• Aucun résultat trouvé

Méthodologie de travail

1. Démarche comparative

1.4 Méthode comparative

Pour la comparaison des langues dans une perspective typologique, Lazard propose une méthode151 qui consiste à s‟appuyer au départ sur une représentation intuitive et à examiner ensuite comment cette représentation est reflétée par les langues, et ce en insistant sur la nécessité de donner à la base de départ intuitive une forme bien définie et d‟exclure par la suite l‟intuition et la spéculation de l‟observation des données :

151 La démarche proposée par Lazard n‟est pas, selon lui, une nouvelle théorie du langage, mais la théorisation d‟une pratique plus au moins répandue.

130

La démarche est donc la suivante. On choisit un secteur de l‟espace conceptuel présumé152 en corrélation avec certains faits linguistiques. On se donne des définitions précises pour structurer ce secteur. Elles doivent être telles qu‟elles permettent d‟identifier, autant que possible dans toutes les langues, des formes d‟expression qui y répondent. On dispose ainsi d‟une base sur laquelle on peut comparer ces expressions et la manière dont elles sont structurées dans chaque langue. On peut donc en principe par ce moyen, d‟une part, saisir ce que ces structurations ont de commun, c‟est-à-dire, si les langues comparées sont assez nombreuses et assez diverses, un invariant, et, d‟autre part, apercevoir en quoi elles différent, c‟est-à-dire bâtir une typologie. (Lazard 2006 : 128)

Les opérations se déroulent donc en deux étapes. Le linguiste choisit au départ une notion (ou un ensemble de notions) –en rapport avec la question (ou les questions) grammaticale(s) qui l‟intéresse(nt)– qui constitue le cadre conceptuel servant d‟instrument à sa recherche. La seconde étape consiste à voir comment cet ensemble conceptuel est exprimé dans les langues. Lazard privilégie donc une approche qui va du cadre conceptuel à l‟expression, c‟est-à-dire du contenu de sens à la forme, dans la comparaison des langues.

L‟auteur précise qu‟en dépit du fait que cette démarche (onomasiologique) n‟offre pas la garantie de l‟objectivité (étant basée sur l‟intuition), elle est rendue inévitable par l‟inexistence de base de comparaison objective. Mais il précise que seule la première étape est fondée sur l‟intuition, c‟est-à-dire qu‟elle est forcément empreinte d‟une certaine subjectivité. La seconde, qui se situe entièrement sur le plan des structures linguistiques préalablement décrites selon une procédure objective (démarche sémasiologique : allant de la forme au sens), ne laisse en principe aucune place à l‟intuition (Ibid. : 129).

En ce qui nous concerne, après avoir rencontré un certain nombre de difficultés (présentées plus haut) au départ pour comparer les trois langues, nous étions intuitivement arrivés à une solution. Celle de prendre comme base de comparaison soit le présent actuel soit

152 Lazard suggère d‟élaborer, pour des secteurs grammaticaux ou lexicaux déterminés, des ensembles conceptuels sur lesquels pourrait s‟appuyer la comparaison des langues. Ces cadres conceptuels seront des définitions et propositions posées par décision théorique, admises sans démonstration, c‟est-à-dire fondées sur l‟intuition. Des cadres conceptuels, certes intuitifs, mais explicites et clairement formulés. Le choix de ces cadres est guidé par l‟expérience des langues aussi diverses que possible.

131

l‟habituel et ce en identifiant dans ces langues les formes verbales qui expriment ou participent à l‟expression de l‟une ou l‟autre de ces notions. Nous avons finalement opté pour la notion du „présent actuel‟.

Ce n‟est qu‟en entamant l‟étape de l‟identification de ces formes que nous avons pris connaissance de la méthode proposée par Lazard pour comparer les langues dans une perspective typologique. Selon nous, cette méthode décrit exactement et d‟une manière explicite la démarche que nous avons adoptée implicitement. En effet, nous avons commencé au départ par choisir une notion (en rapport avec la question qui nous intéresse) qui constituera notre cadre conceptuel et servira d‟instrument à notre recherche :

- Cadre conceptuel

Le cadre conceptuel est la notion du présent actuel 153, c‟est-à-dire l’instant qui coïncide avec le moment de la parole/ de l’énonciation.

- Postulat :Toute langue a les moyens d’exprimer le présent actuel.

Cette notion peut être exprimée dans n‟importe quelle langue et par divers moyens. - Moyen morpho-syntaxique choisi : la forme verbale

Dans cette étude, nous nous intéressons en particulier aux différentes formes verbales susceptibles d‟exprimer cette notion en arabe marocain, berbère tamazight et français.

