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5. La relation entre la forme verbale du présent et le type du procès

5.1. Analyse des données

5.1.4. Le présent actuel des états et des achèvements

Lorsque le procès ne présente pas une série de changements (états et achèvements), c‟est la forme verbale de l‟accompli [V-acc] qui coïncide avec le présent actuel en arabe et en berbère. Les états, ne présentant pas de changements internes, nous considérons que ce qui est accompli, dans les exemples de type (32) et (35), c‟est la borne initiale (borne extrinsèque) du procès, i.e. le changement initial, qui correspond à l‟entrée dans l‟état :

(32) 3ya Moha (daba)

il-être fatigué-acc. Moha (en ce moment) «Moha est fatigué (en ce moment)»

(35) i-wḥel Moha (dRi)

il-être fatigué-acc. Moha (en ce moment)

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C‟est du reste ce que Desclés & Guentcheva (1997) désignent par „statif d‟activité‟ (ex : l‟avion est en vol). Associé intrinsèquement à un processus dynamique (l‟avion vole), le „statif d‟activité‟ est à distinguer du „statif d‟état‟ (ex : cet avion est confortable).

161 «Moha est fatigué (en ce moment) »

Quant aux achèvements, présentant un changement atomique (momentané), c‟est la borne finale qui est accomplie (ou les deux bornes puisqu‟ils sont infiniment proches). Et on se retrouve donc dans l‟état résultant (l‟accompli du présent).

L‟accompli du présent se rencontre également en français. C‟est l‟une des valeurs du passé composé177

(qui est à l‟origine un présent accompli). Rappelons notre principe de départ : seuls les énoncés exprimant un procès en contact avec le moment de l‟énonciation nous intéressent. C'est le cas de la traduction des exemples 22, 25, 27 et 30 (rappelés ici par commodité) :

(22) wsel ! (daba)

Il-arriver-acc. (en ce moment) « il est arrivé ! (en ce moment)»

(25) y-iwḍ ! (dRi)

Il-arriver-acc. (en ce moment) « il est arrivé ! (en ce moment)»

(27) lqit s-sarut (daba) ! je-trouver-acc. la clef (en ce moment) « j’ai trouvé la clef (en ce moment) ! »

(30) ufi-x tasarutt (dRi) ! je-trouver-acc. la clef (en ce moment) « j’ai trouvé la clef (en ce moment) ! »

177 Pour Gosselin (1996 : 205), Le passé composé peut prendre deux effets de sens typiques selon que l‟un ou l‟autre des procès marqués par le participe passé ou l‟auxiliaire l‟emporte. Lorsque ce dernier acquiert une saillance prépondérante : « le procès est vu comme accompli, car on en considère essentiellement l‟état résultant ; et cet état résultant est considéré comme présent, sous un aspect inaccompli. »

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Le passé composé des achèvements peut donc coïncider avec le présent actuel, et ce lorsque la borne finale du procès coïncide avec le moment de l‟énonciation.

Nous pouvons dire qu‟en français, les achèvements expriment le présent actuel soit par la forme du présent de l‟indicatif, soit par celle du passé composé (accompli du présent)178

selon que l‟on envisage la phase préparant la culmination (41) ou l‟état résultant (42). Ce qui est représenté dans la (fig.2) :

(41) Regarde! Il arrive ! (42) Regarde! Il est arrivé !

De ce fait, le présent actuel n‟est pas exprimé exclusivement par la seule forme du présent de l‟indicatif en français.

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Dans la littérature sur le passé composé, certains auteurs retiennent deux valeurs fondamentales, d‟autres trois et d‟autres encore quatre. Benveniste (1959) oppose la notion d‟accompli à celle d‟antériorité. Pour Wagner et Pinchon (1962 : 348-349), le PC a également deux valeurs : l‟une « évoque un procès sous son aspect achevé » (comme dans « j‟ai vu », équivalent à « je suis dans la situation de quelqu‟un qui a vu »), l‟autre sert « à situer un procès dans le passé (passé lointain, passé récent) » ; s‟y greffent d‟autres significations suivant le contexte. Desclés & Guentcheva (2003 : 49-50) considèrent que le PC a deux valeurs fondamentales : « d‟un côté, la valeur aspectuelle d’état résultant d‟un événement antérieur auquel il est contigu et, de l‟autre, la valeur aspectuelle d‟événement qui engendre un état résultant que le contexte peut, ou ne peut pas, mettre en évidence. L‟événement est un accompli avec une spécification éventuelle d‟événement achevé. (…) L‟état résultant est un état contigu à l‟événement qui lui a donné naissance. Il ne se comprend que par rapport à l‟occurrence d‟un événement. Cet état est une propriété acquise par le référent du sujet syntaxique. Tout état résultant implique donc nécessairement l‟occurrence d‟un événement antérieur. »

