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De l’arabe marocain et du berbère tamazight

1. Constitution du corpus

1.7. Les langues parlées

Concernant les langues parlées par nos témoins, nous sommes partie de leurs déclarations en sorte qu‟il est difficile, à partir de cette enquête, de mesurer le degré de compétence réel.

Deux témoins peuvent être considérés comme monolingues, sept comme bilingues et

dix-huit trilingues ou plus :

Monolingue : ne parlant que l‟arabe ou le berbère ;

Bilingue : arabe-berbère ; arabe-français ;

Multilingue : arabe-berbère-français, arabe-français-anglais, arabe-berbère-italien, arabe-français-espagnol, arabe-berbère-français-anglais, arabe-berbère-français-espagnol, arabe-berbère-français-espagnol-russe, arabe-berbère-français-allemand, arabe-berbère-français-espagnol-anglais.

67 Nombre de locuteurs Monolingue 2 Bilingue 7 Trilingue (3 langues) 10 Quadrilingue (4 langues) 6 Quinquilingue (5 langues) 2

Répartition des témoins selon le nombre de langues parlées

Nombre de locuteurs en fonction des langues parlées

Langues parlées berbère arabe français anglais espagnol italien allemand russe nombre de

locuteurs monolingue x 1 x 1 bilingue x x 1 x x 6 multilingue x x x 5 x x x 1 x x x 3 x x x x 2 x x x 1 x x x x 2 x x x x 1 x x x x 1 x x x x x 1

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x x x x x 1

Quelques observations qui ne peuvent être généralisées (faute d‟étude statistique fine) s‟imposent :

a. il y a une attrition74 de la langue d‟origine (maternelle) chez les témoins les moins âgés. En plus du facteur d‟âge, contribueraient à ce phénomène :

 le lieu de naissance (France/Maroc) ;

 la date d‟arrivée en France ;

 le pays de scolarité (ceux qui ont fait une partie de leur scolarité au Maroc parlent bien l‟arabe) ;

 la (les) langue(s) maternelle(s) des parents ;

 les langues parlées à la maison ;

 les langues parlées par l‟entourage…

Barontini & Caubet (2008 : 46) fait l‟hypothèse que les facteurs de transmission de l‟arabe maghrébin ne se limitent pas à la volonté ou aux compétences linguistiques des parents et des enfants, mais que d‟autres facteurs interviennent comme « le parcours scolaire, le milieu social, le mode d‟habitat, les réseaux sociaux et communicationnels…». Caubet (2001 : 1) ajoute que le statut « minoré » de cette langue peut entraver sa transmission, en particulier du fait de sa « relation de dépendance et d‟infériorité vis-à-vis de l‟arabe classique». Elle souligne également l‟importance d‟une valorisation « extérieure au milieu familial » et ses répercussions pour dynamiser la transmission familiale.

b. Il semble que le berbère soit le plus affecté par le phénomène d‟attrition. Dans les familles berbérophones que nous avons interviewées les moins de vingt-deux ans ne

74 L‟attrition langagière se réfère à la perte d‟une langue, ou du moins de certains aspects de cette langue, pour des raisons autres que pathologiques (aphasie).

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parlent pas berbère (bien qu‟ils le comprennent) et ceux qui ont entre vingt-deux et quarante ans le parlent moins bien que ceux qui en ont plus de quarante.

Cela est confirmé par l‟enquête de l‟INED de 1999 qui indique que le berbère se transmet moins bien que l‟arabe maghrébin. Et à propos des résultats de l‟étude de Burricand et Fihon (2003) sur la transmission de la langue aux enfants en Ile-de-France – qui relève que la proportion d‟adultes ayant parlé à leurs enfants de moins de cinq ans la langue que l‟un de leurs parents (au moins) leur parlait à cet âge est de 67% pour l‟arabe et 50% pour le berbère – Deprez avance cette proposition : « Il est alors tentant pour les sociolinguistes de mettre cet écart de 17 points sur le compte du statut de langue minoritaire du berbère par rapport à l‟arabe, mais ce n‟est bien sûr qu‟une hypothèse de travail ».

La même observation à propos de l‟attrition du berbère a été faite par S. Chaker (2008 : 52) qui indique que la pratique „quotidienne‟ du berbère est généralement le fait des personnes âgées ou de personnes ayant un lien encore fort (récent et/ou régulier) avec la région d‟origine, quel que soit leur âge. Et au niveau de la pratique et de la transmission du berbère, S. Chaker s‟appuie sur une monographie75

réalisée en 2002 qui semble confirmer, voire accuser la régression de la transmission :

Dès la première génération d‟enfants nés en France (G1), le berbère n‟est plus la langue usuelle ; elle n‟est utilisée que dans le cercle familial avec les parents et/ou grands parents, quasiment jamais entre les enfants, sauf pour sa fonction cryptique. On détecte d‟ailleurs des différenciations suivant la position dans la fratrie : les ainé(e)s sont plus berbérophones que les cadets. Et il n‟y a pas, ou qu‟exceptionnellement, transmission vers la deuxième génération d‟enfants nés en France (G2). Tendanciellement, la pratique active du berbère disparait presque totalement dès la génération 2. (Ibid. 2008 : 53)

Examinant la situation du berbère au Maroc, A. Boukous (1995b)76 montre à l'aide d'arguments et d'exemples que le berbère est en régression, particulièrement dans les villes où les berbérophones perdent leur compétence en langue maternelle. Il l‟explique par le contact

75 Monographie de D. Aouchiche, réalisée en 2002 dans une famille de la région parisienne.

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avec l'arabe marocain, l'arabe standard et le français et montre que l'arabe marocain gagne du terrain, même dans l'espace familial normalement associé au berbère. L‟auteur précise qu‟il est urgent, pour inverser cette situation, de standardiser et de codifier77 le berbère.