Nous avons donc choisi le présent actuel, en tant que catégorie sémantico-cognitive ou notionnelle ; appartenant au fond sémantique universel de l‟homme c‟est-à-dire à ses connaissances universelles sur le monde et en particulier sur l‟organisation de l‟espace-temps, à travers les différentes formes du verbe destinées à l‟exprimer. Partant du principe que cette notion existe pour tout usager de la langue, l‟étude de son fonctionnement ne pourrait se faire qu‟à travers des données issues de différentes langues.

153 Nous avons choisi de prendre le terme « présent » dans son sens ordinaire, c‟est-à-dire le « présent actuel/momentané » comme base de comparaison. Ce choix est purement méthodologique ; toutes les langues expriment le „présent actuel‟ d‟une manière ou d‟une autre. D‟autant plus qu‟à cette étape du travail, nous ne prétendons nullement que le „présent actuel‟ soit la valeur première de la forme du présent de l‟indicatif en français.

132

Enfin, la première étape du travail était de trouver une notion de base sur laquelle repose la comparaison, la deuxième serait de voir comment cette notion est exprimée dans les langues étudiées, i.e. identifier les formes verbales destinées à l‟exprimer dans ces langues. Ayant pour objectif d‟examiner également le fonctionnement de ces formes verbales, c'est-à-dire leurs différents emplois dans les langues étudiées, en vue de préciser ce que ces langues ont en commun et en quoi elles différent, nous avons rajouté deux autres étapes de travail (c et d). Ainsi notre démarche se résume comme suit :

a) Choix du cadre conceptuel ou de la notion qui assure l‟ancrage indispensable à la confrontation des langues étudiées ;

b) Identification des formes verbales qui expriment cette notion dans ces langues ; c) Analyse morphosyntaxique de ces formes verbales

d) Examen des autres valeurs rendu par ces formes lorsqu‟elles ne se bornent pas à exprimer le présent actuel.

La notion du présent actuel sera examinée à partir des corpus oraux des trois langues. Dans la section suivante, il sera question de la démarche à suivre pour le traitement de certains phénomènes liés à l‟oralité. Il s‟agit de trouver un statut descriptif de ces phénomènes et de voir si les outils de description de l‟écrit conviennent à l‟oral.

2. Démarche adoptée pour l’analyse de la langue parlée 2.1. Caractéristiques de la langue parlée

La langue parlée se caractérise par un certain nombre de phénomènes154 comme les hésitations, répétitions, « bribes », amorces, reprises, corrections, inachèvements, recherche de mots, fréquence de « euh », etc. comme l‟illustrent les éléments soulignés dans les énoncés suivants :

133 - Français (ESLO)

QG : maintenant euh au point de vue euh infrastructures ben je pense que euh Orléans se se développe dans dans une certaine harmonie oui je pense

MD : euh on a beaucoup parlé des évé- des événements de mai dernier euh

- Arabe marocain (LCO)

AB : ka- mlli ka nfiq f es-sbah ka t- euh ka tdwwec ka tfter ka tlbes ka t- euh bon ka txurj ka tji l el-xdma hnaya ka tbqa hnaya f el-xdma hna f el-biru wlla ka tmci 3awed-tani l-lliqa'at

(prv-) quand prv je-se réveiller-inac dans le matin (prv euh) prv je-se laver-inac prv je-prendre le petit déjeuner-inac prv je-s‟habiller-inac (prv euh) bon prv tu-sortir-inac prv tu-venir-inac au travail ici prv tu-rester-inac ici dans le travail ici dans le bureau ou prv tu-partir-inac encore une fois aux rencontres (...)

« Quand je me réveille le matin, je prends une douche, je prends le petit déjeuner, je m’habille, bon, je viens au travail ici, je reste au bureau ou je pars encore faire des rencontres (...) »

- Berbère tamazight (LCO)

EM : (...) euh euh euh mad g tmazirt la netjma3 d ilussan d tlusin d warraw-nsen iwa id dad la ntetta Ras nukni d waraw-nex can wadjar imci dix la ntmRra in- ingr-ax la-asn nqqar njm3 ass dnin dix Rrin-ax (...)

(euh euh euh) „pour ce qui est de‟ dans le bled prv nous-se rassembler-inac avec les beaux-frères et belles-soeurs et leurs enfants, alors ici prv nous-manger-inac que nous et nos enfants quelques voisins comme ça ; aussi prv on-s‟inviter-inac entre-nous prv à eux nous-inviter-inac nous-se rassembler-aor ; jour autre aussi ils-inviter-inac à nous (...)

« Au bled on se réunit avec nos beaux-frères et belles-soeurs et leurs enfants, mais ici on mange seuls avec nos enfants ; avec quelques voisins, on s’invite, un jour chez nous, un autre chez eux (...)»

134