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Les mécanismes neuronaux impliqués dans le traitement des disparités

Chapitre 1. Perception stéréoscopique et disparités binoculaires

II.6 Les mécanismes neuronaux impliqués dans le traitement des disparités

Parmi les cellules binoculaires présentes dans V1, certaines cellules répondent aux disparités nulles (l’horoptère), d'autres cellules répondent pour les positions en avant de l'horoptère, et d'autres encore pour les positions en arrière. Poggio et Poggio (1984, cité par Bourdy, 1989) ont étudié sur des singes éveillés les deux types de cellules corticales suivantes : les cellules accordées à la disparité, pour une disparité nulle ou de quelques minutes d’arc ; les cellules réciproques répondant à des disparités plus importantes, soit pour les disparités homonymes (cellules « far », pour les objets en arrière du point de fixation), soit pour les disparités croisées (cellules « near », pour des objets plus proches). Poggio et al. (1985) ont analysé la réponse des neurones des cortex strié (V1) et pré-strié (V2) du macaque aux RDS dynamiques : les cellules « far » sont excitées par les disparités homonymes et inhibées par les disparités croisées ; et inversement, les cellules « near » sont excitées par les disparités croisées et inhibées par les disparités homonymes (Figure 23). De plus, il existe une corrélation entre la sensibilité aux RDS et l’organisation des champs récepteurs des cellules simples et complexes. Les cellules qui répondent aux RDS sont complexes, ainsi les cellules complexes sont les seules capables de résoudre le problème de l’appariement des éléments des images des deux yeux. Ces trois types de cellules, accordées à la disparité et réciproques (near / far), semblent représenter un stade précoce dans le traitement de l’information de disparité d’une scène visuelle (Hubel, 1988). Dans l’aire V1, l’activité des neurones sélectifs à la disparité horizontale peut être modulée par des facteurs extra-rétiniens. En effet, la réponse des neurones visuels de V1 est affectée par le changement de distance de fixation, dépendant de facteurs extra-rétiniens tels que l’accommodation et la vergence (Trotter et al., 1992).

Figure 23 - Profils de sensibilité à la disparité pour des cellules corticales du macaque (d’après Poggio,

1991) : les cellules accordées à la disparité binoculaire, excitatrices (en haut) et inhibitrices (en bas, au centre) ; les cellules à sensibilité réciproque, excitées par les disparités homonymes et inhibées par les disparités croisées

(en bas, à droite) et excitées par les disparités croisées et inhibées par les disparités homonymes (en bas, à gauche).

Ces études se sont intéressées essentiellement à la disparité horizontale dans le champ visuel central, mais peu d’études se sont penchées sur la disparité verticale. Notamment, dans le champ visuel central, autour de la fovéa, les disparités verticales sont naturellement faibles ou nulles, expliquant la faible présence de cellules sélectives à la disparité verticale dans la région centrale de V1 correspondant à la zone fovéale du champ visuel. Dans les régions corticales correspondant aux représentations parafovéales du champ visuel, i.e. le bord de la scissure calcarine pour V1 et V2, la présence de cellules sélectives aux disparités horizontales et verticales est relativement importante, de même que de cellules sélectives uniquement aux disparités verticales ou uniquement aux disparités horizontales (Durand et al., 2002). Dans les régions dites parafovéales de V1 et V2, les cellules sélectives à la disparité verticale présentent la même diversité dans les profils de réponse que les cellules sélectives à la disparité horizontale, on retrouve : des cellules excitatrices / inhibitrices accordées à la

disparité pour les disparités proches de 0°, et des cellules near / far pour les disparités plus

grandes selon leur signe (Figure 23). Il existe donc un réel encodage de la disparité verticale, partageant un processus neural commun avec l’encodage de la disparité horizontale. On observe une spécialisation pour l’encodage de la disparité horizontale dans la représentation centrale du champ visuel dans l’aire V1. Pour la représentation périphérique dans V1,

l’encodage est similaire pour les disparités horizontales et verticales. Dans ce dernier cas, la disparité préférée est donc un paramètre à deux dimensions, par opposition à la représentation centrale où elle est un paramètre à une dimension (Durand et al., 2007).

