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Une littérature hétérogène et engagée : les défis méthodologiques d’une approche critique

La vitesse de diffusion d'un mouvement scientifique

Encadré 1.2 Histoire d’un label

2. La Géographie théorique et quantitative en France et dans l’Europe francophone : état des connaissances

2.1. Une littérature hétérogène et engagée : les défis méthodologiques d’une approche critique

Avant de débuter l’analyse de la littérature sur l’état du savoir sur le mouvement théorique et quantitatif, nous proposons un premier point méthodologique pour cadrer cette analyse d’un corpus constitué d’une littérature particulièrement hétérogène, comprenant des textes publiés à des dates précises et dans des lieux particuliers.

18 La recherche en géographie au Luxembourg ne s’est par ailleurs développée que récemment, comme nous le

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Tout d’abord, ces publications consistent en des auto-analyses, puisque la quasi totalité des auteurs ayant étudié la « géographie théorique et quantitative européenne francophone », ou ce qui s’en approche19, sont eux-mêmes non seulement géographes mais aussi français, à

l’exception d’un géographe brésilien qui a récemment publié un article en deux parties sur l’histoire du mouvement français, en se focalisant notamment sur le groupe Dupont et son entreprise de colloques et de publications (Reis Junior, 2012, 2013). Il s’agit de l’histoire d’un mouvement constitué de géographes, écrit par des géographes, qui traitent de géographes encore vivants ou de leurs recherches et donc de leurs collègues. Ces différents protagonistes opèrent au sein du même champ disciplinaire, qui se caractérise donc par des conflits et des relations de pouvoir comme l’a montré P. Bourdieu (1976). Ces auteurs occupent des positions dans ce champ scientifique qu’est la géographie et ces positions peuvent avoir une influence sur le contenu de leurs écrits, selon qu’ils sont acteurs ou opposants au mouvement, ce qui conduit à la production d’une histoire conflictuelle, d’autant plus que le champ scientifique n’est pas monolithique et que plusieurs mouvements émergent durant cette période au sein de la discipline. Ces jeux d’acteurs sont potentiellement analysables dans ces productions. Différents indices permettent de détecter le positionnement de l’auteur dans le champ disciplinaire. Nous pensons qu’un opposant annoncera l’absence de développement ou la fin prématurée du mouvement ou énoncera un certain nombre de stéréotypes visant à minimiser sa portée scientifique, en utilisant notamment des étiquettes stigmatisantes pour qualifier les acteurs du mouvement et leur projet, comme peuvent le faire (ou en être accusés) des auteurs tels que Jacques Scheibling (1994) ou Jean.-François Stazsak (2001), considérés comme opposants au mouvement, ou bien tel numéro d’Hérodote portant sur « Les Géographes, la science et l'illusion » (1995) et qui vise ouvertement « le grand chorémateur » (Giblin, 1995) Roger Brunet :

« C’est de la chorématique dont il est question. Selon cette conception ultra-théorique de la géographie, qui fait aisément abstraction des mers, des montagnes et autres diversités de l’espace terrestre, celui-ci serait organisé en structures spatiales élémentaires dénommées chorèmes. […] Sous prétexte de Science et d’une illusoire simplicité, cette approche connaît depuis quelques années un grand succès : ses modèles prennent de plus en plus la place de vraies cartes, dans les manuels scolaires comme dans les documents d’aménagement du territoire en France et aussi au niveau de l’Union européenne. […] Nous considérons que ses thèses, fondées sur de prétendues « lois de l’espace » qui décideraient de l’organisation des sociétés, sont en vérité pernicieuses, et qu’elles peuvent faciliter, au nom de la science, des manœuvres fort profitables à certains pouvoirs financiers. » (Présentation du numéro, 1995).

Au contraire, un acteur du mouvement cherchera à légitimer son programme de recherche et montrer sa viabilité, son caractère novateur et sa capacité à renouveler le champ disciplinaire en valorisant ses productions, tout en montrant sa force en énumérant les différents lieux de pratique. Par exemple, du côté des productions d’acteurs ou sympathisants du mouvement, les deux premiers numéros de l’Espace géographique ont permis de dessiner le programme pour « les nouveaux aspects de la recherche géographique » (Brunet, 1972). Surtout, le deuxième numéro a donné lieu à un débat sur « Géographie et méthode scientifique » composé de quatre articles qui montrent les nouvelles recherches mais cherchent encore les mots pour les qualifier :

19 Si les auteurs n’utilisent pas strictement le terme de « géographie théorique et quantitative », ils peuvent traiter du

même objet mais en le nommant différemment : « analyse spatiale » ou encore « géographie quantitative » ou, sous une acception parfois plus large, « nouvelle géographie ».

