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De l’arabe marocain et du berbère tamazight

2. L’arabe dialectal en France : passage à l’écrit et choix d’une graphie

La situation de l‟arabe dialectal98 en France est actuellement en pleine évolution. Depuis 1999, il est valorisé par sa reconnaissance en tant que langue de France aux côtés du berbère, du yiddish, du rromani et de l‟arménien occidental. Le nouveau statut de l‟arabe dialectal relance la question du système graphique à adopter pour noter cette langue, question qui s‟est déjà posée lors du passage à l‟écrit de l‟épreuve du bac (1995).

En effet, Caubet avance qu‟une langue de France doit disposer d‟un code graphique établi :

A la suite du débat sur la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires du Conseil de l‟Europe, il paraît important de consolider la valorisation qui a accompagné la reconnaissance de l‟arabe dialectal comme „langue de la France‟ en dotant cette langue d‟un système graphique stabilisé. (Caubet 2002 : 307)

L‟arabe dialectal a été enseigné depuis longtemps en France, dans le supérieur, à l‟Ecole des Langues Orientales, dans le secondaire, depuis le XXe siècle. Il a récemment fait son apparition dans le primaire, depuis la réforme Bayrou 199599.

L‟arabe dialectal fait partie des „langues facultatives‟100

dont les épreuves au baccalauréat sont passées de l‟oral à l‟écrit lors de la session 1995. Les candidats de cette nouvelle épreuve d‟arabe, dont le nombre ne cesse d‟augmenter, avaient le choix entre cinq et de le faire progressivement passer vers la connaissance de l‟arabe classique, par une approche globale de la lecture (Caubet 1999 : 236).

98 Rappelons que l‟arabe dialectal est, à la différence de l‟arabe classique/littéraire qui est enseigné par l‟école et qui sert pour l‟écrit, la langue de l‟échange quotidien entre arabophones. Parmi les variétés de l‟arabe dialectal, on distingue les parlers arabes d‟occident (appelés également parlers de l‟arabe maghrébin : arabe marocain, algérien, tunisien, libyen, hassaniyya, maltais, andalou et judéo-langues inclus), et les parlers arabes d‟Orient (Machrek) nettement différenciés des parlers d‟Occident (Maghreb).

99Cf. B.O.E.N (Bulletin Officiel de l'Éducation Nationale) n° 19, 11 mai 1995 et n° 27, 2 juillet 1998. Depuis 1995, tous les enfants du primaire en France doivent recevoir une initiation à une langue étrangère au cours de l‟enseignement primaire. Les langues possibles sont en nombre de six : anglais, allemand, espagnol, italien, portugais et arabe.

100 L‟INALCO a été chargé d‟organiser les épreuves pour 29 des 32 langues facultatives concernées depuis 1995 : albanais, amharique, arabe dialectal (algérien, marocain, tunisien, égyptien, syro-libano-palestinien), arménien, bambara, berbère (kabyle, chleuh, rifain), bulgare, caombodgien, coréen, croate, finnois, haoussa, hindi, hongrois, indonésien-malaysien, laotien, macédonien, malgache, persan, peul, roumain, serbe, slovaque, slovène, swahili, tamoul, tchèque, vietnamien, (norvégien, suédois et turc ne relèvent pas de l‟INALCO).

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langues : trois maghrébines (le marocain, le tunisien et l‟algérien) et deux orientales (l‟égyptien et le syro-libano-palestinien).

Avec le passage à l‟écrit, s‟est posé immédiatement la question de la graphie à utiliser. L‟équipe de l‟INALCO, qui s‟occupait de l‟organisation des épreuves, a opté pour une double graphie (arabe et latine). Caubet (1999 : 240) justifie ce choix de la manière suivante :

-« La graphie arabe, pour les élèves récemment arrivés du Maghreb ou qui maîtrisent bien la graphie arabe ; mais surtout pour des raisons identitaires, ceux qui savent lire l‟arabe n‟aimant pas le lire (même l‟arabe maghrébin) en graphie latine.

-La graphie latine, pour les élèves ayant grandi en France, pour ceux qui ne savent pas lire l‟arabe classique (...) ».

L‟auteur précise qu‟il n‟est pas facile de trancher pour une graphie ou pour une autre car le poids des considérations idéologiques qui entourent cette question est considérable :

Si les gens savent lire l‟arabe littéral couramment, ils ont du mal à se mettre à la graphie latine ; on sent des blocages psychologiques, d‟ordre idéologique ou identitaire, qui rendent l‟accès au texte difficile (...) si les gens maîtrisent mal ou pas du tout la graphie arabe, et très bien le français, ils préfèrent prendre quelques minutes pour déchiffrer la transcription. (Ibid. 322)

Ainsi, les attitudes et représentations des locuteurs sont des facteurs décisifs dans le choix de la graphie : les « graphèmes ou options graphiques sont investis de valeurs symboliques très fortes, qui susciteront l‟adhésion ou le rejet »101

.

Caubet affirme que si, pour des publications au Maghreb, il est possible de n‟utiliser qu‟une graphie arabe (normalement acquise à l‟école), pour la France et l‟Europe, il paraît indispensable d‟y ajouter une graphie latine simple (phonologique, mais moins difficile que la transcription des linguistes), pour pouvoir toucher ceux qui ne savent pas lire la graphie arabe et ceux qui ne sont pas des locuteurs natifs. D‟autant plus que, ajoute-t-elle, en France, très peu d‟arabophones connaissent la graphie arabe.

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Dans le même sens, S. Benjelloun (2002 : 95) précise que la majorité des jeunes d‟origine immigrée nés en France ne peuvent accéder à la langue et à la culture arabes que par le biais de la graphie latine et qu‟il suffit de comparer le nombre de copies transcrites en caractères latins à l‟option facultative d‟arabe maghrébin pour s‟en apercevoir (74,5 % en graphie latine contre 25,5 % en graphie arabe, en 1999). Benjelloun souligne que le choix de la double graphie a pour but de :

-Reconnaître aux élèves qui ne maîtrisent pas l‟arabe standard le droit d‟apprendre l‟arabe marocain en se servant de l‟outil qui est à leur portée, la graphie latine.

-Affirmer le caractère arabe de l‟arabe marocain et ses liens avec l‟arabe standard.

-Montrer que les deux graphies répondent à des besoins réels et se complètent comme outil d‟apprentissage.

L‟équipe de l‟INALCO avait donc opté au départ pour une double graphie (arabe et

latine) pour les publications et pour l‟épreuve du Bac, malgré sa lourdeur. Cependant, certains enseignants d‟arabe se sont opposés à ce que « l‟arabe » soit noté en caractère latin, car selon eux, cette transcription déprécierait la langue („arabe‟). La suppression de la graphie latine aurait, selon Caubet (1999 : 243), des conséquences dramatiques sur le nombre de candidats, cela : « reviendrait à éliminer 70 % des candidats ».

Le Ministère de l'Education Nationale a donc décidé de supprimer l'épreuve facultative d' « arabe dialectal » au Bac (qui était écrite de 1995 à 1999) et de la «remplacer » par une épreuve d'arabe (sans adjectif) orale portant sur des textes exclusivement en graphie arabe (B.O.E.N 1er février 2001 : « en langue arabe littéral ou en langue arabe dialectal, écrit en arabe »), ce qui suppose une très bonne connaissance de l'arabe littéral (qui ne s‟apprend qu‟en milieu scolaire) et élimine donc la très grande majorité des candidats.

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