• Aucun résultat trouvé

Nous avons vu dans la section 3.1. que la locution [être en train de Vinf] est l‟un des éléments utilisés pour identifier le type du procès. En effet, la compatibilité du prédicat avec la structure [être en train de Vinf] conjuguée au présent ou à l‟imparfait, permet de mettre en évidence le trait [+dynamique] du procès exprimé par le prédicat, i.e. le procès a pour configuration181 une série de changements.

Selon Gosselin (1996 : 57), la locution [être en train de Vinf] code les instructions suivantes :

a. Le procès est présenté sous l’aspect inaccompli182

;

b. Le procès a pour configuration une série de changements.

La première instruction exclut les temps verbaux qui ne peuvent pas exprimer l‟inaccompli et la seconde exclut les états et les achèvements. Cette locution est donc compatible avec le présent actuel (avec lequel elle partage la propriété aspectuelle de l‟inaccompli (a)) et avec les activités et les accomplissements (b) (qui présente une série de

181

Structure interne du procès.

182 La locution [être en train de Vinf] est donc compatible, à l‟indicatif, avec le présent, l‟imparfait et le futur simple ou périphrastique (Gosselin 1996 : 57)

165

changements). Elle n‟est donc pas compatible avec les états183

mais avec les achèvements des glissements de sens184 sont possibles.

Gosselin (1996 : 44) avance que l‟incompatibilité de cette expression avec les achèvements qui ont pourtant une valeur dynamique (? Pierre est en train d‟atteindre le sommet) est réglée au moyen de certains glissement de sens : le procès doit glisser de l‟achèvement proprement dit à la phase préparatoire à la culmination (Pierre est en train de trouver une solution, par exemple, est interprété comme indiquant que Pierre est en train de chercher dans la bonne voie). Ainsi, le procès qui désigne l‟aboutissement d‟une progression, peut glisser vers la progression elle-même. Lorsqu‟un tel glissement n‟est pas possible, parce que le changement exprimé ne correspond pas à l‟aboutissement d‟une progression, seules les procédures de dilatation avec ou sans itération, sont envisageables : Il est en train de sursauter, devient possible si l‟on suppose une série de réitérations du procès, ou si l‟on dilate artificiellement le procès (par exemple si l‟on décrit une situation où le procès est observé au ralenti cinématographique).

L‟arabe marocain et le berbère tamazight ne disposent pas185

de locutions équivalentes à [être en train de Vinf] du français, mais les instructions que code cette expression sont rendues, dans ces langues, par l‟une des formes qui expriment le présent actuel, à savoir la forme verbale composée du préverbe et du verbe à l‟inaccompli : [prv+V-inac.].

183 Combiné à [être en train de Vinf], un état ne peut pas se déformer : ni le glissement, ni la dilatation ne paraissent envisageables (Gosselin, 1996 : 59).

184

Il s‟agit de déformations du procès qui apparaissent comme des modes de résolution de conflit entre des instructions normalement incompatibles. Cette déformation peut prendre deux aspects :

La dilatation avec ou sans itération ;

Le glissement de la figure (bornes) du procès, sur l‟axe temporel structuré par le schéma cognitif du changement, vers la portion la plus facilement accessible (i.e. la plus proche et/ou la plus saillante) qui satisfait aux exigences du contexte. (Gosselin, 1996 : 56).

Le concept de déformabilité en linguistique est introduit par Culioli (1990 : 127-137) (cité dans Gosselin 1996 : 47, note).

185

Il existe plusieurs auxiliaires qui ont en commun d‟être des formes de participe actif des verbes de position ou attitudes (gaales « assis, restant », xeddam « travaillant », xayed « absorbé ») qui marquent explicitement la concomitance en arabe marocain, mais il ne sont jamais obligatoires et sont d‟un emploi relativement rare (Caubet, D. 1996), ex :

- gaales/xeddaam/xaayed ka yl3eb

« il est en train de jouer/il est occupé à jouer/ il est là à jouer… »

166

La forme verbale [prv+V-inac] rend aussi bien le présent de l‟indicatif que la périphrase [être en train de Vinf] du français (cf. exemples : 1, 4, 6, 9). Cela implique que cette forme code à la fois les instructions du présent actuel et celles de l‟expression [être en train de Vinf] :

 elle a la valeur du présent actuel ;

 elle se présente sous l‟aspect inaccompli ; et

 elle a pour configuration une série de changements.