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1. « Les nouveaux aspects de la recherche géographique : rupture ou raffinement de la tradition ? » (Brunet, 1972) où l’auteur annonce que :

« La géographie française est en train de prendre conscience des puissantes transformations connues par les écoles étrangères, et de faire ses premiers travaux en géographie quantitative et théorique. Ceux-ci soulèvent bien des inquiétudes, et sont parfois considérés comme un simple raffinement statistique au service de recherches classiques. Nous pensons au contraire que ces attitudes impliquent une rupture épistémologique, et ont plus de conséquences, en ce moment, que les efforts pour élargir le champ de la géographie. » (Brunet, 1972, p. 73)

2. « L’usage des statistiques en géographie » (Marchand, 1972) où l’auteur expose en détail les bases (types de variables) et les méthodes de la statistique descriptive et de la statistique mathématique univariée puis multivariée, l’analyse factorielle ou encore les statistiques bayésiennes en essayant de montrer leur intérêt pour les géographes.

3. « Aperçu sur la géographie théorique : Une philosophie, des méthodes, des techniques » dans lequel Sylvie Rimbert indique l’existence d’un mouvement théorique et affirme que les méthodes quantitatives doivent être au service de la théorie puisque la priorité est donnée dans cette géographie à la construction d’une théorie explicative.

4. « Deux géographies humaines » (Fel, 1972) où l’auteur cherche à montrer, à travers un exemple précis, l’existence de « deux géographies humaines radicalement opposées » :

« La géographie « classique » tente de restituer l’émigration concrète dans ses milieux régionaux et historiques. La géographie « moderne » cherche la formule abstraite et générale qui règle le phénomène dans l’espace d’aujourd’hui et de demain. » (Fel, 1972, p. 107)

Ces quatre articles, associés notamment à d’autres parus dans le premier numéro de la revue tels que ceux de P. Claval qui présente « la réflexion théorique en géographie et les méthodes d’analyse » ou de R. Brunet sur l’ « Organisation de l’espace et cartographie de modèles », introduisent la « géographie moderne » (Fel, 1972), la « géographie théorique » (Rimbert, 1972), la « géographie quantitative et théorique » (Brunet, 1972b) ou encore les « statistiques » (Marchand, 1972) et les « modèles » (Brunet, 1972a) sur la scène nationale à partir du précédent anglo-américain, en montrant tout l’intérêt que les géographes auraient à la développer. Soulignons cependant que la revue rend compte au même moment d’autres formes de « nouvelle géographie » qui émergent en France comme les travaux sur la perception avec un débat à ce sujet en 1974, divisé en deux parties : « la perception des paysages » et « l’espace perçu : diversité des approches ». Cela montre bien le climat d’ébullition qui existe à ce moment-là et la dimension plurielle de la « modernité » incarnée par la « nouvelle géographie ».

Dix ans plus tard, les Annales de géographie qui, revue historique de l’école française de géographie, est devenue alors la revue de l’institution, consacrent un numéro spécial sur « Géographie et informatique ». Ce numéro accueille les bilans de dix années de travaux en la matière. Onze acteurs du mouvement « géographie et informatique » s’expriment dans six articles différents : ils exposent les résultats de dix ans de colloques en géographie quantitative à Besançon (Wieber, Massonie, Condé, 1983), de dix ans de publications en géographie théorique

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et quantitative en géographie urbaine (Pumain, Saint-Julien, Vigouroux, 1983) et rurale (Robic, Rey, 1983), ou plus largement traitent de la relation entre l’informatique, les statistiques ou les mathématiques d’une part et des spécialités du champ disciplinaire comme la climatologie (Péguy, 1983) et la géographie physique (Guigo, 1983), d’autre part, tandis que Philippe Lecarpentier (1983) montre tout l’intérêt de la micro-informatique naissante pour les géographes.

