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La distinction verbes réguliers ~ irréguliers Les verbes réguliers Les verbes réguliers

Analyse de la forme du « présent de l’indicatif » en français

3. La distinction verbes réguliers ~ irréguliers Les verbes réguliers Les verbes réguliers

La notion de régularité est cruciale dans la conjugaison du français. On distingue les verbes réguliers et les verbes irréguliers. Dans la plupart des descriptions, un verbe régulier est un verbe qui ne fait pas exception au système de règles proposé. Paradis et El Fenne (1995) déclarent que les verbes réguliers sont les verbes non supplétifs et non-défectifs200.

De son côté Dressler (1997, 1998) considère qu‟une définition des verbes réguliers ne peut être directement formulable sans avoir recours aux intuitions des locuteurs. Il distingue trois types de verbes considérés comme réguliers :

- Les verbes non-lexicalisés productibles (« portabliser ») ; - Les verbes non-lexicalisés conjugables (« orangir ») ;

- Les verbes captés (« faillir ») : ce sont des verbes appartenant lexicalement à un groupe et que les locuteurs conjuguent selon le système d‟un autre groupe.

Dans l‟analyse de la forme du présent de l‟indicatif, nous considérons comme verbes réguliers les verbes qui utilisent (i) un thème unique quelle que soit la personne et (ii) la même flexion que celle utilisée par tous les verbes réguliers et irréguliers (à l‟exception des verbes les plus irréguliers comme faire (faites, font), être (sommes, êtes, sont), dire (dites), avoir (ont), aller (vont)).

200 Un verbe est dit défectif s‟il présente des lacunes dans sa conjugaison. On distingue trois types de verbes défectifs :

- Les verbes vestiges, qui n‟existent qu‟à quelques formes, le plus souvent non-finies (exemple : « accroire », « assavoir » à l‟infinitif, « apparoir » à l‟infinitif et à la 3sg du présent)... ;

- Les verbes sémantiquement défectifs. Il s‟agit des verbes qui voient leur utilisation restreinte aux seules formes impersonnelles (« pleuvoir », « neiger », « bruiner »…) ;

- Les verbes morphologiquement défectifs, comme « frire », « clore », par exemple, qui sont défectifs au présent de l‟indicatif.

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3.3.Les verbes irréguliers

Les verbes irréguliers sont tous les autres verbes (qui ne sont pas réguliers) qui utilisent plusieurs thèmes et/ou une flexion différente de celle utilisée par les verbes réguliers. Boyé (2000 : 26-27) distingue quatre sources d‟irrégularités :

- La flexion irrégulière (avoir, dire, être) - Les radicaux irréguliers (lever, émouvoir…) - La supplétion (aller : [va], [ale], [iRa])

- La variation par le radical (asseoir présente plusieurs radicaux au présent : j‟assieds…/ j‟assois…) ;

- La variation par le groupe (revêtir se conjugue sur le modèle de « vêtir » ou de « finir » selon les locuteurs).

Nous ne considérons pas ces deux derniers types (la variation du radical et celle du groupe) comme une irrégularité, mais comme deux possibilités de conjugaison. Nous distinguons deux types d‟irrégularité :

- l‟irrégularité du thème, pour les verbes qui utilisent plusieurs thèmes mais la même flexion que celle de la quasi totalité des verbes ;

- l‟irrégularité à la fois de la flexion et du thème (thème-flexion) qui concerne les verbes doublement irréguliers.

En fait, nous n‟avons observé aucune forme d‟irrégularité de flexion sans que celle du thème ne soit également impliquée. Autrement dit, lorsque la flexion est irrégulière, le thème entre aussi en jeu (voir l‟analyse des verbes les plus irréguliers plus loin). De ces deux types d‟irrégularités, seule la première est la plus fréquente.

3.3.Traitement de l’irrégularité

L‟irrégularité de certains verbes a toujours posé problèmes tant aux grammairiens qu‟aux linguistes. Les descriptions traditionnelles ont classé les verbes en groupes afin d‟arriver à décrire la conjugaison de chaque groupe de façon séparée, en distinguant les verbes réguliers

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des verbes irréguliers. Quant aux linguistes, ils ont essayé, chacun à sa manière, de simplifier le traitement des irrégularités par divers moyens.

Pour la description de la conjugaison des verbes du français, Boyé (2000) a remplacé la notion de groupe par trois outils descriptifs :

- La grille flexionnelle, qui indique la partie commune à tous les verbes pour chaque forme ;

- La grille thématique, qui indique pour chaque verbe la partie complémentaire à la partie commune définie par la grille flexionnelle ;

- Les positions de voyelle thématique.

Cependant, seuls les verbes réguliers semblent être analysables par cet outil. La méthode proposée ne permet pas, à elle seule, de dériver les verbes irréguliers. Ces derniers n‟ont été placés dans le modèle qu‟en ayant recours à d‟autres moyens : en abordant l‟affixation par l‟unification des frontières, les unités flottantes et fixes, les segments solubles et pleins201

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Pour diminuer les cas d‟irrégularités, certains linguistes utilisent les consonnes latentes202 dans les représentations phonologiques. Paradis et El Fenne (1995), proposent d‟insérer un objet abstrait dans les représentations phonologiques des lexèmes verbaux. Ils postulent l‟existence d‟une consonne latente dans le thème utilisé au présent de l‟indicatif singulier pour des verbes comme dormir, sentir, battre (dor(m), sǎ(t), ba(t))203. Cela implique qu‟à la 3pl, marquée par un suffixe ǝ, ces consonnes latentes (m, t) se prononcent, étant suivies du ǝ. Il s‟ensuit, que ce type de verbe serait considéré comme appartenant au paradigme des verbes réguliers, utilisant un thème unique au lieu de deux.

