p 7-27.

204 Wendy Wolford parle ainsi « d’imaginaires spatiaux » dans ses travaux sur le mouvement des Sans Terre du Brésil. WOLFORD Wendy, Land is ours : the Social Mobilization and the Meaning of Land in Brazil, Durham, Duke University Press, 2007.

pratiques et sur la construction des causes locales205. Or, cette localité ne signifie pas que ces contextes soient pour autant autonomes des événements qui se déroulent en dehors de ces espaces, au contraire, ils sont bien traversés par les dynamiques nationales et internationales206. Par conséquent la compréhension fine des contextes locaux des enquêtés permet de comprendre de quelles manières ces derniers se lient avec d’autres espaces et d’autres acteurs207.

Deuxièmement, la recherche des acteurs locaux nous mène nécessairement au rôle que jouent les organisations collectives dans la construction de ce que constitue « la base sociale », celle qu’elles revendiquent208. En effet, les paysans deviennent des acteurs lorsqu’ils émergent au sein de collectifs. Ainsi c’est le processus d’identification des « acteurs locaux » qui poussent à l’identification des organisations paysannes. Nous verrons que plusieurs paysans se sentent affiliés à un processus d’organisation locale, les conseils d’action communale ou les conseils communautaires tandis que d’autres paysans revendiquent plus directement leur affiliation à l’ACVC et aux zones humanitaires des bassins du Bas Atrato. A ce sujet, nous verrons qu’il existe divers degrés d’appartenance des paysans à ces collectifs, et que plusieurs éléments de langage, des manières de raconter leurs histoires individuelles ou d’exprimer leurs doléances, témoignent de la prégnance d’un processus de mise en commun des trajectoires et des injustices. Les organisations paysannes sont par conséquent des lieux d’observation des dynamiques locales, en tant que réceptacles des besoins locaux et en tant qu’entités travaillées par les trajectoires individuelles et la construction du collectif. Nous verrons comment ces organisations se constituent comme des relais essentiels pour faire exister les causes paysannes.

205 Dans un état des lieux de la littérature sur l’espace des luttes, Javier Auyero montre que « l’espace devrait donc être envisagé non seulement comme le produit des processus sociaux – c’est-à-dire « socialement construit » – mais également comme participant de l’explication de ceux-ci, le social étant, en d’autres termes, « construit dans l’espace » ». AUYERO Javier, « L'espace des luttes… », Op.cit., p 124.

206 Jean Louis Bricquet et Frédéric Sawicki montrent que le local n’est pas autonome vis-à-vis d’autres niveaux. BRICQUET Jean Louis, SAWICKI Frédéric, « L’espace du local »…, Op.cit.

207 Ajouté au fait que le local ne soit pas autonome (comme exposé précédemment), Lilian Mathieu insiste quant à lui sur le fait que « l’espace des mouvements sociaux » n’a qu’une autonomie très relative par rapport à d’autres champs et que ces espaces sont soumis aux influences que d’autres univers peuvent y exercer. Le niveau local est par conséquent un espace pertinent pour comprendre comment les paysans entrent en interactions avec d’autres acteurs locaux, nationaux ou internationaux. MATHIEU Lilian, « L'espace des mouvements sociaux », Politix, n°77, 2007, p 131-151.

208 Charles Suaud montre que la base sociale n’existe pas en soi, que c’est « un mythe ». SUAUD Charles, « Le mythe de la base… », Op.cit.

Ainsi, dans une première section nous analyserons tout d’abord les caractéristiques de l’engagement dans les campagnes colombiennes avant d’expliciter les processus de construction des revendications collectives dans une deuxième section.

SECTION 1/ COMPRENDRE L’ENGAGEMENT DES PAYSANS