Ces conflits de position par rapport au mouvement théorique et quantitatif se traduisent parfois par des échanges virulents entre auteurs, ce qui nous rappelle à l’obligation d’adopter une lecture relationnelle des documents les uns par rapport aux autres en resituant les différents auteurs dans le champ scientifique. Analysons rapidement deux exemples du caractère conflictuel et d’enjeu mémoriel soulevé par cette littérature. Premier exemple, le dialogue à distance entre Jacques Scheibling (1994) et Henri Reymond (1995, 1996) montre que le manuel de J. Scheibling (1994), Qu’est-ce que la géographie ? a été l'objet d'une réaction très vive de la part des acteurs du mouvement et notamment d'H. Reymond, théoricien de la géographie et acteur historique du mouvement. À la sortie de l’ouvrage, H. Reymond publie dans l’Espace géographique un premier billet d’humeur dénonçant notamment cette phrase de J. Scheibling : « Cette géographie quantitative, ou plutôt les illusions qu’elle a pu engendrer, a fait long feu ». Mais surtout, l’auteur n’accepte pas que J. Scheibling se serve d’un de ses propres ouvrages, Problématiques de la géographie (Isnard, Racine, Reymond, 1981) pour affirmer que les géographes qui s’étaient lancés dans cette géographie avaient fait leur mea culpa et reconnu l’inutilité de cette géographie. Dans un nouvel article paru l’année suivante dans la même revue, H. Reymond estime que le texte de J. Scheibling propose une « vision erronée » de la géographie théorique et quantitative et dénonce « un ouvrage pernicieux pour les esprits d'étudiants encore non informés du contenu des mots clés » (Reymond, 1996a, p. 3). Pour montrer ses supposées insuffisances et son parti pris contre la géographie théorique et quantitative, H. Reymond développe toute une série d'arguments en appuyant ses dires sur des citations de l’ouvrage incriminé. Cet échange devient direct dans le 4ème

numéro de 1996 puisqu’un débat est publié entre les deux protagonistes (Reymond, 1996b ; Scheibling, 1996a, 1996b). Cette controverse a d’autant plus de poids et d’importance que J. Scheibling jouit d’une large audience auprès des enseignants et étudiants des classes préparatoires aux concours de l’enseignement, à qui il donne sa propre vision de la discipline, heurtant les acteurs d’autres mouvements que le sien.

Deuxième exemple, dans le chapitre d'un ouvrage récent sur La cumulativité des connaissances en sciences sociales publié par Bernard Walliser (2010), Denise Pumain (2010), actrice du mouvement théorique et quantitatif et auteure de plusieurs publications sur l’histoire de la géographie théorique et quantitative répond au texte sur « La géographie », de Jean-François Staszak (2001), paru près de dix ans auparavant dans l'ouvrage Épistémologie des sciences sociales, dirigé par le sociologue Jean-Michel Berthelot. Dans ce chapitre, elle affirme que « les prises de position quant au projet explicatif de la discipline demeurent peu explicites, ou caricaturent des points de vue adverses plus souvent qu’elles n’organisent le débat » (Pumain, 2010, p. 173). Selon elle, les opposants au mouvement auraient tendance à le dénigrer, en le qualifiant par exemple de « néo-

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positiviste » comme l’a fait Jean-François Staszak (2001)20, qui reprend un qualificatif déjà utilisé

quelques années plus tôt par Paul Claval (1998)21 dans l'un de ses manuels d'histoire de la

géographie française. D. Pumain juge « infamant » (2010, p. 173) l'emploi de cette étiquette. Elle pense en effet qu’ « elles sont souvent utilisées par les opposants aux méthodes quantitatives pour dénoncer le scientisme naïf supposé des pratiquants de la géographie théorique et quantitative » (Pumain, entretien, 22/04/2014). Dans ce cas précis, elle affirme que :

« Les critiques visaient l'absence de conscience ou d'engagement social, la « fétichisation de l'espace », parfois aussi une espèce de mécanicité des processus qui auraient exclu toute intervention de quelque chose de social dans des constructions purement géométriques, ou statistiques. Ensuite, l'étiquette a été employée par les postmodernes pour dénoncer la croyance en une posture scientifique, au nom du pluralisme des interprétations. […] Nous sommes plusieurs à ne pas nous être reconnus sous ce chapeau - d'où cette boutade de Chamussy « j'aime mieux être néopositiviste qu'archéonégativiste ». » (Pumain, entretien, 22/04/2014)

