• Aucun résultat trouvé

Contexte de travail et langues du corpus

3. L’arabe marocain et le berbère tamazight

3.1. Deux langues de France « non-territoriales »

Suite à l‟adhésion de la France à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, certaines langues d‟origine étrangère, issues de l‟immigration ont été prises en considération. Pour la première fois, des documents officiels français ont proposé de considérer le berbère et l‟arabe maghrébin comme « des langues de France ».

Partant de la réalité sociolinguistique de la France contemporaine on a distingué :

à côté des langues régionales et des langues étrangères, des langues pratiquées par de nombreux Français issus d‟immigrations (...) qui y sont implantées (en France) depuis longtemps. Pour autant qu‟elles n‟aient pas de caractère officiel à l‟étranger, ces langues minoritaires, dites „non-territoriales‟, forment avec les langues régionales ce qu‟on appelle les „langues de France‟32

.

43

L‟une des conditions mises à cette reconnaissance concerne l‟importance démographique et la stabilité de la population : il faut qu‟il y ait un nombre significatif de citoyens français locuteurs d‟une langue pour que celle-ci soit prise en compte. L‟autre condition est l‟absence de statut officiel dans un Etat étranger : la Charte a pour objectif premier de protéger des langues menacées. D‟où la définition retenue par les services du Ministère de la Culture (au moment de la création de la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF), en 2001)33 :

On entend par langues de France les langues régionales, et les langues minoritaires parlées par des citoyens français sur le territoire de la République depuis assez longtemps pour faire partie du patrimoine culturel national, sans être langue officielle d‟aucun État34.

Les langues de France non territoriales sont l‟arabe dialectal, l‟arménien occidental, le berbère, le judéo-espagnol, le romani et le yiddish35. En France, « L‟arabe maghrébin pouvant être pris en considération comme une langue de la France, est celui des communautés issues de l‟immigration et originaires d‟Algérie, Maroc et Tunisie »36

.

Cependant, le cas de l‟arabe dialectal pose problème. Pour cette langue, au moins deux conceptions s‟opposent. La première considère l‟arabe dialectal comme une variante de l‟arabe classique (ou littéral), langue unique. Cette conception amène à considérer l‟arabe dialectal comme faisant partie des langues ayant statut de langue officielle dans plusieurs pays arabes et donc extérieure au champ d‟application de la Charte. Or les réalités linguistique et sociolinguistique imposent une distinction entre l‟arabe dialectal et l‟arabe classique.

Au niveau linguistique, les deux systèmes sont nettement distincts et le dialectal ne saurait être analysé comme la réalisation locale ou sociale du classique : ce sont deux langues avec deux systèmes spécifiques aux niveaux phonologique, grammatical et lexical, même s‟il y a entre elles une relation de parenté étroite et des contacts permanents.

33Ibid.

34 Ibid. 35Ibid.

44

Au niveau sociolinguistique, un arabophone n‟ayant pas appris l‟arabe classique à l‟école ne peut pas comprendre l‟arabe classique ni communiquer avec un locuteur du classique, autrement dit, il ne suffit pas d'avoir un dialecte arabe comme langue maternelle pour comprendre l'arabe classique autrement que de manière très sommaire et il ne suffit pas d‟avoir appris l‟arabe classique pour comprendre la langue courante. Cela a conduit B. Cerquiglini37 à inclure l‟arabe dialectal maghrébin parmi la liste des langues de France et à en préconiser l‟inclusion dans la Charte des langues régionales et minoritaires38

. De ce fait, l‟arabe marocain (dialectal) et le berbère tamazight sont considérés comme des langues de France.

3.2. L’arabe marocain

A la différence de l‟arabe classique39

qui est enseigné par l‟école et qui sert pour l‟écrit et la communication formelle, l‟arabe dialectal est la langue de la communication informelle et de l‟échange quotidien entre arabophones. Parmi les variétés de l‟arabe dialectal, on distingue les parlers arabes d‟occident (appelés également parlers de l‟arabe maghrébin : arabe marocain, algérien, tunisien, libyen, hassaniyya40, maltais, andalou et judéo-langues inclus), et les parlers arabes d‟Orient (Machrek) nettement différenciés des parlers d‟Occident (Maghreb).