Cette situation des langues à statut minoritaire se retrouve partout dans le monde quand des langues vernaculaires sont soumises à un implacable processus de déperdition avant de disparaître78, hormis quelques exceptions où les décisions d‟aménagement linguistique à caractère local essaient de promouvoir ces langues79.

Par ailleurs, comme ce travail a pour objectif d‟étudier un phénomène linguistique, l‟expression du présent en arabe marocain, berbère tamazight et français parlés à Orléans, et dans la mesure où le thème est un fait de langue et non une étude sociolinguistique, la représentativité n‟est pas assurée sur ce plan. Les échantillons retenus ne sauront être véritablement représentatifs de toute la communauté marocaine présente sur Orléans. Néanmoins, se voulant diversifiés, ils offrent également une catégorie particulière de locuteurs, rarement inclus dans les échantillons, des locuteurs en situation irrégulière80

(des „sans papiers‟).

En l‟état, la diversité qui a présidé à la constitution de ce corpus permet d‟y voir un réservoir intéressant dans lequel on peut rechercher des données et espérer découvrir des distributions originales de certains faits de langues.

1.8.L’enregistrement

La qualité de la constitution du corpus est un facteur de la relation de confiance établie entre nous, en tant que personne (de la même communauté linguistique) et en tant que chercheur (qui peut, du point de vue des locuteurs, contribuer à la promotion de leur langue), et les enquêtés.

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Deux tentatives de normalisation du berbère seront présentées dans le chapitre III, l‟une dans le cadre d‟une institution publique et l‟autre en dehors de toute intervention institutionnelle ou étatique.

78 Cf. Fishman 1972, Haugen 1972, Calvet 1987, Clairis 1991, entre autres. (cités dans Boukous 1995b)

79 Cf. par exemple Chung 1967 pour l‟expérience vietnamienne et Sow 1977 pour une expérience en Afrique. (cités dans Boukous 1995b)

80 Un de nos témoins est en situation irrégulière en France, c‟est un „sans papiers‟ (il a été sollicité pour un récit de vie) ; deux l‟ont été pendant cinq et six ans, ils viennent d‟être régularisés.

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Avant de commencer l‟enregistrement, nous essayons de nous familiariser81

avec le témoin pour qu‟il se sente parfaitement à l‟aise et que la conversation enregistrée soit aussi naturelle que possible. En effet, nous avons pris systématiquement le temps de discuter avec le témoin pour avoir sa confiance. Tout cela a l‟avantage d‟atténuer « le paradoxe de l‟observateur » et d‟accéder au vernaculaire82

du locuteur. Comme le précise Bourdieu :

« La proximité sociale et la familiarité assurent en effet deux des conditions principales d‟une communication „non violente‟ ». Bourdieu (1993 : 1395)

En effet, la situation d‟enquête, notamment l‟entretien, qui met en relation l‟enquêteur et l‟enquêté, produit sur ce dernier des effets artificiels empêchant l‟objectivité et la représentativité de ces informations. Il s‟agit alors pour l‟enquêteur, par son savoir sur la personne interrogée comme sur les effets de la situation d‟enquête, d‟adapter au mieux celle-ci afin de la rendre la plus facelle-cile et la plus sensée pour la personne interrogée.

Notre relation privilégiée avec les témoins vient du fait que nous partageons avec eux un certain nombre de traits : même origine (pays d‟origine), même langue(s), même situation en France (appartenance à la population immigrée), etc.). Nous sommes membre à part entière de la culture vernaculaire. Nous la connaissons de l‟intérieur et nous la comprenons profondément. Cela permet, selon Labov (1978 : 10) de « réussir une pércée plus profonde ».

Les enregistrements ont été recueillis à Orléans entre 2008 et 2009. 8 enregistrements ont été effectués à ACM Formation et le reste (38 enregistrements) chez les témoins, soit 46 enregistrements (audio) au total, d‟une durée variant de 5 minutes (recettes de cuisine/communications téléphoniques) à 45 minutes83.

81 Les problèmes de proximité/distance du chercheur aux situations enquêtées « ont été traités en termes de paradoxe d‟observateur-selon lequel le phénomène enquêté se dissout dès qu‟il est observé (tel le vernaculaire pour Labov 1972)- aussi bien qu‟en termes de violence symbolique entre l‟enquêté et l‟enquêteur (Bourdieu, 1993). Ils ont aussi été traités en termes de réflexivité- par des chercheurs intégrant leur présence et celle du dispositif d‟enquête dans l‟analyse de l‟objet enquêté (en anthropologie notamment, Clifford & Marcus, 1986, Mondada, 1998) » (Baude 2006 : 52).

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Par vernaculaire nous entendons la langue parlée seulement à l‟intérieur de la communauté.

83 Nous avons voulu avant tout obtenir un corpus audio d‟une bonne qualité sonore. Le matériel utilisé pour l‟enregistrement est Marantz avec une carte flash installée. Les fichiers son sont enregistrés sous format WAV.

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