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Étude d’un mouvement scientifique : Cadrage théorique et méthodologique, état des connaissances,

1. Positionnement théorique et méthodologique

1.2. Pour une analyse spatiale d'un mouvement scientifique

1.2.3. Les défis de l’analyse de la diffusion d’un mouvement scientifique

Si les auteurs précédents n’ont pas précisément étudié la spatialité d’un mouvement scientifique, certains géographes l’ont fait, et en référence à des modèles d’analyse spatiale. C’est le cas de Peter Haggett (1990) qui, dans The Geographer’s Art, a mis en image l’expansion spatiale de la géographie théorique et quantitative nord-américaine, qui s'est diffusée des États-Unis au Canada et en Europe (Grande-Bretagne ou encore Suisse) (fig 1.1). Il a interprété cette extension comme un phénomène de diffusion spatiale, en s’appuyant notamment sur les changements d'affectation successifs de ses acteurs.

Le point de départ de son graphe se situe au niveau de foyers émetteurs de la diffusion de la New geography que sont essentiellement l’université de Washington, à Seattle, à la source d’une première diffusion l’université de Columbia à New York et vers l’université Northwestern (Evanston, Illinois), celle de Chicago et celle du Michigan (Ann Arbor), soit une forte concentration de « new geographers » dans le Middle West. Plusieurs des géographes cités, tels que Haggett, ou Chorley, ou encore Harvey et Berry ont en fait été formés en Europe et plusieurs y retournent, fondant notamment les deux grands pôles anglais de Cambridge et de Bristol (cette géographie du mouvement a été discutée dans un débat entre T. Barnes (2008a, 2008b) et Johnston et al. (2008), ces derniers la trouvant extrêmement simplifiée). En effet, une grande partie des géographes anglophones qui ont participé au mouvement théorique et quantitatif ont débuté leur carrière en Europe et ont participé au grand « brain drain » qui a conduit des jeunes universitaires britanniques à faire carrière aux États-Unis. Certains tels que Peter Haggett lui- même ont fait des allers-retours réguliers entre les deux continents. En fait, le voyage de Morrill à Lund ne participe pas d’une diffusion depuis Washington mais s’explique par l’attraction de ce foyer animé par Torsten Hägerstrand et connu aux États-Unis pour ses travaux sur les migrations et la diffusion spatiale des innovations.

D’autres géographes ont montré l’intérêt d’étudier la diffusion de la géographie théorique et quantitative à partir de centres d’innovation. Ainsi, après avoir fait une description préliminaire de certains aspects de la diffusion de l’innovation dans la géographie théorique et quantitative britannique, J.W.R. Whitehand (1970, 1971) a étudié cette diffusion à partir des foyers émetteurs qu’il identifie comme étant les universités de Cambridge et de Bristol, dont il montre d’abord qu’ils ont eu le monopole des auteurs contribuant à des articles usant de méthodes quantitatives depuis 1966. À partir de là, il étudie le phénomène en travaillant sur la diffusion des questions de géographie théorique et quantitative dans les examens de la géographie universitaire britannique.

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Il fait l’hypothèse que la diffusion se fait de proche en proche, par contamination ou, selon le terme consacré, « par contagion » d’un département de géographie à l’autre, en se référant à la publication phare de T. Hägerstrand (1957) sur la diffusion spatiale des innovations. Il teste son hypothèse en évaluant la distance matérielle qui sépare les universités qui adoptent les questions de géographie théorique et quantitative et les deux universités à l’origine du mouvement, ce qui lui permet de montrer le rôle de la proximité entre les lieux successifs s’adonnant à la géographie théorique et quantitative. M. Maisonobe a montré également que « la diffusion spatiale se fait principalement par contagion au sein des pays les plus productifs de la première période » de diffusion (Maisonobe, 2013, p. 8).

Fig 1.1 - La révolution quantitative comme un processus de diffusion17

Source : Haggett, 1989.

Ces recherches précoces se sont inspirées de cette notion de diffusion spatiale dont le géographe suédois T. Hägerstrand (1916-2004) a été le théoricien (il est la figure marquante de ce champ de recherche et l’un des pionniers de la New geography). C’est ce modèle que nous souhaitons mobiliser pour élaborer notre analyse spatiale d’un mouvement scientifique, en nous appuyant aussi sur les apports récents de l’économie de la connaissance. T. Hägerstrand publia en 1953 une thèse, en suédois, traduite en anglais quinze ans plus tard, mais jamais en français. Il y propose une théorisation des processus de diffusion qui permet de mieux comprendre ce qu’est un mouvement d’un point de vue spatio-temporel. En effet, il distingue deux phases dans les

17 Traduit de l’anglais original : “The quantitative revolution as a diffusion process”. Texte explicatif du schéma

accompagnant ce titre : “A highly simplified and incomplete picture of some of the moves of geographers from two leading United States graduate schools in the 1950s and 1960s, and their impacts on the United Kingdom. Some of the second- and third-order moves occurred after 1970. For simplicity only one centre in human geography (Washington) and one in physical geography (Columbia) have been retained”.

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processus de diffusion des innovations agricoles qu’il étudie dans la province de Scanie, en Suède méridionale. La première phase est celle des précurseurs : parce qu’ils participent à des réseaux sociaux de grands propriétaires où l’information circule bien, ou bien parce qu’ils ont été formés dans un institut agronomique et restent en contact avec lui, quelques individus ont vent d’une innovation et l’adoptent. Ils sont distribués au hasard en Suède méridionale. La seconde phase est celle où l’innovation se généralise – celle où l’on passe des précurseurs à un mouvement général. À ce moment-là, l’innovation est adoptée par des agriculteurs qui n’ont pas accès aux moyens de diffusion de l’information à distance qui existent alors : ce qui compte, c’est ce qu’ils peuvent observer directement. La diffusion se fait de proche en proche, par contacts. Thérèse Saint-Julien, dont la thèse d’État porte sur la question de la décentralisation industrielle en France vue sous l’angle d’un processus de diffusion et qui a publié un ouvrage en 1985 sur La diffusion spatiale des innovations affirme plus généralement que « la diffusion est à la fois l'action (de diffuser), et le résultat de l'action (la configuration), de se répandre, ou de transmettre et de propager » un objet (Saint-Julien, 2004). Cette définition générale nous invite à nous poser les questions successives : comment un mouvement scientifique apparaît-il ? Comment se diffuse-t-il ? Quelle configuration spatiale adopte-t-il ? Nous essaierons de déterminer les vecteurs et les lieux d'émergence, de polarisation, mais aussi les canaux de diffusion.

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