L‟arabe marocain, qui est l‟une des variétés de l‟arabe maghrébin, se présente à son tour sous forme de variétés régionales. La dénomination „arabe marocain‟41

recouvre toutes les variétés dialectales d‟origine arabe employées dans les différentes régions du Maroc. Elle est strictement géographique et permet de faire la distinction entre les parlers arabes

37 « Les Langues de la France », Rapport au Ministre de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie, Paris, 1999

38

A signaler que la Charte des langues régionales et minoritaires, bien que signée le 7 mai 1999, n‟a pas encore été ratifiée par la France. La Charte étant contraire à la Constitution, la France ne peut la ratifier sans engager une révision constitutionnelle qui rendrait les deux textes compatibles.

39 L‟arabe classique est appelé également arabe littéral ou standard. 40

Le Hassaniyya est un dialecte arabe parlé au sud du Maroc et en Mauritanie.

41 L‟arabe marocain est appelé également « darija » par opposition à l‟arabe classique dite « fuṣḥa »- terme qui provient du verbe arabe « faṣoḥa » « être éloquent ».

45

exclusivement parlés par les Marocains et ceux utilisés dans d‟autres pays arabes (Algérie, Tunisie...).

La population marocaine comprend deux groupes linguistiques : les arabophones et les berbérophones. L‟introduction de l‟arabe date de l‟époque de la conquête musulmane (VIIe siècle). Le berbère est le moyen de communication des habitants autochtones.

Du point de vue sociolinguistique, l‟arabe marocain et le berbère partagent un certain nombre de propriétés : ils sont tous deux des langues domineés. Leurs usages sociaux sont similaires, idiomes de l‟intimité et de la quotidienneté. Leurs fonctions expressives sont quasiment identiques, liées à l‟affect, au maternel, au vécu, à la culture populaire, mais aussi à l‟expérience pratique du monde et à sa représentation.

L‟arabe dialectal marocain est une langue vernaculaire non standardisée, mais qui assure de facto une fonction véhiculaire dans la mesure où elle est employée par les Marocains dans les situations de communication orale informelle. Le berbère est un vernaculaire régional, employé surtout dans les aires rurales et accessoirement dans les villes. Il représente la variété « surdominée » sur le marché linguisitque au Maroc (cf. Boukous, 1999).

L‟arabe marocain et le berbère sont en compétition : sous l‟effet de l‟urbanisation progressive de la population, le premier a tendance à s‟affirmer au détriment du second, d‟autant plus que l‟arabe marocain sert de véhiculaire entre berbérophones bilingues et arabophones et même entre berbérophones appartenant à des groupes de dialectes éloignés.

Il existe deux grandes variétés d‟arabe au Maroc : L’arabe littéral

(standard/classique)42 et l’arabe marocain (ddarija). Entre ces deux variétés s‟est mise en place une forme intermédiaire, „l’arabe marocain médian’ comme un continuum entre l‟arabe quotidien et l‟arabe littéral. Selon Youssi (1989), la langue médiane se fonde sur les deux types qui le constituent à différents niveaux de structuration :

42 L‟arabe Littéral bénéficie du prestige que lui confère son statut de code liturgique et de langue officielle des institutions étatiques.

46

L‟AM (arabe marocain) fournit l‟essentiel de la charpente linguistique; l‟AL (arabe littéral) introduit des réaménagements phoniques et inspire, au niveau morphologique et syntaxique, une complexification syntagmatique et propositionnelle. Enfin, au niveau du lexique, l‟AL fournit un grand nombre de lexèmes simples reconceptualisés ou résultant de procédés de dérivation et de composition. La «naturalisation» des matériaux linguistiques suppose également l‟élimination des marqueurs locaux ou régionaux. L‟AMM (arabe marocain médian) est voulu ainsi comme un standard pan-marocain (Youssi (1989 : 106).

L‟arabe marocain médian est utilisé également pour l‟échange formel avec les étrangers et l‟échange sans connotation affective ou intime et/ou se référant aux domaines du monde moderne43.

Quant à l‟arabe marocain (ddarija), trois parlers44

sont généralement distingués au Maroc: les parlers citadins, les parlers montagnards et les parlers bédouins :

- Les parlers citadins45 se concentrent dans les villes importantes et anciennes, comme Fès, Rabat, Salé, Taza, Tétouan, Tanger… Ces parlers sont appelés préhilalien car leur naissance coïncide avec la période d‟arabisation exclue de toute influence hilalienne46 ;

- Les parles bédouins par contre sont ceux des populations des plaines et des plateaux du Maroc oriental. Ce sont également ceux des villes de création plus récentes telles que Casablanca, Essaouira, El Jadida et Safi ;

- Les parlers montagnards47, employés par les populations jbala, comprennent trois variétés :