Nous posons que la forme verbale [prv+V-inac] a les mêmes exigences que la locution [être en train de Vinf], i.e. elle exige que le procès présente une série de changements (procès dynamique). En effet, le fait que cette forme ([prv+V-inac]) se combine aussi bien avec les achèvements qu‟avec les états (qui ne présentent pas une série de changements), implique que le procès devrait être déformé pour être compatible avec les instructions codées par cette formes verbale (i.e. série de changements). Nous allons donc, à la lumière des exigences de la forme [prv+V-inac], essayer de déterminer la nature de cette déformation, en arabe marocain et en berbère tamazight, afin de trouver une explication à sa compatibilité avec les quatre types du procès (y compris les états et les achèvements) :

 En arabe marocain et en berbère tamazight, la forme verbale [prv+V-inac] indique que le procès est constitué d‟une série de changements. Elle est donc parfaitement compatible avec les activités et les accomplissements. Sa combinaison avec ces deux types de verbes, et en présence (implicite ou explicite) du circonstanciel de localisation temporelle dRi/daba „en ce moment‟, rend le présent actuel dans ces deux langues. Mais lorsque l‟intervalle de référence ne coïncide pas avec le moment de la parole, leur combinaison exprime l‟itération (habitude). En effet, l‟association des activités et des accomplissements avec la forme verbale [prv+V-inac] exprime soit le présent actuel, soit l‟itération selon le contexte.

 Contrairement au français, où l‟expression [être en train de Vinf] n‟est pas compatible avec les états, et ne l‟est avec les achèvements que si l‟on déforme le procès, en arabe marocain et en berbère tamazight, la forme [prv+V-inac] est compatible aussi bien avec les états qu‟avec les achèvements. Nous supposons que le procès devrait être

167

déformé pour correspondre aux exigences de cette forme (série de changements). Nous avons constaté qu‟avec les états et les achèvements, cette forme n‟exprime que l‟itération continue186

. En effet, l‟itération apparaît ici comme un mode de résolution de conflit entre les instructions codées par cette forme verbale (séries de changements) et celles codées par les états et les achèvements (absence de changement/changement atomique), puisqu‟elle fait apparaître une série de changements : une série de procès semblables (itération) qui ont le statut d‟une série de changements, ce qui le rend compatible avec la forme verbale [prv+V-inac]. En effet, l‟itération est conçue, dans le modèle de Gosselin (1996 : 69), « comme un type de procès complexe, lui-même composé d‟une série de procès semblables (qui a le statut d‟une série de changement) ».

Tableau (8) : compatibilités de [prv+V-inac]

Accomplissements (série de changements) Activités (série de changements) Achèvements (changement atomique) Etats (absence de changements Certains V. mouv. Certains V. mouv. [prv+V-inac] (série de changements) Présent actuel/ itération Itération Présent actuel/ itération

Itération Itération Itération

En somme, avec les activités et les accomplissements -qui présentent une série de changements (dynamiques)-, la forme [prv+V-inac] exprime soit le présent actuel, soit l‟itération. Mais avec les états, les achèvements et les verbes de mouvement présentant une activité stative (i.e. dont les changements internes sont ignorés), cette forme n‟exprime que l‟itération (quel que soit le contexte). Ayant pour configuration une série de changements, la

186 Gosselin (1996 : 52) considère « qu‟une série de changement est continue lorsque tous les changements qui la constituent sont du même type, de sorte qu‟aucun d‟entre eux n‟est intrinsèquement saillant (…) cette définition permet d‟inclure certaines itérations (constituées de changement atomique du même type) dans les séries continues (ex : sautiller…) »

168

forme [prv+V-inac.] transforme / déforme les états et les achèvements en un procès complexe, composé lui-même d‟une série de procès semblables : procès à valeur itérative.