Matthews et al. (2003) ont proposé un modèle où l’organisation des détecteurs de disparité en périphérie serait radiale, considérant que la disparité est encodée d’une manière dépendant de l’orientation. En effet, les résultats montrent qu’au premier stade cortical du traitement binoculaire, beaucoup de neurones de V1 sont sélectifs aux disparités horizontales et verticales, et leurs réponses à ces composantes de disparité sont étroitement liées à l’orientation de leur champ récepteur. Les détecteurs de disparité sont orientés plutôt verticalement (biais vertical) au niveau du champ visuel central et plutôt alignés avec l’axe polaire (biais radial) en périphérie (Durand et al., 2007). Les cellules avec des champs récepteurs orientés verticalement sont bien adaptées pour encoder la disparité horizontale, en champ central. Par contre, en périphérie, les disparités horizontales et verticales sont encodées sur des plages de valeurs similaires et les détecteurs de disparité ont une organisation radiale.

Par ailleurs, le système magnocellulaire répondrait mieux au relief, il localiserait précisément « où » se trouve le stimulus (Levine, 2000). Le système magnocellulaire constitue la voie dorsale, qui est située en majorité dans le cortex pariétal postérieur et ses aires adjacentes incluant MT (Middle Temporal ou V5), MST (Medial Superior Temporal) et LIP (Lateral IntraParietal) entre autres. Egalement, au niveau de l’aire V3A, des réponses neuronales importantes aux disparités seraient observées semblant indiquer que l’aire V3A serait spécialisée dans le traitement stéréoscopique (Backus et al., 2001).

L’encodage des disparités binoculaires montre donc une dissociation entre les représentations centrale et périphérique du champ visuel au niveau de l’aire V1, qui rejoint les résultats des expériences psychophysiques : le champ visuel central comporte principalement des disparités horizontales, dans les scènes naturelles, les disparités verticales y sont généralement proches de zéro, alors qu’en périphérie elles deviennent non négligeables. Cependant, si les disparités horizontales sont bien reconnues comme traitées localement, les disparités verticales doivent également avoir un rôle local, en périphérie du champ visuel.

III Objectifs de l’étude

Ce premier chapitre nous a montré la complexité du traitement des différentes disparités binoculaires qui conduisent à la perception de la profondeur et du relief.

Dans l'environnement naturel, le système visuel, sauf dans certains cas pathologiques, fusionne les deux images rétiniennes et doit traiter soit des modulations de disparités discrètes (perception en avant ou en arrière du point de fixation), soit des modulations de disparités continues (perception de déformations de surface : inclinaison de plan, courbure) pour en extraire une sensation de profondeur. Les études citées dans cette introduction ont montré que la sensibilité à la profondeur dépendait du caractère continu ou discontinu de la disparité. Il faut aussi remarquer que les nombreuses études exposées dans ce chapitre concernent plus l'aspect qualitatif des disparités, dans le but de comprendre le traitement des disparités, que l'aspect quantitatif. Enfin, la perception d’une surface plane et les conditions pour lesquelles les surfaces sont perçues comme planes ont été largement étudiées, mais peu les variations des disparités binoculaires qui entraînent la perception de surfaces non planes dans le champ visuel périphérique.

Les techniques de réalités virtuelles vont nous permettre de simuler les deux images rétiniennes et de modifier indépendamment les paramètres de chaque image afin de comprendre comment sont combinées les informations contenues dans ces images. En particulier cette technique, utilisée avec des stéréogrammes cyclopéens, permet d’étudier le rôle des disparités binoculaires dans la perception tridimensionnelle, en supprimant les autres indices de profondeur.