43

Youssi (1989 : 105)

44 En plus du parler hassaniyya, parlé au sud du Maroc et en Mauritanie.

45 Messaoudi (2002) avance que le concept « citadin », tel qu‟il est utilisé dans la littérature dialectologique, ne suffit pas à lui seul pour rendre compte de la dynamique langagière qui caractérise actuellement les parlers arabes marocains des villes, et qu‟il serait utile d‟introduire le terme « urbain » (par opposition à rural) pour désigner les processus linguistiques nouveaux qui semblent particulariser d‟avantage les espaces urbains que ruraux : « les réalisations urbaines alternent des usages citadins et ruraux mais la tendance générale semble s‟orienter toutefois vers la prédilection des traits ruraux. (…) Constat assez paradoxal puisque les traits citadins, dotés traditionnellement de prestige, au lieu de se maintenir, sont en cours de disparition » p. 232

46 Les Hilaliens ou Banu Hilal ou Beni Hilal étaient les membres d'une tribu arabe qui émigra vers l'Afrique du Nord au xie siècle.

47

o Les parlers septentrionaux utilisés par les Ghomara48 arabisés sur une aire qui s‟étend du détroit de Gibraltar au sud de Chaouen ;

o Les parlers méridionaux des Senhaja49 arabisés, en usage dans l‟aire qui s‟étend de Ouazzane à Taza ;

o Le parler de Sefrou, employé dans cette région, se caractérise par l‟influence de l‟arabe citadin de Fès.

Les divergences qui peuvent être observées entre ces parlers sont essentiellement d‟ordre phonétique et d‟ordre lexical.

Dans cette thèse, l‟arabe marocain des témoins (ou de leurs parents) arabophones originaires de différentes villes du Maroc (Casablanca, Rabat, Berkane, Khémisat, Meknes, Khénifra, Tinghir…), ne permet pas de délimiter une variété d‟arabe marocain en particulier.

3. 3. L’arabe marocain en France

L‟arabe marocain est parlé en Europe, notamment en France, au sein de nombreuses familles :

47 Pour Colin (1979 : 1195), les parlers montagnards constituent un seul groupe avec les parlers citadins : « les parlers citadins et les parlers montagnards ne sont à séparer, ni historiquement, ni linguistiquement ; la disparité fondamentale est celle qui existe entre le groupe montagnard-citadin et le groupe bédouin. Ce sont les citadins qui ont appris aux montagnards à parler l‟arabe ; mais les parlers citadins, employés par des individus dont l‟activité intellectuelle est plus vive, ont évolué plus rapidement, ils sont aussi plus sensibles aux influences extérieures, politiques ou littéraires ; ces faits, joints à la prédominance de l‟élément ethnique berbère dans la montagne, peuvent suffire à expliquer que les parlers de Jbala paraissent aujourd‟hui grossiers et ridicules aux citadins ».

48 Les Ghomaras sont une ethnie du nord du Maroc d'origine berbère masmouda. Arabisés entre le XIe et le XVIe siècle, ils sont actuellement majoritairement arabophones et seule une minorité parle un dialecte berbère zenète (G. S. Colin, "Le parler berbère des Ghomara", Hesperis vol. 9, 1929, pp. 43-58). Leur territoire se situe entre les fleuves Oued-Laou et Ouringa, au nord de Chefchaouen et au sud de Tetouan. Actuellement les Ghomaras font partie du peuple Jebli ou Jbalas (cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ghomaras).

49 Les Sanhadja sont une grande confédération de tribus berbères du Moyen Âge. Ils appartiennent à la grande branche berbère de Branis. Avant, Ils occupaient plusieurs territoires avec les autres tribus berbères les Zwawas, les Zénètes, les Masmoudas, les Kutama, etc. Ils sont au littoral, au tell, à l'Ouest et au Nord Est. Les tribus Sanhadja/Iznagen sont originaires du nord-ouest saharien mais, après l'arrivée de l'islam, des tribus émigrent vers le nord en remontant jusqu'au Moyen Atlas (près des côtes atlantiques de l'actuel Maroc) et continuant sur l'Atlas saharien (actuel Algérie) et surtout en kabylie (cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Sanhadja).