Ces échanges peuvent donc se cantonner au champ de la géographie. Ils peuvent aussi prendre à témoin un public plus large, et viser des chercheurs d’autres disciplines. Toutes ces passes d’armes témoignent des tensions qui existent au sein du champ disciplinaire, et qui caractérisent cette littérature rétrospective. L’échange d’invectives et l’usage d’étiquettes stigmatisantes ont été fréquentes durant la décennie soixante-dix, comme le montrent les critiques croisées que se sont adressées les divers protagonistes d’une rénovation de la géographie française à l’époque et leurs opposants22. Ces critiques et labellisations se sont parfois renouvelées au gré des évolutions de la géographie lors des quarante dernières années. Ainsi, d’autres étiquettes sont considérées comme péjoratives par les acteurs du mouvement : sur son blog « esprit critique », O. Orain a « été frappé de constater avec quelle virulence certains auteurs s'en prenaient à deux cibles à peu près indistinctes, le « spatialisme » et Roger Brunet », dans Penser et faire la géographie sociale (Séchet, Veschambre (dir.), 2006), l'un des trois volumes qui feront suite au colloque de Rennes (2004), « Espaces et sociétés aujourd'hui. La géographie sociale dans les sciences sociales et dans l'action ». Cette littérature historiographique vise des publics différents et joue deux rôles distincts : un rôle performatif auprès des jeunes générations dans le cas des manuels comme celui de J. Scheibling (1994), et auprès des géographes et surtout des non géographes dans le cas des textes de J.-F. Staszak (2001) et D. Pumain (2010), puisqu’ils ont été publiés dans des lieux de « sciences sociales ». Dans ce deuxième cas, ces publications censées retranscrire l'histoire du champ ou ses principales caractéristiques sont l'occasion de passes d'armes destinées d’abord à des chercheurs des autres disciplines. Le lieu de publication doit donc être pris en compte dans notre analyse, puisque selon le public visé (public conquis, intéressé ou sceptique), des réactions différentes sont à attendre de la lecture du document.

20 Il justifie cet emploi par le fait que, selon lui, « ce courant vise à identifier les lois de l'organisation de l'espace ». 21 P. Claval et J.-F. Staszak se rattachent alors au mouvement de la géographie culturelle. P. Claval qui a aidé à

l’émergence de la géographie théorique et quantitative en France dans les années 1960 et surtout 1970, indique dans la dernière édition (2012) de son ouvrage sur La Géographie culturelle que cette approche lui « paraît plutôt comme une des conséquences du développement de la réflexion théorique, tous les comportements qu’étudie la géographie n’étant pas rationnels » selon lui. Il précise qualifier de « géographie néo-positiviste, la nouvelle géographie des années 1960, telle qu’on la trouve exposée dans l’ouvrage de David Harvey, Explanation in Geography (1969), avec ses références appuyées à l’école de Vienne » et il ajoute : « ce n’est pas la géographie théorique et quantitative en soi ».

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Cependant, certains auteurs tentent d’être plus neutres lorsqu’ils analysent l’histoire de la discipline. C’est le cas de manuels comme ceux de Robert Marconis (2000 [1996]) ou de Jean- François Deneux (2006). Le premier traite peu du mouvement théorique et quantitatif en tant que tel car il fait le pari d’une rénovation disciplinaire ancienne et s’inscrit dans une histoire plus continuiste entre les années 1960 et le moment où il publie son manuel. Il s’intéresse également davantage aux relations de la géographie avec les autres sciences humaines. L’auteur est moins dans une histoire conflictuelle qui montrerait une certaine rupture, assez violente, comme peuvent le faire les auteurs précédents :

« On peut en fait proposer deux « lectures » de l’évolution récente de la géographie ». L’une privilégie les changements, les ruptures, insiste plutôt sur ce qui divise. L’autre [dans laquelle se situe l’auteur] privilégie les changements, souligne davantage les continuités et les permanences, s’attache plutôt à l’ensemble des travaux géographiques réalisés depuis deux ou trois décennies et ne se limite pas à quelques textes conçus comme des manifestes théoriques ou programmatiques. » (Marconis, 2000 [1996], p. 171)

