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2.2.2 « Géographie théorique » : l'autre versant de l'étiquette ?

Tab 3.2 Associations de mots-clés centraux de la géographie théorique et quantitative

4. L’univers thématique de l’affiliation au mouvement

À quels autres thèmes de recherche ces marqueurs du mouvement (les mots-sources) sont-ils associés ? Étudier ce que sont les divers mots-clés associés aux six mots-sources retenus dans cette étude et ainsi déterminer l’aire sémantique de ces derniers — c’est-à-dire l’ensemble formé par les mots-clés reliés à chacun d’eux (appelés mots-liés), en représentant la distance qui les sépare et donc les relations préférentielles qui s’en dégagent — permet de mesurer la transversalité du mouvement et de révéler, ou non, l’existence d’un cœur de connaissances. Les géographes peuvent choisir jusqu’à sept mots-clés, ce qui nous montre à quelles branches ou thématiques scientifiques ils se rattachent en priorité. Il est donc possible de savoir quels sont les thèmes préférentiels des géographes se revendiquant de la géographie théorique et quantitative mais également d’évaluer la diversité de ces thèmes et la capacité du mouvement à irriguer la discipline. Enfin, cette analyse permet de justifier le choix des six mots-sources pour l’analyse de la dynamique du mouvement théorique et quantitatif. Autrement dit, les liens qu’entretiennent ces mots-sources avec les autres mots-clés de la discipline présents dans les différentes éditions du Répertoire dessinent la structure sémantique de l’affiliation au mouvement et à travers ce matériau, donnent une image du cœur de connaissances du mouvement théorique et quantitatif et de son évolution pendant ces quatre décennies.

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La méthode utilisée consiste à cerner l’aire sémantique associée à chacun des six mots- sources pour identifier les centres d’intérêt des géographes du mouvement théorique et quantitatif. Cette approche permet de mettre en évidence si les géographes quantitativistes s’affilient également à différentes spécialités de la géographie (rurale, urbaine, etc.), mais aussi de déterminer si possible quelles sont les méthodes et théories qui les intéressent particulièrement (ou, inversement, auxquelles ils ne s’identifient pas). Plus précisément, la méthode consiste à mesurer la force des relations avec les différents champs et thèmes de la discipline géographique grâce à la mesure de liens préférentiels. Les associations fortes révèlent, dans une certaine mesure, le cœur de connaissances du mouvement, alors que les associations moins fréquentes montrent sa diversité interne mais aussi sa dimension transversale par rapport à l’ensemble des champs de la géographie. Par l’étude des associations de mots-clés, la place relative de ce mouvement au regard des différentes spécialités de la géographie est ainsi questionnée : est-ce que la géographie théorique et quantitative est confinée à quelques thèmes ou concerne-t-elle l’ensemble de la discipline ? Quels sont les champs qui ont été associés dès le départ au mouvement ? Quels sont ceux qui y ont été associés plus tard ? Quelle est donc sa dynamique scientifique ?

Deux voies d’analyse multivariée sont menées. Le travail consiste à identifier les aires sémantiques des mots-sources du mouvement, c’est-à-dire des sous-ensembles de mots-clés qui leur sont fréquemment associés, en les situant par rapport à des communautés de mots, c’est-à- dire des sous-ensembles de mots-clés les plus associés entre eux. Dans quelle communauté s’insère chacun des six mots-sources ? Dans quelle mesure se retrouvent-ils dans de mêmes communautés ? Cette analyse doit donc permettre de questionner les spécificités et l’inscription du mouvement théorique et quantitatif dans la discipline géographique. Certes, les structures d’associations révélées sont fortement liées aux préoccupations disciplinaires et de société du moment, et elles résultent de formes de revendication de thèmes étudiés ― et non de la réalité objective de la production scientifique, celle des recherches effectives entreprises par les géographes recensés. Néanmoins, nous postulons que les liens préférentiels entre la géographie théorique et quantitative et d’autres dimensions de la recherche géographique, c’est-à-dire celles des branches et spécialités de la discipline, sont révélateurs des contenus des recherches, de leurs orientations méthodologiques ou théoriques.

4.1. Analyser l’univers du mouvement par les aires sémantiques et

les communautés de mots

Pour déterminer l’univers sémantique de l’affiliation au mouvement théorique et quantitatif, nous avons mis au point une méthodologie qui repose sur l’analyse des réseaux de mots (nous emploierons ce terme générique pour thème de recherche, expression, mot-clé, mot- source, mot-lien…). La méthode permet de détecter les aires sémantiques des mots-sources mais aussi les communautés de mots-clés dans lesquelles s’insèrent ces mots-sources.

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4.1.1. Comment construire des aires sémantiques ?

Nous avons réalisé cinq graphes qui correspondent aux différentes éditions du Répertoire des géographes selon une périodisation à peu près décennale (1973, 1980, 1989, 1998 et 2007) : les mots-clés y sont les nœuds, et les liens représentent le nombre de fois où ces mots-clés sont déclarés ensemble parmi les centres d’intérêt d’une même personne. En observant les graphes centrés sur les mots-sources tels que « géographie quantitative » ou encore « analyse spatiale », nous pouvons déterminer leur aire sémantique, formée des mots-liés avec lesquels ils ont des liens plus ou moins forts. L’aire sémantique est ainsi une représentation graphique qui illustre la proximité entre les mots-sources et les mots-liés.