48

En France, l‟arabe est pratiqué quotidiennement probablement par plus de trois millions de personnes (citoyens français ou résidents étrangers), très majoritairement sous sa forme maghrébine, mais aussi – au sein de communautés moins nombreuses – sous ses formes libanaise, égyptienne, syrienne… L‟arabe littéral est enseigné dans le secondaire et le supérieur (Inalco et universités). Il existe aussi un enseignement d‟arabe maghrébin à l‟INALCO depuis le XIXe siècle ; plusieurs autres « dialectes » arabes y sont également enseignés. 50

Les arabophones en France sont originaires de pays différents et parlent des variétés parfois assez éloignées (selon leur pays d‟origine). L‟intercompréhension n‟est pas toujours immédiate et le parler est adapté pour « minimiser les différences et parler dans une espèce d‟arabe maghrébin moyen artificiel, mais efficace pour la communication »51

. Cette nouvelle variété peut probablement devenir une variété d‟arabe standard de France.

Les pratiques de l‟arabe maghrébin se retrouvent également au niveau familial, groupal, mais aussi dans divers secteurs socioprofessionnels et dans les arts et spectacles (théâtre, musique, cinéma, littérature). L‟arabe maghrébin a également une forte influence sur les parlers des jeunes, quelle que soit l‟origine de leurs parents, dans tous les quartiers, au niveau du vocabulaire, de la syntaxe, de la prononciation ou de l‟intonation (Barontini, 2009)52.

50 « l‟arabe en France » 2009, In Langues et cité n° 15 : Bulletin de l'observatoire des pratiques linguistiques. 51 D. Caubet : Corpus de la parole : http://www.corpusdelaparole.culture.fr/spip.php?article74

49

3.4. Le berbère tamazight

Le berbère53

(ou amazighe : nom de la langue en berbère) est la langue des populations attestées à date historique en Afrique du Nord. Leur arabisation a commencé au milieu du VIIe siècle, avec l‟islamisation. En effet, Il existe deux langues maternelles au Maroc et en Algérie, l‟arabe marocain ou algérien, et le berbère (respectivement 40 % à 50 % de berbérophones au Maroc, et 25/30 % en Algérie1)54

. En Tunisie, il ne reste plus que quelques berbérophones (1 ou 2 %).

La langue berbère est parlée dans plusieurs pays d‟Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Egypte, Mauritanie, Mali et Niger). Elle est partout minoritaire et largement dialectalisée pour des raisons socio-historiques et politiques. C‟est une langue principalement orale sans tradition écrite stabilisée55, dominée successivement par le phénicien, le grec, le latin et enfin par l‟arabe. Elle n‟est la langue officielle d‟aucun pays.

Malgré cette extrême fragmentation, la tradition des études berbères parle

généralement d‟une seule langue56

hiérarchisée en trois niveaux (Chaker 1995 : 8) : La langue berbère, une dans ses structures fondamentales, et qui se subdivise en :

53 Le berbère est l'une des branches de la grande famille linguistique afro-asiatique (chamito-sémitique), qui comprend, outre le berbère, le sémitique, le couchitique, l'égyptien (ancien) et, avec un degré de parenté plus éloigné, le groupe "tchadique" (haoussa).

54 D. Caubet : Corpus de la parole : http://www.corpusdelaparole.culture.fr/spip.php?article74. Les chiffres donnés par Caubet sont légèrement différents de ceux présentés par Chaker, faute de recensements linguistiques fiables. Selon Chaker, Le nombre de berbérophones est difficile à évaluer en l'absence de recensements linguistiques fiables et de la situation sociolinguistique et idéologique générale très défavorable à la langue berbère. On peut cependant estimer les berbérophones à : 20 à 25 % de la population algérienne, soit environ 7 à 8 millions de locuteurs. 35 à 40 % de la population marocaine, soit environ 13 millions de locuteurs. Auxquels s'ajoutent un million et demi de Touaregs répartis sur cinq Etats distincts (Algérie, Libye, Niger, Mali, Burkina-Faso). Les autres groupes berbères (Libye, Tunisie, Egypte, Mauritanie) sont beaucoup plus réduits et comptent de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de personnes.

55 Bien que les Berbères possèdent une écriture alphabétique qui leur est propre depuis l'Antiquité (tifinaghe), celle-ci n'est pas unifiée : elle connaît un certain nombre de variantes, à travers le temps et les régions.

56

Certains auteurs (Galand, 1985, 1990, suivi par Leguil) parlent de « langues berbères » (au pluriel), conception contestée par Chaker (1995), qui présente des arguments en faveur de la vision unitaire de la langue berbère en se basant sur des critères linguistiques et sociolinguistiques.

50

1) Des dialectes régionaux, correspondant aux aires d‟intercompréhension