Par rapport à notre travail de thèse, nous devons donc caractériser cette littérature pour déterminer sur quels éléments appuyer notre travail : d’une part sur des résultats issus d’un travail de recherche basé sur des études empiriques documentées et d’autre part sur des éléments d’analyse soulevés de manière concordante par plusieurs textes. Les textes relatifs au mouvement, ou tout du moins à la « Nouvelle géographie » peuvent être divisés en deux grandes catégories (les manuels et les productions scientifiques) construites à partir de trois critères principaux (pour chacun des critères, les cas extrêmes sont évoqués mais des productions hybrides sont bien entendu possibles) : 1) Selon que leur analyse du mouvement théorique et quantitatif (ou de la Nouvelle Géographie) est basée sur un travail empirique réalisé à partir d’hypothèses de recherche comprenant la mise en œuvre d’un appareillage méthodologique, et poursuivant un objectif d’innovation scientifique (par exemple : Orain, 2009) ou selon qu’ils portent un discours sur la discipline reposant sur des références assez générales, sans expliciter leur démarche, ce qui les rend plus propres à la polémique (par exemple : Scheibling, 1994) ;

2) Selon le type de public visé : scientifiques, étudiants, grand public. Les manuels sont principalement destinés à des étudiants en formation23 alors que les articles scientifiques

s’adressent à des chercheurs. Ces deux genres de textes n’ont pas les mêmes répercussions sur le regard porté par les acteurs du champ scientifique sur la géographie théorique et quantitative ; 3) Selon le nombre de lecteurs touchés et la diffusion qui en découle, beaucoup plus importante dans le cas des manuels. Ainsi, des étiquettes négatives telles que « néopositiviste » employées dans des manuels seront largement diffusées et intégrées par les étudiants, futurs enseignants de géographie dans le secondaire ou enseignants chercheurs dans le supérieur.

23 Le manuel de J.-F. Deneux (2006) répond bien à cette distinction : « L’ouvrage se veut le plus simple et le plus

synthétique possible. Il s’adresse principalement à des étudiants inscrits dans l’une des trois années constituant la Licence de géographie. On a évité, autant que possible, les termes savants. Leur utilisation est parfois inévitable : un glossaire fournit les principales définitions (appelées dans le texte par un astérisque). Celles-ci ne portent que sur les termes propres à l’histoire des idées et à leur interprétation. Par ailleurs, on a allégé le texte de son appareil scientifique » (Deneux, 2006, p. 5).

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Tout d’abord, de nombreux manuels de géographie ont été publiés durant le dernier tiers du XXe siècle, répondant à l’apparition de différentes créations éditoriales sous forme de

collections destinées aux étudiants des universités comme chez Armand Colin et sa collection « U », ce qui représente une rupture avec la période précédente pendant laquelle très peu de manuels existaient. La majorité d’entre eux doivent rendre compte de l’éclatement du champ disciplinaire qui s’est produit à partir de cette période – c’est « le temps des craquements », selon l’expression d’André Meynier (1969) — et ils présentent les différents courants ou mouvements qui co-existent, mais sans véritable travail empirique, de manière assez spéculative, mais très souvent, loin de produire une histoire de la géographie et de l’évolution de ses courants, s’intéressent plutôt aux différents thèmes qui existent dans la discipline et sont plutôt épistémologiques comme c’est le cas par exemple de l’Encyclopédie de géographie (Bailly A., Ferras R., Pumain D. (dir.), 1995) ou de La face de la Terre : éléments de géographie de P. Pinchemel (1997) qui constitue un manifeste pour l’unité de la géographie et n’abordent donc souvent pas en tant que telle la géographie théorique et quantitative. Surtout, comme l’a montré R. Johnston (2006), les manuels sont un lieu stratégique de « politics » dans le cadre de volontés de la promotion d’une nouveauté, mais les auteurs de manuels peuvent avoir des stratégies ou des pratiques différentes que l’auteur détaille en s’appuyant sur Bruno Latour (1999). La polémique qu’il y a eu avec les auteurs de l’historiographie anglo-américaine (cf. ci-dessus) montre bien la conflictualité potentielle de la production de ces manuels et de leur analyse. Plus globalement, le genre manuel peut se diviser en trois catégories :

1) Les manuels élémentaires, visant l’acquisition par les étudiants des bases théoriques et méthodologiques d’un courant particulier de la discipline. En géographie théorique et quantitative, c’est par exemple le cas de manuels récents tels que la réédition des deux tomes de D. Pumain et T. Saint-Julien (2010 [2001]) sur L’analyse spatiale, mais également une Initiation à l’analyse spatiale dirigée par Jean-Jacques Bavoux (2010)24, ou encore un manuel de Régis Caloz et

Claude Collet (2011) sur l’Analyse spatiale de l’information géographique. Le premier manuel de ce type

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