De même, Boyé (2000 : 165) avance que l‟utilisation des consonnes latentes dans les représentations sous-jacentes des thèmes permet de limiter la prolifération de la lexicalisation des thèmes pour les allomorphies généralement prédictibles en français. Il considère les

201 Cf. Boyé (2000) pour plus de détails.

202 Traditionnellement, une consonne latente se fait entendre quand elle est suivie d‟une voyelle et se tait devant Ø ou devant une consonne prononcée.

203 Dans les analyses traditionnelles, on parle également de forme courte/forme longue ou de thème court/ thème long, selon que la consonne latente est prononcée ou non.

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verbes comme « finir », « mordre », « sortir » comme des verbes réguliers au même plan que « laver », car il postule l‟existence d‟une consonne latente dans les représentations phonologiques : - Finir  /fini(s)/ /fini(s)e/ [finise] /fini(s)Ø/ [fini] - Sortir  /sor(t)/ - Mordre  /mor(d)/

Cela pourrait être vrai pour l‟écrit, la description étant fondée exclusivement sur le signifiant écrit. Mais qu‟en est-il des formes orales (objet de notre étude) où ces consonnes ne sont perceptibles qu‟au pluriel ? Elles ne sont pas perceptibles par l‟audition au singulier (présent de l‟indicatif). Partant du fait que ces consonnes (dites latentes) n‟ont pas de correspondant oral au singulier, nous considérons que ce type de verbes est irrégulier puisqu‟il utilise deux thèmes et non pas un seul thème, comme c‟est le cas des verbes réguliers. Ces verbes présentent, pour nous, une irrégularité du thème : un thème au singulier et un autre au pluriel.

De leur côté, Bonami & Boyé (2003) proposent une analyse « agnostique »204 quant aux consonnes latentes. Les auteurs qui ont essayé d‟évaluer la pertinence de la notion de classes flexionnelles205 dans la description de la conjugaison du français postulent que la distinction de classes flexionnelles n‟est pertinente que pour distinguer des classes de verbes réguliers206, en particulier les verbes du premier groupe. Quant à ceux du 2e groupe, les

204 Bonami & Boyé (2003) ont tenu une position neutre quant à la nature des représentations phonologiques : « nous somme contraints à ne postuler aucun objet abstrait dans les représentations, de manière à proposer une analyse compatible avec diverses visions de la phonologie » (Ibid. : 16).

205 La conjugaison du français a été longtemps analysée en termes de classes flexionnelles. Cette orientation est reprise même dans les travaux des contemporains (Plénat (1987), Swiggers & Van den Eynde (1987), Paradis & El Fenne (1995)). Cependant, certains linguistes (Morin (1987), Fradin (1993), Boyé (2000), Bonami & Boyé (2003)) rejettent la notion de classes flexionnelles dans l‟analyse de la conjugaison du français.

206 Bonami & Boyé (2003) proposent une analyse basée sur un réseau de relations de dépendance entre les différents thèmes d‟un lexème verbal. Leur analyse repose sur trois hypothèses :

i) Premièrement : deux sortes de supplétion doivent être distinguées: la supplétion de thèmes et la supplétion de formes fléchies. Alors que la première est omniprésente dans la conjugaison du français, la seconde est limitée à quelques formes de quelques verbes très fréquents.

ii) Deuxièmement : le choix du thème à utiliser pour construire une forme fléchie se fait sur la base d‟une indexation arbitraire de ceux-ci.

iii) Troisièmement : le choix du thème pour chaque indice est guidé par un arbre de dépendance thématique qui encode l‟essentiel des généralisations concernant la répartition des thèmes d‟un verbe du français.

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auteurs hésitent entre un classement dans une classe flexionnelle à part et un classement dans la même classe flexionnelle que le 1er groupe, car, selon eux, les données disponibles ne permettent pas de trancher de leur régularité. Ils avancent que :

Faute de données suffisantes, on ne peut donc conclure sur le caractère régulier et irrégulier des verbes du deuxième groupe. On ne peut donc pas conclure non plus sur la pertinence d‟une distinction entre deux classes flexionnelles de verbes du français (Ibid. : 19)

Enfin, les auteurs déclarent que leurs propositions se sont avérées largement non-concluantes mais ils restent optimistes :

Bien qu‟elle n‟ait pu être qu‟ébauchée ici, la construction d‟une analyse complète de la conjugaison du français qui évite la postulation de classes flexionnelles semble être un objectif atteignable (Ibid. : 24)

En ce qui nous concerne, nous proposons d‟analyser aussi bien les verbes réguliers que les verbes irréguliers d‟une manière unifiée, et ce en nous appuyant sur les principes de la Morphologie Distribuée. Nous allons tout d‟abord construire une analyse de la régularité et passer ensuite à celle de l‟irrégularité, pour arriver enfin à une méthode de traitement unique (pour tous les verbes du français) qui fera découler les différents résultats d‟un seul et même modèle (MD).

Dans la section suivante, nous proposons une analyse de la conjugaison des verbes réguliers au présent de l‟indicatif. Celle des verbes irréguliers fera l‟objet de la section (5).