Riegel et alii (1994 : 301) distinguent l’accompli du présent (le procès est envisagé au-delà de son terme et accompli par rapport au moment de l‟énonciation : nous avons emporté de quoi faire le thé), l’antérieur du présent (le procès est mis en corrélation avec le présent : Quandil a déjeuné, César fait la sieste) et le temps du passé (le repère du procès est situé dans le passé et décalé par rapport au moment de l‟énonciation : je n’étais pas seul quand j’ai vu le rhinocéros !).

Pour Co Vet (1992), le PC a quatre emplois : présent résultatif, expérientiel, antérieur du présent et passé narratif.

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Le fait que l‟accompli puisse avoir une valeur du „présent‟ a été relevé par un certains nombre de linguistes qui ont travaillé sur l‟arabe (M. Cohen (1924), D. Cohen (1975) et D. Caubet (1978,1983), Kouloughli (1994)). Selon M. Cohen (1924 : 211-212) l‟accompli de certains verbes coïncide avec le présent « soit parce que le simple énoncé de l‟action présente équivaut à un accomplissement, soit parce que l‟action n‟est énoncée qu‟au moment même où elle est déjà accomplie ». Et dans le même sens, D. Caubet (1983 : 347), avance que parmi les valeurs179 marquées par la forme de l‟accompli, celle du parfait du présent : « cette valeur marque l‟accomplissement d‟un processus ayant des conséquences dans le présent. On se trouve donc dans l‟état résultant de l‟accomplissement du processus ». Quant à Kouloughli (1994 : 176-177), il explique qu‟un arabophone emploie l‟accompli du verbe se fatiguer, par exemple, pour dire : (ça y est) je suis fatigué. Et précise que : « ce qui est accompli (…) c‟est le passage d‟une frontière entre non fatigue et fatigue ».

Cependant, la classe des verbes touchés par ce phénomène n‟a pas été clairement définie par ces auteurs. Ainsi, M. Cohen (1924 : 211-212) affirme que « les verbes qui se prêtent à cet emploi sont aussi variés ; il n‟est pas très facile de définir ici les catégories de sens. Il y a surtout des verbes qui expriment soit un sentiment soit une sensation. ». Et dans le même ordre d‟idées, D. Cohen (1975 : 133) avance que « ces verbes forment une catégorie sémantique dont il est délicat de définir les contours. Cette catégorie comprend surtout des verbes indiquant des états, des sentiments, des sensations, etc. ».

Ce phénomène a été relevé également en berbère par certains auteurs (Galand, L. (1955), Hebaz, B. (1979), Cadi, K. (1997), entre autres). Galand (1955 : 2), qui a étudié les verbes de qualité en berbère avance que « leur prétérit [accompli] semble exprimer un état : cet état est présenté comme actuel180, à moins que le contexte ne le rejette dans le passé ». Quant à Hebaz (1979 : 210), il affirme que « l‟accompli du berbère exprime aussi le passé-présent et pas seulement l‟aspect de l‟accompli », et précise que l‟accompli des verbes d‟états renvoie à un état actuel, à l‟accompli, « l‟état coïncide avec le moment d‟énonciation » (Ibid :

179 Selon D. Caubet (1983 : 347), en arabe marocain, la forme accomplie marque trois grands types de valeur : une valeur de parfait de présent, une valeur d‟aoriste et une valeur d‟irréel qu‟on trouve dans les concessives et les hypothétiques.

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354). Et d‟un autre côté, Cadi, K. (1997 : 76) avance que, selon la temporalité du procès, l‟accompli peut renvoyer à « un présent instantané », sans pour autant donner de précisions sur le type de temporalité dont il est question.

Enfin l‟expression du présent actuel par la forme de l‟accompli de certains verbes (états et achèvements), qui a été relevé également par tous ces auteurs, est un argument de plus en faveur de notre hypothèse de départ, qui postule que le type du procès joue un rôle décisif dans la détermination de la forme verbale du présent actuel en arabe marocain et en berbère tamazight.