Pour des images naturelles, des disparités binoculaires, continues et discontinues, sont présentes dans tout le champ visuel et la question se pose de savoir comment leur répartition influence la perception de profondeur. De plus, la distribution des disparités présentes dans les scènes visuelles naturelles peut être modifiée par l’apposition d’un système optique, par exemple, devant un seul œil ou les deux yeux. Ce système optique peut être un verre ophtalmique, couramment utilisé pour corriger un défaut de puissance, ou amétropie, de l’œil. Parce qu’il compense une erreur de réfraction, le verre ophtalmique présente une puissance dioptrique entraînant des effets prismatiques dans tout le champ du verre. L’exemple largement étudié dans la littérature, en particulier par Ogle (1950), est l’apposition d’un verre cylindrique devant un seul œil produisant selon son orientation (à 0 ou 90°) l’effet induit ou l’effet géométrique. Le verre cylindrique introduit un gradient vertical de la disparité verticale ou un gradient horizontal de la disparité horizontale entre les deux images rétiniennes (disparités de compression-expansion), donnant une perception de rotation d’un plan par

rapport à un axe vertical. Des disparités binoculaires peuvent donc s’ajouter à celles définissant naturellement la forme tridimensionnelle des objets.

Les effets induit et géométrique sont des cas particuliers de port de verres correcteurs, où un seul œil présenterait un type d’astigmatisme bien précis. Néanmoins, ces exemples montrent bien que la correction d’un défaut de puissance par des verres ophtalmiques peut produire des déformations de la perception du relief et de la profondeur, par introduction de disparités. La diversité des corrections optiques, observées sur l’ensemble des êtres humains, est grande, d’une part du point de vue de la puissance, et d’autre part du point de vue du mode de compensation utilisé (verres unifocaux pour la vision de loin, verres « double-foyers » ou multifocaux pour la vision de loin et de près). Aussi seront étudiées les disparités binoculaires introduites par des couples de verres ophtalmiques caractéristiques (correction myopique, hypermétropique, astigmatique identique sur les deux yeux, ou différence de correction entre les deux yeux, etc.). Un premier chapitre sera donc consacré à l’analyse des disparités binoculaires, horizontales et verticales, induites par des couples de verres ophtalmiques en fonction de la puissance des verres et d’autres paramètres spécifiques aux verres, que l’on peut faire varier.

L’analyse des distributions de disparités introduites par les verres ophtalmiques unifocaux mettra en évidence l’aspect continu des variations de la disparité horizontale dans le champ visuel. La question que posera le chapitre suivant sera de savoir comment appliquer des disparités horizontales (leur intensité, leurs variations et leur excentricité dans le champ visuel) et quelle quantité maximale il est possible d'introduire avant qu'une variation de profondeur soit juste perçue par rapport à un plan de référence. L’expérience psychophysique réalisée dans ce chapitre s’intéressera plus particulièrement au sens de la déformation perçue en fonction de la variation continue de la disparité horizontale (ou gradient) et de l'excentricité dans le champ visuel binoculaire.

Les disparités verticales semblent jouer un rôle principalement dans la périphérie du champ visuel et, à l’exception du cas de l’effet induit, elles semblent ne pas donner une perception de relief à elles seules. Leur rôle, bien qu’encore sujet à controverses, semble être mis en évidence dans leur combinaison avec les disparités horizontales. Il est donc plus pertinent de les étudier avec des patterns de disparités horizontales connus. Un dernier chapitre d’expériences sera ainsi consacré à la combinaison des disparités verticales et des disparités horizontales. Dans ces expériences, la disparité verticale sera introduite selon un pattern observé pour des couples de verres ophtalmiques, mais correspondant également aux disparités verticales présentes dans les formes tridimensionnelles obtenues avec les gradients de disparité horizontale de la précédente expérience. Le but de ces expériences est de comprendre comment agissent les disparités verticales sur la perception de profondeur par la disparité horizontale.

Enfin, l’ensemble de ces résultats expérimentaux sera discuté au regard de la description des disparités binoculaires introduites par des verres ophtalmiques, afin d’analyser le possible impact de ces disparités sur la perception tridimensionnelle des porteurs et éventuellement les moyens d’y remédier.