Pour interpréter les figures, plusieurs informations et indicateurs sont représentés. Il existe trois attributs différents pour les nœuds : le poids (nombre d’auteurs qui le citent), le degré (nombre d’associations avec d’autres mots) et le degré pondéré qui est la somme de la force des liens incidents141. Les liens du réseau sont dotés de deux attributs. Le premier est la force observée du lien : pour deux mots A et B, la force observée de leur lien est le nombre de géographes qui co-citent ces deux mots. Le second est un attribut de « résidu relatif » qui correspond au rapport entre la force observée du lien et sa force espérée ou théorique, déduite de la fréquence de citation de chacun des mots-liés. Cet indicateur permet de mesurer l’éventuelle existence d’un lien préférentiel entre deux thèmes de recherche – toutes choses égales quant au nombre total de liens dans le réseau et à la fréquence de citation de chacun des mots. Cette force espérée est calculée comme la probabilité d'occurrence de deux tirages successifs d'un nœud d'origine puis d'un nœud de destination. La probabilité de tirer un nœud d'origine puis un nœud de destination est l'intersection de deux probabilités dépendantes. La probabilité de tirer un nœud i d'origine est égale à est le poids du nœud i (degré pondéré) et w la somme des poids (sur la moitié de la matrice de poids). Puis la probabilité de tirer un nœud j de destination est égale à car les deux événements ne sont pas indépendants.

La probabilité d'existence d'un lien de i vers j s'écrit donc :

La probabilité d'existence d'un lien de j vers i, qui n'est pas forcément égale à celle de i vers j s'écrit :

141 Par exemple, le mot Quaternaire (en 2007) est cité par 22 auteurs (poids), il est relié à 25 autres mots (degré)

et il a un degré pondéré de 30 à 40. S’il n’était lié avec les 25 autres mots que par un auteur à chaque fois, le degré pondéré serait égal à 25. Or, il est lié à certains mots par 5 ou 10 auteurs : en faisant la somme de la force des liens des 25 mots, on obtient ce degré pondéré.

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La probabilité d'existence d'un lien entre les deux nœuds, tous sens confondus (i.e. non orienté) est l'union des deux :

Finalement, le poids espéré est :

Nous pouvons mesurer l’existence éventuelle d’un lien préférentiel entre deux mots grâce au rapport entre la force observée du lien et sa force attendue. Si le résultat du rapport est supérieur à 1, le nombre de géographes qui co-citent ces deux mots est supérieur dans la réalité à ce qu’il devrait être en théorie, et inversement si le résultat de ce rapport est inférieur à 1. La valeur de ces rapports est extrêmement variable. Les valeurs extrêmes correspondent à des associations entre des mots-clés rarement choisis : en 1989, par exemple, la valeur la plus importante a atteint 47,6 entre « géomorphologie » et « quaternaire ». Cela s’explique par la faible fréquence du choix de chacun de ces mots. On pouvait s’attendre à moins de 1 géographe les citant ensemble, alors que 43 liens sont observés. Il existe donc, dans cet exemple, 43 fois plus de liens dans la réalité qu’en théorie.

Les aires sémantiques ont été réalisées à partir de cette construction de graphe et illustrent principalement le rapport entre le nombre de géographes qui co-citent deux mots dans la réalité et ce que l’on attendrait si les choix se distribuaient au hasard de manière équiprobable. Pour un thème en particulier, on retient tous les liens de degré 1, donc l’ensemble des mots-clés avec lesquels il a été associé au moins une fois. Le thème choisi est placé au centre de l’aire sémantique. La distance entre ce thème de recherche et n’importe quel autre est inversement proportionnelle à la valeur du rapport entre les nombres des liens observé et espéré. Ainsi, si un thème de recherche est très proche du centre de l’aire sémantique, il fait partie des thèmes pour lesquels la valeur du rapport est maximale. En outre, la valeur seuil égale à 1 est représentée par un cercle. De fait, les thèmes pour lesquelles la valeur du rapport est inférieure à 1 sont situés à l’extérieur du cercle mais sont présents dans l’aire sémantique puisqu’ils possèdent au moins un géographe en commun avec le thème de recherche dont on observe l’aire sémantique. Au contraire, les thèmes situés à l’intérieur du cercle sont ceux avec lesquels le thème de recherche étudié possède un lien préférentiel, plus fort que le hasard. Enfin, pour améliorer la lecture graphique des aires sémantiques, nous faisons varier la taille des thèmes de recherche en fonction de leur poids : les mots fortement choisis par les géographes sont écrits avec une police de caractère plus grande, qui les rend plus visibles selon les principes de la sémiologie graphique.

4.1.2. Comment détecter des communautés de mots-clés ?

Pour comprendre comment les six mots-sources représentatifs du mouvement s’insèrent dans l’ensemble des thèmes de recherche présents lors d’une édition du Répertoire, nous avons cherché à détecter les communautés de thèmes de recherche résultant du choix des géographes. En théorie des graphes, une communauté est une classe de nœuds ayant entre eux des liens plus

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